LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Entre séduction et interdit

Les séjours de vacances tiennent une place essentielle dans la socialisation adolescente. Pour les choses de l’amour, la découverte du sexe et plus largement pour la construction de leur autonomie. Ce n’est pas sans poser questions aux équipes d’encadrement
Média secondaire

Pour les jeunes, la colonie de vacances est un temps de rencontre et de convivialité. Loin de leur famille qui tente souvent de contrôler leurs amitiés, les jeunes se trouvent plus libres de tisser des liens selon leurs choix propres. Par ailleurs, la colo facilite les relations entre les sexes, à un âge où celles-ci ne sont pas toujours évidentes, surtout dans le contexte très normatif du collège ou du lycée (Metton, 2006 ; Pasquier, 2005). Tout se passe comme si une partie des barrières qui s’érigent entre le monde des filles et celui des garçons au quotidien s’effritait. Les contacts et les discussions deviennent plus aisés. Il est possible de suspendre en partie, et en partie seulement, les normes qui ont généralement cours dans la vie quotidienne parce que chacun sait « qu’on ne se reverra pas » et parce qu’on est là pour « se taper des délires ».

Comme au collège et au lycée, pourtant, les hiérarchies entre les jeunes se construisent dans les séjours. Chacun se voit attribuer un rôle, leaders ou loosers. Dès leur arrivée, quel que soit leur âge, les jeunes sont distingués selon leur sexe pour établir la répartition des chambres. Cette interdiction de la mixité dans les chambres participe à la construction de leur identité de genre qui peut être mise en scène par la suspension de maillots de bains aux fenêtres ou encore des scènes de déshabillage s’apparentant à des strip-teases, faits par les filles comme par les garçons. Là encore, les hiérarchies et le prestige se construisent. Il y a les chambres qui font du bruit, où on « rigole » bien et celles qui respectent l’extinction des feux ; appartenir à l’une des chambres renommées étant pour les jeunes l’occasion de rappeler à tous leur degré de popularité.

Les veillées et les boums

Avec la boum, la veillée est l’un des moments les plus appréciés de la colo, parce qu’elle est un temps de détente et d’amusement nocturne mais aussi et surtout, parce qu’elle autorise les rapprochements avec l’autre sexe. C’est le cas des jeux de travestissement autorisés voire organisés qui sont l’occasion pour chaque genre d’aller vers l’autre. Il s’agit en effet souvent d’un temps où filles et garçons ont le droit de circuler librement dans la zone « interdite » de l’autre sexe dans le but de pouvoir obtenir des vêtements pour le déguisement. Les apparats sont alors associés à des paroles et à des comportements, il s’agit d’exacerber tout ce qui appartiendrait à l’autre sexe.

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La boum est souvent citée parmi les événements marquants des jeunes, en cool, car elle facilite l’entrée dans les premières relations amoureuses, les premiers contacts entre filles et garçons à travers la danse et notamment le slow. Une autre utilité de la boum, essentiellement évoquée par les filles est la possibilité de danser avec leur animateur favori. S’il ne s’agit pas réellement de sentiment amoureux, c’est l’occasion de tester sa capacité de séduction et de montrer aux autres ses atouts. En effet, toutes les filles ne pourront pas danser avec les animateurs leaders considérés comme les plus beaux. Dès lors, celles qui y arriveront seront les élues; elles verront leur capital de séduction se confirmer et gagneront en prestige auprès de leurs pairs. Boum ou pas, la dernière soirée avant la fin du séjour peut engendrer un certain nombre de passages à l’acte, parmi lesquels les rapports sexuels sont les plus redoutés par les animateurs. Sorte de tradition de fin de séjour, cette dernière soirée fait partie du rituel de clôture de la colo au cours duquel tout est possible, comme si les règles de vie n’étaient plus en vigueur le temps d’un moment, en raison du départ le lendemain. Dans l’ensemble des colonies de vacances pour adolescents, la sexualité est interdite de manière explicite ou implicite selon les cas, ou du moins les adultes cherchent à repousser ces moments, à les éviter.

Sexualité : l'interdit majeur

Contrairement à l’alcool ou au cannabis, la relation sexuelle consentie ne semble pas être un motif d’exclusion pour les directeurs rencontrés, en revanche une partie d’entre eux considère important d’en référer aux parents sur le principe, même s’ils ne l’ont jamais fait. L’envie de séduire est un invariants de l’adolescence mais les adultes usent encore souvent de l’interdit quand il s’agit d’acte sexuel. De plus, l’hétérosexualité est la norme et la question du genre reste pour beaucoup un tabou qui confine chacun et chacune dans cette norme exclusive et excluante. En séjours de jeunes, où les occasions de se rencontrer et de passer à l’acte sont nombreuses, il est nécessaire de réfléchir au cadre et aux règles qui régiront l’agir des corps et des sentiments. 
La règle de l’interdiction à la sexualité est une manière de mettre de côté une problématique pourtant forte à l’adolescence et dans la construction de soi, favorisée dans un contexte de vacances, d’été plus particulièrement. Contrairement aux règles de vie quotidienne sur le comportement (respect, non violence), celle-ci est rarement écrite.

Comme pour la consommation d’alcool, la non-sexualité est formalisée oralement, parfois simplement sous-entendue. Le fait est que les règles varient selon les équipes d’animateurs, selon leurs représentations de la jeunesse, de la première fois, et plus largement de la sexualité. Si pour les uns la sexualité est une expérience comme une autre, pour d’autres il faut protéger les jeunes, ce qui passe par les empêcher de passer à l’acte. Le risque étant alors que le rapport sexuel ait lieu dans des conditions moins « idéales ». Par ailleurs, force est de constater que si les animateurs sont vigilants quant aux rapprochements des jeunes adolescents entre eux, et plus particulièrement aux rapprochements des corps, ils n’envisagent les relations entre jeunes que sous l’angle de l’hétérosexualité. La colo laisse en effet peu de place à l’expression de sentiments ou de pratiques homosexuelles. Sans s’en rendre compte, les animateurs font, à l’occasion des veillés ou des boums, des remarques qui rappellent violemment la norme hétérosexuelle.

Un lieu d'apprentissage

S’il est possible d’affirmer que les colonies de vacances jouent un rôle essentiel dans la construction identitaire des adolescents, c’est bien qu’elles autorisent nombre d’apprentissages pour les jeunes. A travers les temps libres organisés dans la colo, les jeunes s’exercent également à gérer leur autonomie. Concernant les relations de genre, le bilan est mitigé. Si les colonies autorisent des relations entre les sexes souvent plus aisées que dans la vie quotidienne et permettent aux jeunes d’apprendre les parades amoureuses et les manières de séduire l’autre sexe, elles contribuent à renforcer considérablement les stéréotypes de genre. Si les colonies ont bonne presse auprès des jeunes qui partent, c’est non seulement parce qu’elles permettent de se faire des amis facilement et rapidement, de faire des rencontres amoureuses mais aussi parce qu’elles rendent possible la découverte de l’autre sexe de façon plus intime que dans la vie quotidienne. C’est cet état de fait qui explique que, parmi les moments marquants des colonies, la bataille de polochons revienne de façon récurrente, et tout particulièrement celle qui oppose filles et garçons. Ce moment autorise les rapprochements corporels entre les filles et les garçons au même titre que le jeu « action ou vérité » sans engagement aucun.

 


Cet article est issu de la revue des Cahiers de l'animation Vacances-Loisirs