Une belle occasion de bousculer l’ordinaire des personnes âgées
Crédit photo : Katarzyna Grabowska sur Unsplash
La mer n’est pas si loin, on l’entendrait presque en tendant l’oreille mais jamais on aurait eu l’idée d’aller y faire un tour. Et l’équipe de l’EHPAD l’a eue, elle, et a organisé un voyage de deux jours pour renouer le contact avec un milieu qui trop souvent est resté à l’état de souvenir. Le bénéfice de cette aventure n’est pas quantifiable mais aux dires de celles et ceux qui en ont bénéficié, ce fut un bonheur sans pareil. Quelque chose a changé, d’insoupçonnable, des réflexes qu’on croyait perdus ont repris de la vie. Il suffit parfois d’un tout petit rien pour retrouver l’envie et partant, les gestes simples de l’autonomie, qui s’étaient endormis.
Quand l’air de la mer revivifie soignants et résidents
Souvenir de 1996 qui fait écho à la réalité de 2021 avec un brin de nostalgie, mais qui donne envie de recharger les batteries et de se dire : « si c’était possible il y a 25 ans, ça peut l’être aujourd’hui... »
En Vendée, à Montaigu, un service de long séjour organise deux journées de détente pour ses pensionnaires. Cette aventure a permis de révéler ceux-ci sous un jour nouveau, d’humaniser, d’authentifier les relations entre soignants et patients. Un bilan extrêmement positif.
Depuis deux ans, le service de long séjour est indépendant. Auparavant les patients relevant d’une unité de soins de suite et de soins de longue durée cohabitaient sur deux étages. Cette scission a permis de mieux cerner les personnes âgées dépendantes.
Avec l’animatrice et grâce au budget alloué à l’animation, des voyages d’une journée ont pu être organisés. À chaque sortie les participants retrouvaient un degré d’autonomie, de socialisation, de joie de vivre, d’épanouissement inattendu.
Il a donc semblé intéressant d’aller plus loin et ainsi de projeter un voyage de deux jours et donc une nuit à l’extérieur.
Avant tout il a semblé nécessaire que pour cette aventure il y ait un accompagnateur pour une personne âgée. La recherche d’une maison en mesure d’accueillir les personnes en fauteuil roulant a été la première démarche, une prospection d’une journée par un duo constitué de l’animatrice et d’une infirmière a permis de trouver le lieu adéquat.
Il a ensuite fallu s’atteler à la préparation matérielle et s’efforcer de ne rien oublier (vêtements et matériel en bon ordre de marche) et chacun·e a alors pu partir avec sa valise personnelle. Comme n’importe quel départ en groupe, les résident·e·s n’ayant toutefois été prévenu·e·s que quelques jours à l’avance pour éviter qu’il·elle·s ne soient perturbé·e·s outre mesure.
La grande escapade
La visite d’un musée (celui de l’automobile à Talmont) était au programme , puis un repas au restaurant sur le port des Sables d’Olonne. Chacun et chacune a pu apprécier de choisir son menu et n’a nullement été gếné·e par la présence d’autres convives, inhabituelle.
Certaines personnes ont même fait preuve de capacités insoupçonnées qu’on ne leur prêtait plus. On a même assisté à des transformations surprenantes. La convivialité était à son summum, aucune impatience ne s’est faite sentir.
Pour une fois, pas de sieste, puis la visite d’un zoo agrémentée d’une plongée dans une nature dont les parfums ont ravi chaque pensionnaire.
À 19h, arrivée à la maison familiale de Jard sur mer. Malgré une fatigue toute relative la cuisine familiale a été fort appréciée.
la nuit a été paisible pour toutes et tous, rassuré·e, chacun et chacune a pu en toute sécurité dormir tout son saoul et récupérer d’une première journée bien chargée.
Une deuxième journée plus calme
Le lever individualisé, le déjeuner, même si les habitudes étaient quelque peu bouleversées, ont permis un début de journée en toute quiétude. Chacun·e était prêt·e pour une nouvelle journée qui s’annonçait tout aussi surprenante que celle de la veille.
À la plage, marcher dans l’eau a semblé être une découverte, en tout cas ce fut un véritable bonheur. Quelques jeux de ballon ont permis aux résident·e·s de faire preuve d’une belle vitalité et d’une habileté retrouvée. Deux personnes ont entamé une conversation avec deux jeunes enfants. Peu d’enfants en bas âge pénètrent dans l’institution, et l'envie de continuer à nouer des relations est bien présente.
Déjeuner puis achat de fruits de mer et goûter selon les préférences de chacun·e ont permis de vérifier (s’il le fallait) que le sens du goût était encore particulièrement actif.
Beaucoup d’appréhensions ont été levées, notamment celles que le personnel pouvait avoir. Cette expérience a permis à l’équipe de se remettre en question et de s’apercevoir que nombre de résident·e·s étaient encore capables d’agir alors qu’on les avait cantonné·e·s dans des activités qui ne leur permettaient pas de démontrer ces capacités qui étaient dissimulées mais bien là, promptes à affleurer lorsqu’on leur en donnait l’occasion.
Crédit photo : Aaron Andrew Ang sur Unsplash
Après la fête, des perspectives
Ce fut un échange plus authentique, débarrassé des stéréotypes et qui laisse des souvenirs communs (soignant·e·s/soigné·e·s) ayant trait au vécu de ce projet. Les regards de chacun et chacune s’en sont trouvé modifiés. Et la teneur des relations a évolué, le vivre ensemble y ayant contribué grandement.
Les rituels du repas ont connu une entorse à la règle, le choix (de place, de menu) était à l’ordre du jour, le respect de chaque personne, en tant qu’être unique. Belle occasion de retrouver une liberté qu’on pensait enfouie et inatteignable. Les impératifs de service sont souvent castrateurs et rabat-joie.
Et maintenant
Il reste à transformer l’essai, à prolonger le travail. La rencontre fortuite avec les enfants a semblé briser le carcan des générations. Déjà une invitation est lancée (fêtes de fin d’année, carnaval) aux écoles maternelles du secteur. Que va-t-il en advenir, quels échos se feront jour dans la tête des personnes âgées ? nul·le ne le sait, néanmoins on sait désormais que ce voyage a été le déclencheur d’une nouvelle ère.
Tant d’autonomie cachée, bétonnée même à force d’idées reçues, de stéréotypes accumulés, tant de richesses incarcérées ont enfin pu s’afficher au grand jour, parce qu’on leur a laissé la place. En ouvrant des perspectives, en changeant l’habitude, en permettant de vivre de nouvelles expériences, qui peut-être ont été déjà vécues, mais pas à cet âge-là.
Éclairage salutaire s’il en est ! La dynamique est engagée, il reste à en faire fructifier les pousses. Ce ne sera pas une mince affaire.
Ceci se passait en 1996, qu’est-ce qui fait qu’en 2021 on a plutôt l’impression de vivre une régression, un ré-enfermement des vieux et vieilles, une douce incarcération, une euthanasie déguisée en cadeau. L’animation a droit a la portion congrue dans l’univers des EHPAD. Les politiques publiques (sous couvert d’annonces à grand renfort de pub) semblent se désintéresser de la part prépondérante de cette fonction dans le vieillir de chaque résident, de chaque résidente. Alors, gageons que les animateur·trice·s sauront relever le défi de se rendre indispensables dans le processus du "bien vieillir"