LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Choisir une histoire

Choisir l’histoire qui va être racontée à un groupe d’enfants, d’adolescents, à des amis est un art au moins aussi subtil que celui de dire un conte
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Média secondaire

C'est avant tout une démarche passionnelle. Voilà une histoire qui nous plaît, nous attire, nous touche. L’envie nous prend de jouer avec ces mots, ces personnages. Avant même de commencer à la dire nous aimons cette histoire, nous l’aimons comme nous avons aimé la voix chaude de celui ou de celle qui nous l’a faite découvrir. Nous l’aimons comme nous avons aimé ce moment de lecture où elle nous est apparue entre les lignes d’une page jaunie d’un livre de poche.

Le choix

Plusieurs types d’histoires et de contes cohabitent : conte merveilleux, conte facétieux, conte fantastique, histoires drôles…

Chaque genre a son organisation interne, son style qui lui donnent cette force. Afin d’identifier ces différents types et peut-être de mieux comprendre ainsi l’histoire que nous souhaitons raconter, cet article propose une description, trop courte, des différentes formes d’histoires et de contes.

Choisir un conte c’est aussi une démarche intelligente. Ce qui nous trouble, nous émeut, nous effraie dans une histoire repose sur des mécanismes fins et délicats : un mot, une idée, une action que nous retirons et l’histoire est une autre histoire. Donner sa force à un récit, c’est comprendre sur quels mécanismes il repose.

Choisir une histoire enfin, c’est entrer en relation avec un public. L’historienne Catherine Velay-Vallantin affirme dans son ouvrage L’histoire des Contes que « La récitation du conte repose sur trois paramètres principaux : le cadre des réunions (lieu, saison, heure, occasion), la sélection des participants (elle-même opérée selon trois critères principaux, le sexe, la classe d’âge et le métier) et le répertoire (il y a correspondance entre le type de réunions et les genres narratifs qui y sont pratiqués) ».

Connaître ses possibilités en tant que conteur (à chacun de se créer son répertoire), trouver dans son répertoire les récits adaptés aux attentes du public, choisir un conte est l’art de donner du plaisir.

Une histoire qui plaît au conteur

On ne peut pas bien raconter une histoire qui n’a pas su nous plaire. Le premier critère de choix sera donc le plaisir du conteur à transmettre une histoire qu’il aime. Michel Hinnenoch explique que le travail du conteur c’est de voir les images du conte qu’il va dire : dire un conte, c’est décrire les images qu’il suscite. Une histoire sur laquelle on n’accroche pas, c’est une histoire qui ne nous fait pas « apparaître » d’images.

Le répertoire

Chaque conteur, amateur ou professionnel se compose peu à peu un répertoire d’histoires variées, Beaucoup se spécialisent, soit dans l’origine géographique ou culturelle des contes, soit dans un âge particulier de public (les histoires sont alors choisies en conséquence). Le répertoire du conteur se crée dans la rencontre entre le texte et la personnalité du conteur. Il est difficile de résumer en quelques lignes ce qui, au fond, constitue le travail essentiel de stages de formation. C’est un travail sur soi, un travail de connaissance de soi, de formation de la personne. Un conteur peut être porté par l’envie d’expliquer, d’informer des choses qui se déroulent. Un conteur peut être porté par dire la gravité, la profondeur, la dérision des choses, des êtres.

Un conteur peut être porté par dire la sagesse, la philosophie… Se créer un répertoire c’est travailler sur ses envies, ses désirs, ses doutes, ses certitudes…

Multiplier les conteurs

Il est sans doute préférable, pour un public régulier (une classe, les enfants d’un centre de vacances ou de loisirs, une garderie, un groupe d’amis...) de proposer, d’inviter plusieurs conteurs.

Deux avantages à cela :

  • Chaque conteur ayant son répertoire d’histoires qu’il aime raconter, on a tout à gagner d’ouvrir un répertoire le plus vaste possible.
  • En multipliant également les conteurs, on s’offre des styles de narration variés, des mots, des images qui parlent différemment.

Multiplier les différents genres d’histoires

On ne peut, toujours en s’adressant à un public régulier, ne proposer qu’un seul type d’histoire ; le conte merveilleux, par exemple. On forme, on éduque aussi l’écoute et l’imaginaire avec des répertoires qui associent des genres opposés.

Écouter une histoire est un acte volontaire

L’un des risques des activités « histoires et contes » proposés aux enfants est de rendre obligatoire ce moment d’écoute. On peut souhaiter un jour écouter une histoire, un autre jour pas.

Choisir un conte

À l’origine, le conte était un plaisir pour les adultes, les enfants ne s’y trouvaient impliqués que par leur présence aux veillées. Sans doute y ont-ils manifesté du plaisir, les contes peu à peu (XVIIème siècle) se sont tournés vers eux. On ne s’attardera pas ici sur les contes, réécrits pour les enfants, édulcorés et qui perdent ainsi leur sens. Des livres de contes s’adressent aux enfants, d’autres, plutôt aux adultes. Il est important de repérer quatre aspects dans une histoire

La durée
Plus les enfants sont jeunes, plus le récit sera court mais ceci ne signifie pas qu’il ne faut proposer que des comptines à des enfants de 2 ans ! En revanche, les histoires peuvent être répétées très souvent.

