Euréka j'ai joué
« Euréka » cria, parait-il, le savant grec Archimède au moment où il comprit le principe de la force s’exerçant sur un corps plongé dans un liquide. Ce même cri, marquant la joie d’avoir trouvé une solution, a sans doute été intérieurement poussé par certains des participants à une journée de formation pédagogique. De même que l’antique savant avait fait sa découverte à partir d’un environnement familier, puisque la légende nous assure qu’il était dans son bain, ces animatrices et ces animateurs du XXIème siècle ont découvert des solutions pédagogiques dans un univers qu’ils connaissaient, celui des jeux chantés.
Cette journée de formation, organisée par la Caisse d’Allocations Familiales de la Drôme, s’adressait à une soixantaine d’intervenants salariés ou bénévoles de l’ensemble du département, participant à l’encadrement de Contrats Locaux d’Accompagnement à la Scolarité (CLAS), un dispositif visant à offrir, aux côtés de l’École, l’appui et les ressources dont les enfants ont besoin pour valoriser leurs capacités et à prévenir l’échec scolaire. L’objectif de la journée était de travailler sur une pédagogie donnant le goût d’apprendre et développant des savoirs facilitant les apprentissages scolaires. La problématique des participants étant de connaître et maîtriser des activités motivantes et adaptées aux enfants. Mais aussi d’avoir des éléments pour valoriser leur intérêt pédagogique auprès des parents et des enseignants.
Nous avions prévu de faire vivre différents ateliers de pratique d’activités pour ensuite amener les participants à analyser ces situations. Si les jeux de société ou les histoires furent accueillis avec évidence, lorsque l’on annonça qu’il y aurait aussi un atelier sur les jeux chantés, on perçut un étonnement. « Ils et elles allaient devoir faire la ronde… »
Les différents groupes participèrent donc à cet atelier avec pour consigne de jouer et de réfléchir aux compétences que ces jeux chantés pouvaient développer chez les enfants. Des jeux individuels, à deux ou en plus grand groupe se succédèrent mettant en scène des situations très diverses.*
Les participants jouèrent à des jeux de mains, des jeux de tresse, des jeux à se retourner : Ce pouce-là, Scions du bois, Un petit bonhomme, J’ai cassé la vaisselle à maman, Sainte Maritaine…. Puis des rondes comme Les pigeons sont blancs, Bonjour Guillaume, Le petit limousin, Ah mon beau château… amenèrent l’ensemble du groupe à devoir tourner rond, choisir, réagir, se regrouper, s’organiser… Enfin la situation d’évolution libre de Promenons-nous dans les bois les amena à côtoyer les activités d’expression.
Les adultes entrèrent très rapidement dans ces jeux. Même ceux qui avaient quelques réticences à l’idée de devoir refaire la ronde à leur âge participèrent activement. Il se dégagea de l’ensemble des groupes de l’investissement et un vrai plaisir de jouer. Ils pratiquaient des activités qui leur parlaient. Ils se souvenaient d’avoir joué, ou vu jouer, à des jeux similaires il y a plus ou moins longtemps. Et cet univers familier des jeux chantés apportait des réponses à certaines de leurs interrogations pédagogiques.
L’analyse qui suivit mit en avant l’intérêt de ces jeux qui représentent un véritable outil de développement, mais un outil que l’enfant s’approprie, manipule, transforme, maîtrise et utilise à sa guise. L’adulte ne faisant que le mettre face à des situations ludiques qu’il pourra ensuite investir et réinvestir. La maîtrise de l’espace, les perceptions corporelles et le tracé des lettres sont intimement liés. La proximité de langage entre faire une ronde et faire un rond n’est pas un hasard. De la ronde au rond, apprendre à écrire ne se fait pas que sur une feuille de papier. Les rondes et jeux chantés amènent l’enfant à construire de véritables compétences pour maîtriser son schéma corporel. Des activités de motricité fine et globale, qui permettent de situer et organiser son corps dans l’espace (Ronde, file, ligne, ordre dispersé…) avec des actions motrices comme se prendre par la main, se retourner, faire demi-tour, tourner sur soi-même, s’accroupir, bouger les doigts, frapper des mains, se balancer, marcher, galoper, sautiller, courir… Mais ces jeux chantés renforcent également la maîtrise du temps. On matérialise et on vit la cadence, la durée, le vide, l’accentuation, l’alternance des chanteurs. Ces phrases musicales rythmées, jouées et rimées facilitent aussi l’organisation au sein de la phrase et la structuration du langage. Par le biais de ces petites chansons, les enfants se familiarisent avec du vocabulaire, ils décomposent en phonèmes, jouent avec les rimes et les sons. Ils doivent choisir des mots et les adapter à la structure et la segmentation d’une phrase…
L’analyse de ces jeux chantés fit également prendre conscience aux participants de l’intérêt que représente cette activité en termes de relations. Les enfants sont amenés à donner la main à un garçon ou une fille, à choisir quelqu’un, à négocier avec l’autre… Mais tout cela se fait dans le cadre protecteur du jeu.
Les jeux chantés ne relèvent ni de la performance ni de l’évaluation normative, mais permettent aux jeunes enfants, simplement en s’amusant, de pouvoir acquérir et développer à leur rythme de multiples compétences.
*On peut retrouver les rondes et jeux chantés évoqués dans cet article dans des fichiers publiés par les Ceméa :
Jeux chantés n°1 (CD + fiches pédagogiques) : http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article304
Jeux chantés n°2 (CD + Fiches pédagogiques) : http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article303
Vers l'Education nouvelle (n°575, juillet 2019)