Avec de la ficelle et du papier, quatre petits riens qui font un tout
La marionnette est multiple, elle balade sa dégaine classe haute couture ou habillée d’oripeaux de récupération écologique et s’est installée un peu partout dans le paysage des pratiques artistiques et plus particulièrement dans celui des activités dramatiques avec une aisance déconcertante. Elle permet l’exploration des possibles, et aussi d’expérimenter librement, d’essayer, de recommencer, une fois qu’elle a été apprivoisée ou qu’elle a apprivoisé la main qui la tient, dont elle est le prolongement. Il existe de nombreux types de marionnettes, certaines naissent en quelques secondes et rentrent dans le jeu, entrent en scène instantanément. D’autres plus sophistiquées ont besoin de plus de temps pour exister mais joueront comme les autres. Car jouer est leur destin, leur carrière, leur raison d’être. Elle peut être éphémère ou éternelle mais elle ravit celles et ceux qui se mêlent de les fabriquer, de les manipuler, de les regarder. Intemporelle, elle est inscrite dans le présent comme l’expression d’un art de jouer.
La marionnette : un ensemble de pratiques ludiques créatives, une multiplicité de formes théâtrales spectaculaires, un véhicule culturel majeur. Dans ce premier volet du dossier nous redécouvrirons quelques pratiques diversifiées de jeu précédées par des constructions minimales. « Moi, je construis des marionnettes, avec de la ficelle et du papier... » Beaucoup ont en tête ces paroles de chanson. Au-delà d’une anecdote achetée au magasin de souvenirs des sentiments, ces quelques mots décrivent bien la démarche inhérente à tout montreur de marionnettes, amateur ou professionnel. Il s'agit tout à la fois d'imaginer, associer, penser, dessiner peut-être mais aussi d'agir : faire, pétrir, couper, ajouter, coller, agrafer, coudre, ajuster, mesurer, froisser, déchirer, manier, manipuler, déplier, mettre en voix, invectiver, chuchoter, murmurer, faire silence, opiner, tonitruer et partant s'étonner, s'envoler, faire frisson, frémissements, peur et plaisir.
Ce premier dossier ouvre la piste. En éclaireur, il donne à savourer des gourmandises et à s’enivrer d’un jeu aux parfums particuliers. La main agit, les doigts remuent, s’agitent, la voix formule, tonne, gribouille, les formes se déploient. Le corps est prolongé parfois démesurément, le geste brouillonne et souvent précise, la geste bouillonne, s’insinue entre le rêve et le réel, fait éclair, orage comme entre le jazz et la java. Et parfois le silence et l’immobile se font jour entre poétique et verbe. La marionnette, figure de proue, en poupe, poupée à brandir, à montrer, à revendiquer, média pluriel mais médium singulier, tellement, qu’il colle à la main qui le nourrit, qu’il la change, la modifie, la modèle comme on travaille la glaise. L’important c’est de jouer, on joue, on met en jeu l’appareil corporel et les rouages des mécanismes de la pensée, de l’invention. La parole est un mouvement de plus, une ondée, une ombre sonore, une mise en mots de l’objet prenant corps, la parole ne s’ajoute pas, elle est là ou pas, elle est partie intégrante du process, au cœur , au chœur parfois, du jeu, du ballet ludique. La marionnette interprète parce qu’elle est là, qu’elle existe. la marionnette est toujours devant et la personne est derrière comme cachée et pourtant bien là, mais pas trop, même si on la voit, même si on la devine et a contrario peut-être trop même si on ne la voit pas.
Dans ce premier volet, quelques relations d’expériences, de pratiques de formation et d’animation, quelques réflexions, quelques regards acérés pour brosser un panorama non exhaustif de l’univers si vaste de la marionnette. Le deuxième présentera des démarches d’approches culturelles, d’accompagnement des spectateurs en s’appuyant sur diverses expériences et en distinguant différents types de marionnettes et différentes formes de spectacles. À leur issue, nous envisageons l'organisation d'un colloque entre pédagogues et artistes dont le contenu donnera lieu à un troisième opus portant sur les échanges croisés entre marionnettes/éducation-culture/sources anthropologiques. Un, deux, trois… trois propositions pour une redécouverte, une invitation à engager trois petits tours… comme dans la chanson
Les marionnettes sont vues dans ce premier volet comme des pratiques dramatiques, lesquelles, si elles peuvent faire l'objet de récits incomplets et de notes personnelles de travail, s'accommodent mal de mises en fiches. Bien que limitées à des fabrications tels les éléments de costumes, elles ont souvent conduit sinon à des dérives, du moins à des décentrages involontaires ; la réalisation d'un bel objet, un alibi différant la prise de risques et primant alors sur sa tardive mise en jeu. Par ailleurs, si ces activités d'expression respectent bien quelques règles impératives (espace et temps cadrés, obligation du «être un autre» et du «faire comme si») ce ne sont pas à proprement parler des jeux de règles (elles relèvent du playing plus que du game*) et mettre en fiches précises l'accompagnement de cette mise en jeu conjoncturelle et subjective induirait qu'il existe des recettes alors qu'il s'agit d'écoute, de disponibilité et de «tours de mains» relationnels très personnels. Ceux-ci peuvent-ils s'acquérir, se construire, s'esquisser ailleurs qu'à travers des expérimentations personnelles dans des groupes (stages, week-ends, ateliers au contact d'accompagnateurs déjà praticiens) ? Peut-on expérimenter par procuration ? Quel rapport a-t-on au modèle et à l'héritage ? L'autodidactisme est-il sans limites ? Les compétences généralistes touchant à l'Activité au singulier et à l'Éducation nouvelle dans ses principes sont-elles suffisantes ? Les savoir-faire sont-ils spontanément transférables? Bref, les pédagogies spécifiques aux activités, au prétexte qu'elles sont des vecteurs de marchandisation et que la pluridisciplinarité s'impose, sont-elles caduques ? Toutes ces vieilles questions peuvent rester actives durant la lecture de ces notes, traces de tentatives plus ou moins récentes, prétextes ou leurres quant à leur pouvoir de transmission, mais stimulateurs peut-être permettant de se remémorer, d'imaginer ce qu'on en ferait, de se sécuriser, de se remettre en appétit et d'oser entreprendre. Et c'est finalement cette réalité utilitaire, indiquée dans l'un des articles, qui nous a autorisés à engager « en l'état» leur publication.
Jac manceau