Conférence - Les nouvelles formes de familles et de parentalités
Pour aller plus loin...
Rapport du groupe de travail Filiation, origines, parentalité
Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle
Irène THERY présidente
Anne-Marie LEROYER rapporteure
Extraits de l’Introduction
Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle
« Filiation, origines, parentalité » : la dénomination de notre groupe de travail résume la mission qui nous a été confiée. Elle comportait deux volets distincts et liés. Le premier était d’élaborer, dans la perspective d’une prochaine loi sur la famille, des analyses et préconisations sur deux thèmes précis : l’accès aux origines et la place familiale des beaux parents.
Le second était d’aller au-delà, et de proposer au débat public et politique une réflexion prospective sur la filiation en général.
Nous sommes particulièrement reconnaissants à notre commanditaire de nous avoir permis de déployer cette réflexion prospective. En effet, à travers les deux premiers thèmes qui nous ont été confiés, la question de la filiation est directement posée et l’éluder ne nous aurait pas permis de présenter une analyse satisfaisante. De façon plus générale, il nous importe tout particulièrement, en tant qu’universitaires, qu’une mission d’expertise ne se limite pas à solliciter des propositions sur tel ou tel sujet particulier mais témoigne aussi de l’ambition de donner un horizon moins morcelé au débat citoyen, en permettant à des spécialistes de confronter au sein d’un groupe de travail, puis de rendre publiques par un rapport, les analyses d’ensemble qu’ils ont forgées au cours du temps.
Quel est le problème posé ?
À première vue, la question de l’accès aux origines et celle des beaux-parents dans les familles recomposées n’ont rien à voir. L’accès aux origines concerne deux situations : celle des enfants nés sous X, adoptés ou pupilles, et celle des enfants nés d’engendrement avec un tiers donneur dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP).
Ces deux situations impliquent des personnes qui ont joué un rôle dans le passé, autour de la naissance de l’enfant, mais qui ne sont plus présentes dans sa vie voire n’y ont jamais été, et en tout cas ne jouent aucun rôle éducatif ou de soin : les parents de naissance d’une part, les donneurs d’engendrement d’autre part. Au contraire, les beaux-parents qui vivent aujourd’hui dans les familles recomposées sont des personnes qui n’ont pas été partie prenante de la naissance de l’enfant, n’étaient pas dans sa vie au départ, mais qui ensuite ont rencontré un de ses parents (veuf, séparé ou divorcé), ont décidé de partager sa vie et assument de fait des responsabilités de soin, d’éducation et de prise en charge de cet enfant au quotidien.
Deux situations opposées, donc.
Elles ont pourtant en commun quelque chose d’essentiel : tous ces personnages sont maintenus à l’écart de la famille, voire relégués dans les placards de l’histoire familiale.
Nous n’évoquons pas ici les aléas de la vie des gens ou leurs conflits privés. Non, si ces personnages sont privés d’existence, c’est au sein de nos institutions, par le droit, par l’État. Ils n’ont pas droit de cité, soit qu’ils n’aient pas de reconnaissance sociale (les beaux-parents), soit que leur identité soit devenue inaccessible (les parents de naissance), soit qu’elle ait été volontairement effacée, pour faire comme s’ils n’avaient jamais existé (les mères sous X ; les donneurs de gamètes et d’embryons). Et pourtant ils ont existé, ils existent.
Ces différentes formes d’effacement institutionnel peuvent être vécues par l’enfant comme le déni de son histoire biographique, et par l’adulte comme une atteinte à son identité personnelle et une injustice qui lui est faite. De là une critique portée par les nouvelles générations contre un droit qui paraît obsolète :
- Critique des personnes nées sous X, des adoptés et pupilles, ou encore des enfants nés d’AMP, devenus aujourd’hui de jeunes adultes et pour qui l’accès aux origines doit être reconnu comme un droit fondamental de la personne ne menaçant en rien la filiation, alors que ce fut pour leurs aînés des générations précédentes une quête solitaire et douloureuse, dont ils ne pouvaient même pas parler à leurs proches.
- Critique, aussi, des jeunes beaux-parents trentenaires ou quarantenaires qui ont pu voir comment dans la génération de leurs propres parents, la première qui ait connu le divorce de masse, les beaux-pères et belles-mères –aujourd’hui devenus des « beaux-grands parents »– n’ont bénéficié d’aucune forme de reconnaissance sociale, alors même que jamais dans l’histoire de la famille autant de soins, de dévouement, d’engagement financier et de responsabilité pour les enfant d’autrui n’ont été déployés spontanément et à une aussi vaste échelle.
