Promenade dans la nuit
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Depuis l’aube de l’humanité, l’imagination débordante des hommes a peuplé l’obscurité de personnages fantastiques, souvent inquiétants. Ses croyances ont apporté une explication à des phénomènes apparemment surnaturels. Ainsi, le Roi des Aulnes n’est autre qu’un voile de brouillard, la fée, le reflet de la lune sur un tronc de bouleau, et le gnome, un lapin en fuite.
Prises dès la petite enfance, de mauvaises habitudes peuvent conduire à de véritables traumatismes. Dormir les volets hermétiquement clos et à la lumière d’une veilleuse coupe l’enfant du monde extérieur. S’il se réveille dans l’obscurité totale, il est saisi d’une peur panique irraisonnée. L’adulte réagit parfois aussi mal : sueurs froides, cœur battant la chamade.
Le centre de vacances ou le centre de loisirs, le camp, le stage sont des moments privilégiés pour essayer de résoudre les difficultés que beaucoup ressentent, selon des modes différents, face à l’obscurité. Se couper, même temporairement, des angoisses imposées par la civilisation moderne est bénéfique à tout âge, y compris pour de petits enfants de cinq ou six ans auxquels on peut faire vivre des expériences passionnantes.
Une entrée progressive
Dans un premier temps, une phase de sensibilisation est primordiale et peut prendre des formes diverses.
Chez les enfants, les jeux constituent une bonne préparation. Certains se jouent les yeux bandés ou dans une pièce obscure : ils réclament le silence, et conduisent à écouter, sen- tir, toucher, s’orienter…
À la tombée de la nuit, confortablement installé dans un endroit bien dégagé, assez loin des bâtiments pour ne pas être gêné par les éclairages, un groupe peut observer, se laisser pénétrer par toutes sortes de sensations. Faire une promenade à proximité des zones habitées, mais dans la pénombre, offre l’occasion de se réapproprier l’ensemble des facultés sensorielles émoussées par les lumières, les odeurs ou les bruits agressifs.
Ainsi, petit à petit, ces facultés se remettent en éveil. La nuit, la voix porte mieux que le jour, car elle est moins couverte par les bruits parasites des voitures ou des usines…
Une promenade nocturne conduit instinctivement à parler à voix basse, avec une élocution plus lente et mieux articulée.
Par là même, les facultés auditives s’affinent. Des bruits jusqu’ici ignorés deviennent parfaitement perceptibles - cris d’animaux, chants d’oiseaux de nuit, bruissement des feuilles ou babil d’un ruisseau.
Après l’éblouissement des éclairages, la vue s’adapte en quelques minutes à la nuit. Alors qu’au début, tout semblait d’un noir profond, le promeneur distingue rapidement ici un arbre, là une haie ou un rocher, le passage d’un lapin ou d’une chouette. Les odeurs nouvelles ou inconnues s’imposent : résine, humus, champignons, marais… Le toucher aide à en déterminer l’origine : feuille, écorce, fleur, fruit.
Dans la journée, le sens de la vue est prioritaire pour se diriger, éviter les obstacles, recueillir les informations ; rares sont les occasions de faire intervenir simultanément tous les sens. La nuit, ils deviennent parfaitement complémentaires. Une odeur d’humidité et le bruit de l’eau annoncent un ruisseau ou un marécage que les yeux n’ont pu encore découvrir.
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Un itinéraire étudié
Prélude à toute activité nocturne, elle demande à être abordée progressivement et avec prudence, surtout avec des enfants. Il faut vivre plusieurs expériences pour profiter pleinement du plaisir que procurent ces sorties. En premier lieu, il est indispensable que le groupe d’enfants choisisse un itinéraire qui sera d’abord parcouru de jour ; qu’il s’agisse d’un simple aller et retour ou d’un circuit. Ce trajet est varié, passant de zones dégagées à des haies ou des sous-bois, mais il ne comporte aucune difficulté particulière ni de forte dénivellation. Il ne doit pas excéder une heure de trajet : cet itinéraire servira d’autres soirs, et il faut tenir compte du fait qu’on marche moins vite la nuit que le jour.
Une seconde étape consiste à reprendre le parcours en partant de jour et en rentrant de nuit, une troisième en s’y promenant entièrement de nuit.
Ce n’est qu’après ces expériences qu’il est possible d’envisager d’autres formes de promenade, tout en respectant une progression pour la durée et les difficultés rencontrées : itinéraire peu connu, ou totalement inconnu, sauf de l’encadrement, en partie ou totalement hors des chemins (landes, sous-bois…).
En aucun cas, la promenade de nuit ne devra être confondue avec une opération survie ou un raid de commando. Les animateurs, connaissant bien leurs enfants, s’efforcent d’adapter au mieux l’itinéraire, sa durée et les difficultés à rencontrer à leur âge et à leurs possibilités physiques et nerveuses.
En effet, les sorties nocturnes, en sollicitant tous les sens en permanence, imposent aux participants une tension nerveuse parfois importante. Un enfant qui se serait senti en insécurité profonde, et qui aurait eu peur, reviendrait énervé, éprouverait des difficultés pour s’endormir, pourrait faire ensuite des cauchemars.