Faites confiance aux enfants pour vous réclamer ce qu’ils ont aimé, autant leur donner alors la possibilité de choisir. Il est aussi possible avec les jeunes enfants de conter deux menues historiettes…

Les personnages
Plus l’histoire multiplie les personnages, plus il faudra être attentif à les introduire avec précision et en définissant en quelques mots leurs caractères, par un trait physique ou un trait moral.

Là encore, certains genres spécifiques, comme la saga par exemple, mettent en scène trop de personnages pour que le récit soit accessible à des enfants de moins de 10 ans.

Les lieux
Chaque lieu doit être introduit, présenté en quelques mots précis mais efficaces. Il faut être attentif à choisir une histoire dont le vocabulaire et les phrases sont adaptées aux possibilités de compréhension de l’auditoire.

Les thèmes
Est-il interdit d’interdire ? L’ogre qui égorge ses filles, le loup qui dévore grand-mère et petite fille, la chèvre qui éventre de ses cornes le poitrail du loup constituent des étapes essentielles dans le récit : elles permettent à l'imaginaire de régler la tension que l’histoire a créé. Or l’imaginaire à besoin de ses conflits symboliques pour se représenter, comprendre le monde réel. L’essentiel n’est pas tant d’édulcorer les images que de raconter jusqu’à la conclusion du conte. L’auditeur est comme un bateau qui a affronté la tempête, c’est au conteur capitaine de ramener le bateau au port. Alors, faites de beaux rêves.

Différentes formes d’histoires et de contes


Berceuses, comptines, jeux de mains

On les connaît ces ritournelles enfantines où le rythme de diction est essentiel et doit être identique à chaque présentation, comme un rituel :

« Dans mon jardin tout rond, tout rond, J’ai des pommes, des poires, des prunes, des cerises, des framboises, et une petite rivière qui coule, qui coule, qui coule ». (Chaque doigt est un fruit, le bras est la rivière).

« Qui fait un ? moi tout seul.

Qui fait deux ? les oreilles du vieux.

Qui fait trois ? Les yeux et le nez ››.

(Comptine bretonne citée par H. Cazaux).


Histoires drôles

C’est le genre de récit porté par l’oral, le plus fréquemment du bureau à la cour d'école, partout on raconte des histoires. Ce genre repose sur des mécanismes différents : moquerie, quiproquos…


Mensonges

Des concours de menteurs sont même organisés !

« L’aveugle a vu un lièvre voler, le muet a appelé le sourd qui était manchot et qui a tiré, le cul-de-jatte a couru attraper le lièvre. Et qui a dit au dernier larron qui était tout nu : mets ça dans ta poche ! ››. (cité par H. Cazaux).


Devinettes et énigmes

Les devinettes et les énigmes ponctuent souvent une suite d’histoires, assurent la transition.

« Que peut-on dire d’une souveraine qui dirige un animal par des courroies ? : la reine tient les rênes du renne ». (dans 1000 ans de contes, t. 2, Milan).

« Poils dessus, poils dessous, le plus précieux est au milieu : Les yeux. ››(cité par H.Cazaux).


Vire-langues

C’est l'art et la manière d’articuler.

« Haut nid pie a-t-elle ? Bas nid caille a-t-elle ? En mare cane est-elle ? Haut nid pie a. Bas nid caille a. En mare cane est ››. (citée par H. Cazaux).

« Si six cents couteaux-scies,

Si six cents couteaux-scies,

six en six,

six si cents couteaux-scies

six en scies,

six cent six saucisses,

six si cents couteaux-scies

six en scies,

six cent six saucisses,

Qu’obtient›n au total ?

Une cuisine sale ».

(de P. Coran dans 1 000 ans de contes, t. 2).


Randonnées

C’est une histoire qui comprend un élément de répétition.

« Félicien dit : je vais arracher ce radis,

il tire, il tire, il tire,

le radis ne bouge pas.

Félicien va chercher Félicienne sa femme,

Félicien tire le radis, Félicienne tire Félicien,

… Plus tard…

Le chien tire Juliette par la robe

Juliette tire Jules

Jules tire Félicienne,

Félicienne tire Félicien,

Félicien tire sur le plus gros radis du jardin… », (dans 1000 ans de contes, t. 2).

La randonnée exige que tout soit repris à chaque étape, C’est le récapitulatif, on ne peut en faire l’économie.

 

Il était une fois… Le conte est une fiction et il le dit


Mythe

« Le mythe est un récit merveilleux qui utilise des personnages d’essence divine pour expliquer les origines et la nature de l'homme et du cosmos » (définition de François de Labriolle).


Légende

« La légende, au contraire du conte, est le récit d’événements qui se sont réellement produits et dont les acteurs sont connus ; son ancrage historique et géographique l’enracine dans la vie locale » (définition de Bernadette Bricourt). On peut citer ici « Le petit Pâtre de Belliac », légende auvergnate sur un pape catholique, fils du pays.