Avec le développement du divorce, mais aussi de l’adoption et plus récemment de l’AMP, ces situations familiales se sont développées dans tout le monde occidental, et elles ont donné lieu dans de nombreux pays à des évolutions significatives du droit. En contraste, le débat français apparaît singulièrement bloqué, notamment parce que se perpétue un extraordinaire malentendu sur l’objet même de ce qui est en question.
Irène Théry, sociologue : "Les couples de même sexe redéfinissent la filiation" / Interview JDD, le 19 juillet 2018
INTERVIEW - L'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) est l'un des sujets de la révision de la loi de bioéthique. Pour Irène Théry, directrice d'étude à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), spécialisée dans la sociologie de la famille, cette étape s'inscrit dans "une révolution de velours" déjà engagée de longue date.
Le Conseil d'Etat a rendu mercredi un avis ouvrant la voie à l'extension de la PMA (procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, un point qui figure au cœur de la révision des lois bioéthiques et des débats qui l'entourent. Le député En Marche Guillaume Chiche explique dans le JDD vouloir déposer une proposition de loi en ce sens.
Selon Irène Théry, directrice d'étude à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), spécialisée dans la sociologie de la famille, cette étape s'inscrit dans "une révolution de velours" déjà engagée de longue date.
Six ans après la loi Taubira, qu'est-ce que l'ouverture du mariage aux couples de même sexe a changé?
Nous en avons terminé pour l'essentiel avec le débat autour du couple. La manière dont notre société organise ce lien est enfin claire : un couple, ce sont deux personnes qui partagent un lien affectif mais aussi une communauté de vie qui peut se traduire par une union libre, un pacs ou un mariage. Par le passé, le seul couple reconnu était hétérosexuel et marié, socle de la seule "vraie" famille. Aujourd'hui, le couple est autonome du lien à l'enfant, qui, lui, est inaltérable. L'idéal d'indissolubilité naguère caractéristique du mariage s'est déplacé sur la filiation. Le nouveau risque du couple, ce n'est plus de rester comme deux bœufs attachés au joug matrimonial mais de s'entendre dire un beau matin : "Je m'en vais."
En novembre 2012, vous expliquiez dans le JDD que cette loi ouvrait "un futur différent pour la filiation". Qu'en est-il aujourd'hui?
Dans le cadre de la loi sur le mariage pour tous, l'adoption a été un pas symbolique majeur : désormais notre droit dit qu'un enfant peut avoir deux pères ou deux mères. Mais on n'est pas allé jusqu'au bout. Au sein même de la majorité, beaucoup étaient pour l'adoption par deux personnes du même sexe mais contre la procréation médicalement assistée [PMA]. Ce qu'on attend d'un parent, c'est qu'il aime son enfant de manière inconditionnelle, le soigne, l'éduque, le protège, l'accompagne dans l'autonomie...
Qu'est-ce qui se joue, aujourd'hui, autour du débat sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes?
Comme cela a été le cas au moment du mariage pour tous, les couples de même sexe agissent comme un révélateur, comme un élément de changement. Aujourd'hui, il faut redéfinir le régime de filiation. Et c'est autour d'une modalité - la PMA avec don - que se joue cette clarification. En réalité, la société a déjà effectué une révolution de velours, si consensuelle qu'elle ne s'en rend même pas compte. Aujourd'hui, personne n'aurait l'idée de montrer un enfant du doigt parce que ses parents ne sont pas mariés. Pourtant, jusqu'en 1972 et la loi posant le principe de l'égalité des enfants légitimes et naturels, la présomption de paternité était le cœur du mariage, et la filiation légitime, la seule reconnue. Le mariage était l'institution qui donnait des pères aux enfants que les femmes mettaient au monde. Autant il y avait une présomption de paternité dans le mariage, autant en dehors il y avait une interdiction de recherche en paternité.
En quoi la PMA questionne-t-elle la parentalité?
Le lien de filiation est un lien fait de droits, de devoirs, d'interdits. C'est un lien social. Désormais, que les parents soient mariés ou pas, unis, séparés, de même sexe ou de sexe opposé, le lien est défini de la même façon. Même si les situations sont plurielles, on tend vers un même idéal qui n'est pas contesté. Ce qu'on attend d'un parent, c'est qu'il aime son enfant de manière inconditionnelle, le soigne, l'éduque, le protège, l'accompagne dans l'autonomie... Même si tout n'est pas résolu et que des problèmes subsistent, une partie de cette métamorphose est accomplie : on a redéfini une filiation en lien avec nos valeurs contemporaines. Dans ce contexte où la filiation est unique, la façon de l'établir peut varier. Le groupe de travail "Filiation, origines, parentalité" que je présidais, et qui a rendu son rapport en 2014, proposait de "replacer les nouvelles technologies de reproduction au sein d'un monde humain". Les enjeux majeurs sont symboliques et portent sur le système occidental de parenté. En articulant de façon nouvelle filiation et origines, nous réintégrerons les personnes nées de dons dans la condition commune. Comme on l'a fait pour la famille adoptive, il est temps d'assumer la famille née de don.
