Faire « marcher » les enfants, une pratique à questionner
Du Dahu à la dame Blanche, de la fée qui remplit la piscine à l’animal extra-terrestre qui laisse ses étranges empreintes dans les allées du petit bois...
Et pourtant, toutes ces histoires commencent bien : des animateurs enthousiastes, soucieux de provoquer des situations pour que les enfants jouent, agissent, éprouvent des émotions. Ils inventent un scénario et une mise en scène pour surprendre les enfants, les étonner... et les voilà partis faire des fausses empreintes, à lancer de faux signaux, écrire de faux messages venus d'un lieu mystérieux. Les voilà, imaginant les réactions des enfants et se préparant à y répondre par une nouvelle invention.
Bien souvent, ces stratagèmes sont puisés dans les contes traditionnels, les fictions de la télévision ou... les souvenirs de "colo". Souvent ça marche. Les enfants se font prendre au jeu, y croient dur comme fer, en parlent le jour, en rêvent la nuit et les animateurs se réjouissent; ils ont trouvé là un bon fil avec lequel ils peuvent tenir les enfants pendant longtemps. Ils sont rassurés, ils ont du pouvoir sur la suite des événements.
Ils sont même sûrs de développer l'imaginaire des enfants comme cela était écrit dans le projet pédagogique du séjour. Bien sûr, il y a toujours des enfants qui doutent ou qui font semblant d’y croire mais s’ils tentent de le faire savoir, il y a toujours un adulte habile pour réactiver la crédulité défaillante. Et puis parfois, même si l'un n’y croit plus, on n’a pas le courage de déplaire à ceux qui mènent le jeu, de faire de la peine à ceux qui se donnent tant de mal pour que l’on y croie. Beaucoup d'autres avant moi, ont parlé et écrit pour alerter contre ces pratiques. Des directeurs ou des animateurs agissent, expliquent pour lutter contre ces dérives. Mais certaines pratiques ont la vie dure, alors il faut redire.
Lutter contre les dérives
ll faut redire que ces mises en scènes sont basées sur l'exploitation de la crédulité des enfants sur leur dépendance à la parole des adultes, qu'elles provoquent ou entretiennent la confusion entre le réel et l'imaginaire, qu’elles portent le risque de freiner la capacité à questionner le réel. Il faut redire qu’elles sont incohérentes avec un projet pédagogique qui annoncerait vouloir développer l’autonomie des enfants.
Pour les justifier, il faudrait au contraire annoncer l'intention d'augmenter la dépendance des enfants vis-a-vis des adultes, de développer leur soumission au pouvoir des mots des adultes. Les organisateurs de chasse au Dahu, de rencontre de Dame Blanche, les auteurs d'empreintes d'extra-terrestres ne se reconnaissent pas dans un tel projet.
Alors pourquoi ont-ils recours à de telles techniques ? Peut-être parce qu’ils n’ont pas assez confiance dans la capacité naturelle de jouer qu'ont tous les enfants, quand on leur en laisse le temps et l'espace. Ils savent eux-mêmes s’inventer des histoires pour jouer sans qu’aucun ne soit dupe, il s’agit d’un jeu.
Les adultes peuvent ajouter leur part d'imaginations d'inventions le jeu n'en sera que plus riche. Mais chacun doit pouvoir choisir librement d’entrer dans l’imaginaire ou d’en sortir.
Un jeu doit rester un jeu
ll faut donc redire aussi que pour qu’un jeu soit un jeu, tout le monde doit avoir le même accès a la connaissance des règles. Sinon certains deviennent les jouets de certains autres. Redire aussi, que la découverte de la supercherie laisse souvent un goût amer, une petite blessure, une petite honte parfois. Souvent, tout cela ne s'exprime pas, se camoufle derrière des : « Ah, je savais que c’était du bluff ! » Redire aussi qu’il n’est pas sûr que la relation de confiance entre enfant et adulte ne soit pas abîmée dans l’affaire.
Redire encore que le milieu naturel et humain, les forêts, et les rues offrent de vraies traces pour s’étonner, se questionner, chercher, deviner et que si le jeu est bon, si l'histoire est bonne, ils n’ont pas à se cacher derrière de telles supercheries. ■