Polémique sur la pêche à pied
Repenser la pêche à pied
Des animateur·ices soucieu·ses de protection animale dénoncent la pratique de pêche à pied. Mais pour quelles alternatives ? La découverte du vivant est-elle plus pertinente avec des livres ? Une occasion de se questionner sur une pratique traditionnelle de découverte du milieu. Beaucoup d'espèces ont déjà disparues... La pêche à pied est une activité physique, grimper sur des rochers, éviter - plus ou moins - de se mouiller les pieds, repérer son itinéraire entre mares, ruissellements, arêtes rocheuses et nappes d'algues glissantes. Il s'agit d'activité physique de pleine nature (APPN) avec déplacement en milieu incertain, selon la définition de ce terme. Si on peut être plus proche de la randonnée parfois, pour les plus jeunes, la séance peut rapidement procurer des sensations proches de l'escalade. La confrontation à l'horizon, à l'immensité, aux masses, au vent, n'est pas qu'un cliché. Ne gâchons pas le temps d'appropriation, qui nous fait aussi ressentir notre vulnérabilité.
Ce rappel aux APPN permet de se rappeler quelques consignes de sécurité (porter des bottes, des chaussures, qui tiennent aux pieds …) mais aussi de se préciser les objectifs de la séance, notamment quant au degré d'autonomie que l'on accordera.
On pourrait ériger un principe : la prise d'autonomie des enfants sera proportionnelle au nombre de seaux mis à disposition. J'ai croisé encore récemment un encadrant, consciencieux berger porteur de l'unique seau collectif, traînant derrière lui le troupeau d'enfants, dont la nécessité de déposer rapidement leur prise créait ainsi une chaîne invisible, mais réelle. De nombreux récipients permettent au contraire à de petits groupes de se constituer à leur gré …
Ceci permettra à la fois de s'expérimenter sereinement aux déplacements et à la prise en s'éloignant du regard des autres, de goûter à loisirs de s'éterniser devant une mare particulièrement propice à l'observation … les cris de surprise, de victoire suite à une prise, les interpellations sur les bons coins … rythmeront les allers et retours entre les différents sous-groupes. Ne pas avoir de seau vous-même vous obligera à aller à leur rencontre, à mesurer le nombre et la variété des prises, les alimenter en « nourritures ...» (bigorneaux …).
La question de la protection du milieu. Chasseur cueilleur … aquarium ou pêche sportive ?
La première pêche à pied sacrifiera nécessairement au besoin d'expérimenter ses réflexes de chasseur cueilleur; mesurer sa dextérité pour attraper une crevette à la main, la prise de risque, jouer avec sa crainte pour la capture d'un crabe … sont vraisemblablement une étape nécessaire qu'il convient d'accompagner. Sur des stages, nous expérimentons l'installation de caisses, d'auges, de petites piscines, pour déposer sur place ce qui a pu être capturé. Chacun peut alors présenter ses prises dans les bacs, où nous veillons à limiter les concurrences (entre crabes par exemple …) c'est l'occasion de pouvoir distinguer les différentes espèces, et de se décentrer par rapport à «sa» pêche. De cette observation collective sur site, nous pourrons éviter ainsi une hécatombe inutile, et déjà projeter un aquarium équilibré.
On pourrait rejeter tout le monde à la mer … notre pratique serait alors analogue à la pêche sportive, que l'on peut connaître en eau douce : on pêche pour le plaisir, puis on décroche les poissons des hameçons pour les remettre à l'eau. Je ne suis pas certain que cette pratique flatte moins nos instincts de prédation … surtout qu'elle exacerbera alors des questions liées à la compétition : la plus grosse prise, la plus rare …
Crédit photo : revue Vers l'Éducation Nouvelle
Alors oui, l'aquarium est bien là une finalité de la pêche à pied. Il ne s'agit pas d'un aquarium décoratif, mais bien de se doter, pour un temps donné, d'un outil qui s'inscrit dans un processus de découverte scientifique. L'aquarium nous permettra bien de mesurer, de prendre conscience, de la chaîne alimentaire, de la reconstitution d'un écosystème, des processus de mue … Cette pratique prendra son sens, comme un possible à part entière dans la vie du centre. L'observation sera suscitée, la réflexion, la recherche documentaire sera facilitée, rendue possible à proximité.