C'est-à-dire?
La filiation peut s'établir de trois façons : en prenant appui sur la sexualité reproductrice, qui reste la manière la plus courante de faire famille ; par l'adoption, qui est relativement récente ; et enfin par l'engendrement avec un tiers donneur, la seule modalité qui pose encore problème. C'est là que tout le débat lié aux couples de même sexe vient jouer comme un révélateur. Certains préfèrent pointer ces couples comme étant ceux qui posent un problème alors qu'ils portent la solution. Pendant longtemps, l'adoption devait mimer la procréation pour être acceptable. Souvent on ne disait pas aux enfants qu'ils avaient été adoptés, et ils n'avaient pas accès à leur dossier. Avec le développement de l'adoption internationale, la société a transformé son rapport à l'adoption, aidée par le fait que ces enfants ne ressemblaient pas à leurs parents. On a commencé alors à revendiquer la famille adoptive comme une façon très belle, très digne et différente de faire famille. Aujourd'hui, les mêmes enjeux de "vérité" se posent pour la PMA avec don, et l'ouverture de celle-ci à toutes les femmes peut être une avancée éthique pour tous.
Pour quelle raison?
Les couples de femmes ne mentent jamais à l'enfant sur leur mode de conception. Contrairement à ce que prétend La Manif pour tous, dont le slogan en 2013 était : "On ne ment pas aux enfants." Au contraire, ces couples lèvent le voile sur le mensonge d'une société qui organise des familles avec don et les dissimule. En France, plus de 80.000 enfants sont nés d'un don de sperme et près de neuf de ces enfants sur dix ne le savent pas.
Quel est le problème finalement si le parent est celui d'intention?
Le problème, c'est que la société l'organise et le dissimule. On fait passer le couple receveur pour un couple procréateur. Comme pour l'adoption, pour que ce soient des familles comme les autres, il a fallu qu'elles puissent passer pour des familles biologiques. Cela va très loin puisque le donneur est choisi à partir de caractéristiques physiques semblables et d'un même groupe sanguin que le receveur, dans le seul but d'accréditer un mensonge. Comme on l'a fait pour la famille adoptive, il est temps d'assumer la famille née de don et d'avoir un débat de société sur le don d'engendrement : don de sperme, d'ovocyte, de gestation pour autrui [GPA]... Selon moi, on doit rembourser de la même façon toutes les PMA avec donMettez-vous dans une même classe don de sperme et mères porteuses?Bien sûr que non, car les dons de gestation sont radicalement différents. Mais j'inclus la GPA dans les engendrements avec don : un couple qui ne peut pas procréer fait appel à une tierce personne qui donne de sa capacité procréatrice pour que ce couple puisse avoir un enfant. Le donneur n'a fait ce don que pour que d'autres puissent devenir parents. L'enfant a donc des parents et un donneur ou une donneuse, qui sont complémentaires sans se confondre. Il y a un enjeu sociétal important. Notre société est-elle prête à admettre ce qu'elle organise depuis maintenant un demi-siècle?
Concrètement, comment s'établira la filiation d'un enfant né d'une PMA avec ses deux mères?
Une solution consisterait à faire une "déclaration commune anticipée de filiation". Dans les cas de procréation médicalement assistée, la personne qui veut bénéficier d'un don doit commencer par passer devant un juge pour donner son accord sur le processus de don. On pourrait faire sa déclaration anticipée de filiation au même moment.
Faut-il rembourser les PMA dites sociétales?
Certains voudraient nous faire croire que la PMA pour toutes serait une PMA "de convenance". Mais il y a toujours eu deux PMA : une PMA thérapeutique dont l'objet est de traiter l'infertilité d'un couple qui n'arrive pas à procréer, et la PMA avec don qui est une PMA sociétale. La médecine contribue à un arrangement social - la possibilité d'engendrer un enfant grâce à un tiers donneur - et organise la dissociation sexualité/reproduction. Elle est nécessaire pour cette coopération entre donneurs et parents mais elle ne soigne pas. C'est bien la raison pour laquelle les couples de femmes se sont dit : "Pourquoi pas nous?" Selon moi, on doit rembourser de la même façon toutes les PMA avec don.