Saga

C’est un récit historique ou mythique qui relève plutôt de la période médiévale et des régions scandinaves ou celtes. « Le mot saga désigne donc avant tout une certaine manière de raconter une histoire. Son mode d’expression est la prose […] Son originalité tient avant tout à un style très caractéristique, fait de concision, de fermeté et de clarté » (définition de Régis Boyer).


Chronique

Le temps. La chronique est un récit du temps qui s’écoule. Souvent les conteurs en font un « genre autobiographique », mais la chronique peut aussi être le récit de l’histoire d’un village, d’un lieu…


Le poème épique

Le plus connu est « La Chanson de Roland », c’est un récit romance de faits véridiques, guerre, vie d’un seigneur… Ils étaient composés par les troubadours et rapportés de château en château. Les plus connus, les plus longs restent le Mahâbhârata, l’Illiade et l’Odyssée (dont il existe un merveilleux enregistrement par Bruno de La Salle :

 

À l'écoute, "Le Chant de l'Odyssée" par Bruno de La Salle

Lecture de l’Odyssée – 2/4 – Bruno de La Salle au festival EPOS

c’était la séquence coup de cœur…


Contes d’animaux

Tous les personnages sont « illustrés » par des animaux. Ces contes sont souvent fondés sur des oppositions : domestique/sauvage, rusé/stupide, fort/faible, petit/grand… Le plus souvent ce sont des comportements humains que l’on prête aux animaux. Le Dictionnaire des littératures renvoie au Roman de Renard.


Conte facétieux

C’est le genre de conte populaire où les riches sont brocardés et les pauvres, les opprimés, sont fins et ruses (demandez donc à mon banquier ce qu’il en pense), c’est le genre de la moquerie, de la provocation.


Conte merveilleux

C’est le conte des fées, le conte des Ogres. Le conte merveilleux se caractérise par la mise en scène d’animaux ou de choses ayant des pouvoirs surnaturels mais acceptés comme naturels par les héros de l’histoire (les bottes de sept lieux, par exemple).


Conte populaire

Le conte peut se définir comme un récit dont l’origine est inconnue, et que l’on ne peut attribuer à un auteur.

C’est une œuvre collective dont la trame reste stable mais dont le contenu est mouvant. « C’est ce qu’Arnold Van Gennep appelle « la littérature mouvante » par opposition à la « littérature fixée des proverbes et des dictons qui ne se modifient pas » (cité par Bernadette Bricourt).


Conte polémique

Proche de la devinette, le conte polémique est un court récit qui se termine par une question posée à l’assistance.

On les rencontre notamment dans les traditions africaines. « Ils font se confronter deux codes moraux dont le choix est impossible » (définition d'Agnès Hollard.).

« Trois frères transportaient à dos d’âne un chargement de millet. En franchissant une rivière, le premier frère a entendu la graine tomber dans l’eau. Le second frère a compté les graines de millet du chargement et constaté qu’il en manquait une, le troisième a plongé et l'a ramené. Qui est le plus fort ? ›› (cité par Agnès Hollard).


Conte fantastique

Contrairement au conte merveilleux, le conte fantastique agit sur la contradiction entre le naturel et le surnaturel, on quitte souvent le naturel pour entrer dans le surnaturel (à lire ou à relire : Edgar Poe, la série des Dracula).


Conte littéraire

Le conte littéraire est écrit, l’auteur en est connu et c’est à travers les livres et la lecture (et non le bouche-à-oreille) qu’il se transmet.

Il est indispensable de distinguer ici les auteurs ayant procédé par transcriptions de récits colportés à l’oral (Perrault, les frères Grimm, et les contes littéraires dont les auteurs ont produit une œuvre de fiction : Karen Blixen, Edgar Poe…

L’histoire des contes nous montre très bien comment les contes, à travers l’histoire, sont dans un jeu incessant de va-et-vient entre le récit oral, sa transcription par écrit, et l’évolution du groupe social dans lequel il est reproduit.

Il n'est donc pas rare de trouver plusieurs formes, plusieurs versions d’une même histoire ; Barbe Bleue est ainsi tour à tour un récit fantastique, littéraire, un texte chrétien, la chronique morbide de la vie de Gilles de Rais…


Rap

Genre de récit parlé et scandé mais appuyé par une forme musicale importante, le rap qui est apparu en France dans les années quatre-vingt, était influencé en ligne directe des États-Unis. Il a quelques thèmes spécifiques : la galère, la souffrance, la cité, la critique des dirigeants…

Le rap est dansé, comme beaucoup de contes sacrés populaires, indiens par exemple.


Proverbe et dicton

C'est une phrase souvent courte dont le but est de créer une morale, une règle de vie.

« Trou du cul qui gratte le soir, doigt qui pue le matin » ; proverbe rustique breton, qui se fonde sur le principe de logique d’une proposition qui produit, à ce qu’affirme une autre proposition qui lui est apposée, toujours le même résultat. C’est la cause efficiente (« la cause en ce qu’elle produit des effets », Émile Durkheim, Règles de la méthode sociologique).

 

 


Article paru dans Les cahiers de l'animation Vacances Loisirs n°24

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