Des pêches complémentaires pour la découverte du vivant
On peut compléter cette découverte du vivant par d'autres démarches. Je pense à cette pratique simple consistant à délimiter un carré d'un mètre sur un mètre sur la plage. Dans cette fenêtre qui force progressivement le regard, nous rechercherons alors toutes les traces de vie du plus grand nombre d'espèces possibles. Le premier coup d'oeil identifiera les couteaux, huitres, plumes, pourpres, mureix … mais au fur et à mesure, on arrivera à distinguer des résidus de coquillages différents, des laisses de vers arénicoles. Trier, ranger, classer permettra de distinguer bivalves ou exosquelettes, premiers pas vers une compréhension de la classification phylogénétique …
Ramasser les algues permettra de s'interroger sur leur couleur … de découvrir que les rouges viennent des profondeurs, et que leur pigmentation (qu'on pourra mettre en avant en les faisant bouillir) participe de leur photosynthèse … N'attendons pas d'avoir un bagage complet ou d'être adoubé «scientifique» pour oser ces démarches. … Ne tombons pas dans le travers d'être en capacité de parler des heures d'un sujet pour le porter, au risque de susciter principalement l'ennui de notre auditoire. Assumons au contraire un rôle de passeur, qui propose quelques entrées, et ensuite de se questionner ensemble …
Quand j'ai des doutes sur les aquariums en classe de mer …
La sortie impérative de la classe de mer : la pêche à pieds ! A l’issue de laquelle se pose ou non la question de faire un aquarium. L’aquarium comme trophée de chasse ou un réel objet d’étude ? Bien sûr, il s’agit de ne pas faire un mouroir, ou du moins essayer … La biochimie d’un aquarium peut devenir scabreuse à improviser…
Pour ma part, j’ai eu du mal à trouver la cohérence entre les valeurs que je souhaitais transmettre et l’impératif de l’aquarium.
Premièrement, si je suis là pour sensibiliser au respect des équilibres dans les écosystèmes, où chaque partie du vivant à sa place, comment justifier le fait qu’on en prélève quelques individus, retirant alors quelques pièces d’un ensemble ?. Le côté pédagogique ne devient-il pas un prétexte à ce trophée qu’est l’aquarium ?
Alors l’aquarium est dans la salle de classe le soir de la pêche à pied. Tout a été aménagé pour que les animaux puissent vivre, ou plutôt survivre… Un bulleur, quelques cachettes, mais pas trop, on veut voir… Et tout ce petit monde se retrouve au milieu d’une salle à 20 degrés… Enfin un objet d’études scientifiques !..
Sérieusement ?
Vraiment, vous pensez vraiment que les animaux récoltés vont garder leur comportement normal dans 50 litres d’eau non brassée, survivant dans leurs excréments pendant leurs quelques jours de captivité, dans le vacarme du bulleur et des allées et venues des personnes, sous des lumières artificielles ne favorisant pas toujours le phytoplancton?
Non, mais ça plaît tellement aux enfants ! Comment leur refuser ? Peut être leur apprendre ce qu’est un animal : un être sensible, voir libre ! Pourvu qu’il ne croise pas un humain et ses envies de domination de la nature... Et c’est là que l’aquarium devient une démarche bien étrange : il apprend aux enfants à ne pas considérer la souffrance de ceux qui ont moins de capacités motrices et moins d’intelligence que lui (quoi que… qu’est ce que l’intelligence…). Donc n’est-ce pas légitimer certains rapports de domination sociale ?
Une chose dont je suis sur, c’est que je ne pense pas avoir LA solution au problème que je pose! Je me pose juste quelques questions…
« Le Monde Du Silence » ! Quelle jolie sensibilisation au milieu marin ! Allez voir sur YouTube les compilations d’expériences que Cousteau et ses camarades menaient au cours de leurs escapades sous marines… Et vas-y que j’asticote la tortue jusqu’à l’étouffer, que je tue du poisson à la dynamite… tout ceci pour alerter sur l’importance de préserver le milieu marin ! Aujourd’hui c’est risible, dans les années 50, les gens n’ont pas vu le manque de respect envers les animaux.
Crédit photo : communication-76 sur Pixabay
Alors oui, certaines personnes, protectrices du bien-être animal dérangent avec leurs nouvelles considération, oui, il peut paraître contraignant de rajouter à tous les problèmes de la vie d’animateur nature celle du bien-être animal. Je n’ai pas de solution « animal friendly » clé en mains à proposer, je suis désolé. J’aperçois cependant une piste, celle de privilégier la rencontre avec les animaux. Une rencontre ou les deux individus se croisent librement (et en sécurité bien sûr !). Des moments certes rares, mais exceptionnels, donc magiques !
Pour finir, en allant creuser un peu sous cette question de l’aquarium, j’en vois une autre plus large : celle de notre vision de l’homme dans son environnement : est-ce que la nature est à la disposition de nos activités humaines où bien a-telle le droit d’exister telle qu’elle est sans subir nos envies diverses et variées d’être humains…
Anim'acteur·ices n°19
Articles paru dans Animacteur·ices n°19 - Septembre 2017 -
Dossier : L'éducation relative à l'environnement