La parentalité : une mise au neutre des parents ?Article de Monique Besse / Extrait de la Revue VST des Ceméa n°110 (2011)
Le mot « parentalité » est un néologisme, c’est-à-dire un mot inventé, qui ne figure pas dans les dictionnaires mais qui fait son chemin. Et généralement, comme le souligne Éric Hazan 1, le néologisme est porteur d’une idéologie qui ne se dévoile pas mais envahit le discours, les modes de pensée et de faire. Il s’impose et inhibe la pensée. Le secteur social absorbe volontiers les néologismes qui lui sont proposés car il est particulièrement poreux à un vocabulaire qui « fait » scientifique et remplace à bon compte une réflexion en profondeur sur les pratiques, la façon de les nommer et de les penser.
Naissance d’un néologisme
Les lois récentes (de 2002 à 2007) sont porteuses de transformations profondes du secteur sanitaire et social, et imposent un vocabulaire nouveau, en partie importé du secteur industriel et commercial, qui transforme profondément sa culture. La mise en oeuvre de l’évaluation favorise sa diffusion.
Dans le domaine de la formation, on assiste également à une transformation des références, notamment avec la notion de compétences (à acquérir, à valider) qui est l’un des maîtres mots du nouveau langage.
Celui-ci chemine entre néologismes et subtils détournements du sens commun. La codification de certaines expressions (le terme « bonnes pratiques » en est un exemple pertinent) en rigidifie l’utilisation et les rend impropres au libre exercice de la pensée. De plus, ce nouveau vocabulaire circule sans jamais être défini, ce qui accentue son obscurantisme et donne l’illusion d’un langage commun.
J’ai donc commencé une petite recherche concernant la date et le contexte d’apparition du mot pour essayer d’y voir un peu plus clair et d’approcher son sens.
Il y a un consensus entre les chercheurs qui se sont posé la question de l’origine de ce mot. Il serait issu du champ de la psychologie et de la psychanalyse : P.-C. Racamier parle (en 1961) de maternalité pour désigner les processus psychiques qui se déroulent chez la femme au moment de la grossesse, de l’accouchement et des premiers soins à l’enfant. Ce sont les processus pathologiques qui intéressent alors plus particulièrement cet auteur, et notamment la psychose puerpérale. Ce questionnement est étendu à la transformation psychique du « devenant père » et l’on parlera alors de paternalité.
Dans les années 1980, René Clément 2, psychologue et psychanalyste, invente le terme de dysparentalité pour désigner les comportements pathologiques des parents. Cela coïncide avec la préoccupation largement partagée par les intervenants sociaux, les psychologues, les magistrats et les pouvoirs publics concernant les enfants battus et plus généralement victimes de mauvais traitements. Toutefois, les parents défaillants sont de plus en plus considérés non comme des coupables mais comme des victimes, des « parents en souffrance », pour reprendre l’expression de René Clément, qu’il faut comprendre et aider. On reconnaît progressivement les méfaits de la séparation, notamment des séparations précoces, et donc l’importance des parents, dont il faut soutenir la parentalité, c’est-à-dire une qualité spécifique qui ne se résume ni aux soins ni à l’éducation. Il aura fallu quelques décennies depuis les travaux de Françoise Dolto et de Jenny Aubry pour modifier le regard porté sur les parents.
Selon Catherine Sellenet, chercheur au GREF (Groupe de réflexion sur l’enfance et la famille), le terme de monoparentalité est importé des États-Unis par les sociologues féministes et adopté par l’INSEE en 1981. De « fille mère », les femmes élevant seules des enfants nés hors mariage sont donc devenues des chefs de famille monoparentale. Quel changement !
L’homoparentalité apparaît à la fin des années 1990, en lien avec la revendication des couples homosexuels (qui ont dorénavant accès à une forme d’union socialement reconnue, le Pacs) de pouvoir adopter ou devenir parents des enfants qu’ils revendiquent comme « leurs ».
Enfin, avec la multiplication des divorces et séparations ainsi que des familles dites recomposées, on parle maintenant de coparentalité (partage des responsabilités parentales lorsque les parents ne vivent plus ensemble) et de pluriparentalité à propos des différents adultes qui ont des fonctions parentales à l’intérieur des familles recomposées.
Il y a fort à parier qu’avec l’allongement de la durée de la vie et la sollicitation des grands-parents à prendre en charge leurs petits-enfants, on voit se répandre le terme de grand-parentalité.
