Célestin Freinet le pédagogue
La première conquête, durable, reconnue de tous, est celle de la liberté d’expression de l’enfant. Expression libre dans les œuvres picturales, mais surtout expression de soi et communication par l’écrit. Le texte libre, tout le monde le reconnaît, est la pièce maîtresse de la pédagogie Freinet.
La liberté de penser de l’enfant
Écrire ce que l’on veut, sur un support (papier ou autre) choisi par soi, sur le thème qui vous tient à cœur, dans l’endroit où l’on se sent bien (en classe, à la maison, assis sur un talus...), le communiquer, ce texte, à qui l’on veut... voilà une invention pédagogique qui correspond à un principe - la liberté de pensée de l’enfant - et qui, par là même, est bien plus qu’une simple technique.
Magnifier ce texte, si le groupe-classe en décide ainsi, en l’imprimant, en le dactylographiant sur ordinateur, en le faisant paraître dans le journal scolaire, en l’adressant aux correspondants de la classe, en France ou à l’étranger... proposer tout cela, c’est proprement révolutionner l’écrit, lui donner sens.
Bien sûr, tous les pédagogues-militants de la pédagogie Freinet se plaignent des manières, nombreuses, de dévoyer, d’affadir la signification du texte libre. Pourtant, sa définition exacte est bel et bien reprise dans les instructions officielles. La pensée de Freinet sur la conquête de l’écrit par l’enfant a été au cœur des travaux de recherche ayant abouti à la rénovation de l’enseignement du Français. Nombreuses ont été, depuis 1965, les avancées de la pédagogie - ou didactique - de l’écrit. Ateliers d’écriture de poésie, écriture collective de nouvelles, voire de romans, beaucoup de pratiques qui, au collège ou à l’école élémentaire, développent, enrichissent l’idée même du texte libre.
Les journaux scolaires aussi fleurissent dans les collèges et les lycées. La correspondance est devenue internationale et se réalise par téléfax ou par internet. Ces avancées très modernes et qui, sans nul doute, transformeront encore les écrits scolaires, ne sont-elles pas dues à Freinet, à sa trouvaille de l’imprimerie à l’école ?
L’étude du milieu
Tout cela est en somme connu et reconnu. Mais on doit aussi à Freinet l’ouverture de l’école à son milieu environnant, les promenades-découvertes. Dans “ l’éducation du travail ” (1), Freinet prône l’étude du milieu, cette pratique chère aux CEMÉA, qui existait déjà dans l’expérience personnelle de Freinet. La “ glane ” d’observations, d’objets rencontrés au détour d’un chemin ou lors d’une visite de ferme, sert de support, en classe, à des écrits, à des dessins, à des observations scientifiques plus poussées, à des lectures documentaires pour approfondir les connaissances venues de l’observation directe.
Ces pratiques ont été mises en valeur et officialisées lors de la période où les instructions officielles prônaient les activités d’éveil. Bien que ce terme n’apparaisse plus dans les instructions officielles françaises depuis 1984, bien des instituteurs et professeurs de géographie continuent à les pratiquer, à se saisir de l’étude du milieu pour faire comprendre aux enfants les problèmes d’environnement qu’ils soient ruraux ou urbains. On parle beaucoup d’éducation à l’environnement comme s’il s’agissait d’une innovation pédagogique récente. Or, toutes les pratiques qui sont liées à cette préoccupation (perception, observation directe des phénomènes, explications scientifiques, actes de protection) peuvent être trouvées dans les études des milieux que prônent à la fois les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active et Freinet.
Cet aspect de la pédagogie Freinet est moins connu que d’autres, mais il est riche d’avenir : la compréhension du monde futur passe par la connaissance de notre planète, par les sciences de la Terre, par la géographie dans toutes ses dimensions (sociale, historique, économique, politique). L’étude du milieu est la propédeutique à cette géographie pluridimensionnelle qui sera celle de l’avenir.
Freinet avait le sens de la complexité, de l’interdisciplinarité. Dans l’éducation d’aujourd’hui et de demain, ces deux caractéristiques de la connaissance et des apprentissages intellectuels sont et seront nécessairement présentes.
Le tâtonnement expérimental
Un exemple de cette pensée soucieuse de complexité : le tâtonnement expérimental, comme vecteur de l’apprentissage.
Les théories actuelles de l’apprentissage parlent d’anticipation, de retours de la pensée sur elle-même, de traitement des informations ; bref, elles s’éloignent de plus en plus d’une conception linéaire de l’apprentissage où tout se ferait par simple répétition des réponses adéquates à du stimulé. Le tâtonnement expérimental, lui, n’est pas linéaire : il procède par essais et par erreurs corrigées, par une série d’anticipations. Freinet avait très bien observé les tout premiers apprentissages : celui de la marche, celui du langage. Il n’est que de regarder attentivement comment procèdent les tout petits qui apprennent : ils imitent, certes, leur entourage mais cette imitation est insérée dans une chaîne de tâtonnements. Se tenir debout, en s’appuyant des deux mains sur celles d’un adulte, lorsqu’on a huit mois demande intelligence, volonté, tâtonnement, expérience répétée. C’est là un premier tâtonnement qui sera suivi de mille autres. Les tâtonnements permettant de comprendre les phénomènes physiques, s’ils sont plus intellectuels et conceptuels, sont cependant de même ordre : ce n’est pas en récitant quelques lignes sur la pression atmosphérique qu’on comprend ce qu’elle est et produit, mais bien en expérimentant, en essayant, en tâtonnant, en émettant des hypothèses que le montage expérimental vérifiera ou informera. Le questionnement est toujours présent, avant de et pour résoudre un problème. G. Delacôte montre combien les montages expérimentaux d’un exploratorium peuvent contribuer aux apprentissages scientifiques (2). Nous ne sommes pas loin de la notion d’expérimentation telle que la prône Freinet lorsqu’il propose des systèmes simples de montages d’expériences (pour découvrir l’électricité, notamment).
Freinet, une pédagogie moderne
Les notions d’expérience personnelle, d’expérimentation scientifique jouent un rôle capital dans la pédagogie Freinet, dont on oublie parfois qu’elle est rationnelle et réfléchie, même si la spontanéité enfantine est respectée. Il faudrait aussi insister sur la coopération entre enfants dans les apprentissages. Freinet est, là encore, très moderne : les interactions sociales entre enfants ont une fonction dans les apprentissages. C’est ce que démontrent, après Vitgosky, les chercheurs du CRESAS-INRP (3).
La modernité de la pensée pédagogique de Freinet n’est donc plus à prouver. Mais pour la reconnaître, il faut relire les textes de Freinet, ce que ne font pas assez les pédagogues d’aujourd’hui. Il faudrait encore évoquer, comme promesses d’avenir, les institutions coopératives, le renouvellement total de la relation pédagogique entre maîtres et enfants, la confiance en l’homme, en ses progrès, la confiance faite au petit d’homme, à l’enfant tel que le voit Freinet : un être qui conquiert son autonomie grâce à des expériences personnelles, vécues dans la classe, cette société d’enfants où les règle
Notes
- C. Freinet, L’éducation du travail, Ed. Delachaux Niestlé.
- G. Delacôte, Savoir apprendre, les nouvelles méthodes, Ed. O. Jacob - 1996.
Cf. CRESAS, Naissance d’une pédagogie interactive, ESF - 1991.
→ Puiser dans la vie véritable de l’enfant par Catherine Chabrun dans la revue VEN N° 559 / juillet 2015
Les principes pédagogiques du Mouvement Freinet
À lire sur Coop'ICEM le site pédagogique de l'Institut Coopératif de l'École Moderne