La sécurité
Physique ou affective, elle est primordiale dans la préparation des promenades nocturnes. Il est préférable d’éviter sur le parcours les chemins difficiles ou humides, les sous-bois encombrés de branchages, les forêts aux arbres de formes tourmentées, les ruines, les zones rocheuses…
De même, on évite de faire ces sorties les soirs de fort vent, de pluie, de brouillard ou d’orage.
Un équipement des participants est un facteur déterminant pour la réussite ou l’échec des promenades nocturnes. On n’en profite pleinement que si l’on est physiquement à l’aise. En fonction de l’itinéraire, de sa durée, des difficultés, il comporte toujours de bonnes chaussures, un pantalon qui protège les jambes des ronces et des orties, un pull- over ou une veste car les nuits sont parfois fraîches et humides. Pour ne pas perturber les milieux qui vont être traversés et risquer d’éloigner les animaux que l’on veut observer, il faut proscrire les vêtements clairs. De même, il faut éviter les K-ways et les cirés, trop bruyants.
La lampe de poche
Elle constitue l’élément sécurisant par excellence. Cependant, son usage intempestif pré- sente bien des inconvénients. Il limite le champ de vision à la petite zone éclairée et perturbe l’acuité visuelle pendant plusieurs minutes, le temps que les yeux réagissent à l’éblouissement, puis se réadaptent lentement a l’obscurité profonde. Aussi, est-il préférable que seuls en soient munis les animateurs, l’un à l’avant du petit groupe, l’autre à l’arrière. Les lampes ne sont destinées à servir qu’en cas d’urgence : accident, passage délicat, obstacle imprévu, lecture de la carte ou d’un panneau indicateur.
Un procédé efficace consiste à teindre le verre de la lampe au vernis à ongles rouge, qui s’enlève ensuite par grattage ou à l’aide d’un solvant. On s’habitue très vite à un tel type d’éclairage, qui n’éblouit pas, ne gêne pas l’environnement, et demeure suffisant pour ce genre d’activité. Par précaution, l’encadrement peut prévoir une lampe claire de secours. Au cours de la sortie, on peut envisager des observations aux jumelles ou à la monoculaire. Ces appareils doivent être choisis très lumineux si on veut les utiliser de nuit : 6 x 40, 7 x 50, 8 x 60 (voir VEN n° 284 ou dossier VEN n° 8).
Un changement de comportement
Pour qu’elle soit profitable et demeure un moment agréable, la promenade de nuit demande une révision des habitudes et des comportements. Une telle sortie s’effectue en silence, les sens aux aguets. On ne parle qu’en cas de nécessité, à voix basse et en articulant. Il faut réapprendre à marcher, à progresser lentement, en posant le pied a plat pour sentir le caillou qui peut faire trébucher, ou la branche morte qui risque de craquer. Plus encore que le jour, il faut respecter un intervalle suffisant entre deux marcheurs, de manière à ne pas se faire cingler le visage par la branche lâchée par le marcheur qui précède.
Il faut s’arrêter souvent pour regarder, écouter, sentir… et attendre les éventuels retardataires. Lorsqu’on passe d’une zone sombre, en sous-bois, à une zone dégagée, ou inversement, il faut marquer un temps d’arrêt d’au moins une minute pour laisser à la vue le temps de s’adapter au changement d’éclairage avant de repartir. En cas de lune, il vaut mieux éviter de marcher face à l’astre qui peut être éblouissant.
Enfin, il est bon de rappeler qu’il faut proscrire le tabac, le chewing-gum ou le parfum, produits dont les émanations atténuent les facultés sensorielles, portent très loin et influencent le monde animal. On sait par exemple que la distance de fuite d’un chevreuil, distance à laquelle il commence à montrer de l’inquiétude et s’éloigne, est généralement d’une cinquantaine de mètres la nuit. Quand l’animal perçoit des odeurs étrangères, cette distance passe à cent cinquante mètres !
Crédit photos : CEMEA
Observer la nuit
Une promenade de nuit est l’occasion de nombreuses observations, proches ou lointaines. Pour observer le paysage, il est bon de choisir un point surélevé, et de s’installer le dos à la lune. On peut repérer les routes, les voies de chemin de fer, les agglomérations, le centre de vacances et tout localiser sur la carte à l’aide de la lumière rouge. La brume qui monte, les nuages, la lune, un avion dont les feux clignotent, un satellite qui traverse le ciel, étoiles et planètes sont autant de spectacles que révèle une promenade nocturne.
L’observation de la nature proche, réclame de plus grandes précautions. Se placer en lisière de forêt, en bordure d’une clairière, au dos d’une haie, face à un secteur bien dégagé, loin des routes et du village, des lumières, des bruits et des odeurs parasites. S’installer confortablement, et attendre, en silence… pour se confondre avec l’environnement.
Avec de la patience et un peu de chance, le groupe pourra se livrer à une foule d’observations et de découvertes : lapins, lièvres, renards, oiseaux et papillons de nuit, lucioles ou vers luisants, chevreuils, cerfs et sangliers, et beaucoup d’autres animaux se manifesteront peut-être.