En conclusion, le sens du terme « parentalité » a changé de registre. Des processus intrapsychiques à l’œuvre dans le devenir mère ou père, on est passé à ce qu’on nomme aujourd’hui « compétences parentales » (autre néologisme), permettant de remplir une fonction aux multiples aspects (satisfaire les besoins primaires, affectifs et éducationnels de l’enfant). L’extension de son usage s’accompagne du passage du domaine de la psychologie dynamique à celui de l’éducation et des politiques sociales, et se teinte de moralisme.
Cela permet d’introduire l’idée d’une éducation à la parentalité : comment transformer ceux qui sont identifiés comme défaillants ou insuffisants en bons parents ? Mais la neutralité du terme de « parentalité » gomme les jugements de valeur, mal considérés à notre époque (on parlera par exemple de malentendants et de malvoyants au lieu de sourds et d’aveugles), et fait passer le contrôle social comme une forme d’éducation.
L’usage du terme passe par des disjonctions
Pour que l’usage de ce terme soit possible, il faut qu’un certain nombre de transformations s’effectuent dans les représentations et les pratiques. Je nomme ces transformations desdisjonctions ou des dissociations : ce qui autrefois allait de pair dans les consciences individuelles comme dans les institutions sociales doit être disjoint :
- la parentalité est dissociée du biologique : au-delà de l’adoption, différentes techniques médicales peuvent permettre d’avoir des enfants « hors corps », de la mère (mère porteuse)et du père (insémination par un « donneur ») ;
- le fait d’être parent ne confère pas la compétence à assumer la fonction parentale.
Celle-ci peut ou non apparaître à la naissance de l’enfant. Elle peut être acquise, voireapprise. Elle n’est donc pas un instinct. L’idée d’instinct maternel, qui d’emblée rendrait la mère « suffisamment bonne » selon l’expression tant reprise de Winnicott, est battue en brèche. Ou pour faire référence à l’ouvrage d’Élisabeth Badinter 4, l’amour est en plus ! De même l’autorité paternelle ne découle plus automatiquement du fait d’être le père, elle peutêtre mal ajustée, abusive ou insuffisante ;
- la parentalité ne s’exerce pas forcément au sein d’une famille (élargie ou nucléaire).
Elle peut être le fait d’un individu isolé qui assume seul (ou est considéré comme tel si l’onfait abstraction de son entourage familial et relationnel) les fonctions parentales. C’est ce que l’on nomme la monoparentalité. La cellule de base de la société n’est donc plusnécessairement la famille comme groupe social complexe ;
- la parentalité n’est plus liée au sexe, à la différence sexuelle. L’évidence selon laquelle il fallait que les deux sexes soient là à la fois pour « produire » l’enfant et l’élever est remise enquestion. Dans l’homoparentalité, l’enfant peut avoir deux pères ou deux mères. La parentalité se met au neutre, fonction maternelle et fonction paternelle tendent à disparaître au profit d’une fonction parentale ;
- la parentalité est dissociée de la filiation biologique et juridique. Dans le cas de la multi- parentalité, les droits et devoirs des beaux-parents (et des compagnons des parents), dont on commence à beaucoup se préoccuper en raison du nombre croissant des famillesrecomposées, ne s’inscrivent plus dans ce cadre mais sont identifiés en termes de rôles joués au quotidien dans l’éducation de l’enfant ;
- la parentalité est dissociée de l’âge. Les femmes peuvent maintenant, grâce à des prouesses médicales, donner vie à un enfant à un âge avancé. Les grands-parents ont bien évidemment des compétences parentales ;
- et surtout, la parentalité est pensée en dehors de ses aspects fantasmatiques. Elle ignore la tragédie œdipienne et l’inceste. Elle condamne ses bien-pensants à ce que François Richard 5 appelle « une gestion sociale éducationnelle de la parenté ».
Cela permet de penser une parentalité sans inconscient et « hors sexe ». Une vision aseptisée du rapport parents-enfants, forme douce de castration de ceux qui sont amenés à confier leurs enfants à des établissements spécialisés. La dimension de la sexualité est ainsi escamotée. « Bénéfice », car la sexualité des parents et celle des professionnels sont toujours envisagées sous l’angle du pire : inceste chez les parents, pédophilie et sadisme chez les éducateurs. Ceux-ci se trouvent du même coup désexualisés, alors même qu’il leurest demandé depuis longtemps de travailler en « couples », le fameux couple éducatif ! Il yaurait lieu ainsi de s’interroger sur les effets de ce « nettoyage » sur les manifestations sexuelles des enfants et adolescents accueillis dans les foyers : on sait que les passages àl’acte homosexuels, les viols et les violences y sont nombreux.