LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

La notion d’autorité

L’autorité ne se décrète pas, elle se construit. Zoom appuyé sur la relation complexe générée par cette notion à partir d’expériences concrètes et sans faux-semblants. Il n’ y a pas de recettes, pas de solution toute faite, mais de multiples possibilités.
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La notion d’autorité n’est pas simple à aborder, entre laxisme permissif et dérives autoritaires il y a toute une palette de manières d’agir, d’instituer une relation de confiance, très loin d’une hésitation entre l’ordre et le désordre. À travers quelques exemples ou comparaisons bien sentis, on découvre l’importance de l’activité dans la question de l’autorité ainsi que celle de l’équipe. On voit également poindre des notions inhérentes à cette question : réparation, sanction, interdits… et la nécessité d’argumenter les décisions prises et les règles posées. Le débat reste ouvert sur ce sujet sensible et intemporel.
Média secondaire

Règles et sanctions

Cemea

Les animateurs ont à faire respecter des règles de vie et de sécurité. Mais parfois les enfants les transgressent. Que se passe-t-il alors ?

Dans un centre de vacances les interdits peuvent être fixés par la loi : « Il est interdit de se baigner sans la présence d’un surveillant de baignade.» Ils peuvent être négociés en concertation avec l’ensemble du groupe : « On a décidé de s’interdire de nager dans un coin du bassin qui sera réservé à ceux qui ont envie de plonger. »

Et ils peuvent également être fixés de manière unilatérale par l’animateur : «Tu as peut-être encore envie de te baigner, mais j‘estime que tu commences à avoir froid, tu as les lèvres toutes bleues. Je te demande de ne plus retourner dans l‘eau. »

L’abus de pouvoir

Mais un interdit peut également être un abus de pouvoir. Il y a abus de pouvoir si j’interdis sans raison ou pour des raisons qui me sont personnelles et qui n’ont rien à voir avec les intérêts du groupe dont j’ai la charge. De retour d’une balade, le groupe d’enfants s‘arrête pour goûter à une centaine de mètres du centre, près d’un petit ruisseau. L’animateur leur précise fermement : «Personne ne va toucher l’eau! » Max ne résiste pas à l’interdit et se glisse imperceptiblement vers le ruisseau, puis près de l’eau et commence discrètement à jouer. Il se fait reprendre par l’animateur :

Je vous ai dit qu’il était interdit de jouer près du ruisseau !

– Pourquoi ?

La question tout d’abord surprend l’animateur. Comme il s’agissait d’une évidence. Mais il a beau réfléchir, il ne trouve aucun argument. Il n’y a aucun danger, il ne fait pas froid, il n’y a pas d’activité organisée que cela pourrait perturber et si les enfants sont mouillés, ils vont se changer dans peu de temps puisque nous rentrons pour la douche.

On ne peut pas penser durablement, faire respecter un interdit que l’on n’est pas capable de justifier ou qui varie sans raison :

– Ce n’est pas juste, j’ai été puni parce que j’ai jeté des cailloux.

– C’est dangereux.

– Oui, je sais, mais Paul a fait la même chose tout à l’heure et on ne lui a rien dit.

La sanction-réparation

Si l’on veut amener des enfants à respecter les règles de vie, il importe qu’ils aient leur place dans le groupe, que les règles soient claires, justes et comprises et qu’ils puissent faire confiance à l’animateur lorsque le sens d’une interdiction parfois leur échappe. Cette confiance se bâtira sur sa capacité à définir des règles durables parce qu’explicables, à les faire respecter équitablement et à les respecter lui-même – tout le groupe porte un casque, sauf l‘animateur : cherchez l‘erreur. Lors d’une réunion d’enfants, la discussion s’engage autour du respect. Le groupe d’un commun accord, fixe les interdits et des règles visant à éviter les provocations par des actes ou des comportements:

– Et si on n’a rien fait à quelqu’un et qu’il nous insulte? demande Leslie.

– On discute avec celui qui fait ça, proposent quelques enfants.

– Mais si après, il continue ? redemande Leslie.

Prévoir le non-respect de la règle est important pour des enfants. L’idée de sanction n’est pas forcément négative chez eux. Parfois même, c’est une demande. Une des sanctions souvent mise en avant est la réparation. « Tu as cassé, sali ou abîmé quelque chose, tu vas le réparer ou le nettoyer. » Intellectuellement, cette conception de la sanction nous paraît assez satisfaisante. Elle permet une prise en compte de l’acte commis, de la victime par rapport à une règle et au respect des autres. Le tout dans une logique éducative.

Mais peut-on tout réparer ?

La systématisation de cette logique de réparation ne risque-telle pas d’entraîner un certain nombre d’effets pervers du genre : « J’ai le droit de salir, puisque je vais nettoyer après. Je l’ai bousculé, mais je lui ai demandé pardon, de quoi se plaint-il?»

Certaines sanctions s’appuient également sur la confiance et le mérite: «Tu ne pourras plus faire cette activité tant que tu ne m’auras pas montré que je peux te faire confiance et que tu es capable de respecter les règles.»

La sanction paraît légitime et incite l’enfant à prendre en compte les interdits. Mais tout se mérite-t-il toujours ? Et n’est-ce pas une confiance, pas toujours méritée qui à certains moments va faire progresser l’enfant?

Annick a proposé un jeu, mais deux enfants mettent la pagaille. Elle est seule face au groupe. Les autres enfants s’impatientent. Elle essaye de proposer une médiation aux deux perturbateurs, mais sans succès. Ils n’ont envie ni de changer de rôle dans le jeu ni de faire autre chose. Ils continuent à gêner ceux qui veulent jouer. La tension monte. Finalement Annick va les exclure de la partie.

Le travail d’équipe peut éviter certaines situations qui ne trouvent d’issues que dans la sanction. L’approche collective des problèmes, la diversité des individus et de leurs personnalités permettent d’aborder les choses différemment, d’anticiper certaines situations ou de mieux s’y adapter.

De plus les discussions qui ont lieu au sein de l’équipe d’animation amènent à réfléchir de façon plus sereine aux problèmes que peuvent poser certains enfants. Mais cela ne résout pas tout et même une équipe extrêmement soudée et cohérente se trouve parfois confrontée à la transgression de la règle établie.

Rien n’est simple, ni « clé en main » pour répondre à la transgression des règles. Ce qui aura du sens à un moment donné et avec un enfant donné n’en aura pas dans une autre situation. Méfions-nous des solutions toutes faites. «Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits. Si tu joues au bon Dieu, ils joueront aux diables. Si tu joues au geôlier, ils joueront aux prisonniers. Si tu es toi-même, ils seront bien embêtés », écrivait Fernand Deligny.

Savoir fixer des règles qui ont du sens et qui sont claires. Savoir respecter, écouter, partager. Savoir être soi-même dans une situation de crise et face à l’échec. Savoir être soi-même quand on n’a pas toujours le beau rôle. Savoir être soi-même face à la détresse de certains enfants.


Question d’autorité

Cemea

« Toi qui es le chef, tu n’as qu’à ordonner ! » Réponse du chef : « Si j’ordonne ce qu’ils ne feront pas, je ne suis plus le chef...»

L’‘autorité est un pouvoir que vous donnent ou que vous reconnaissent les autres. Un pouvoir d’agir sur leur vie, de leur imposer des actions et des modes de fonctionnement, voire même d’interdire ou de réprimander. L’autorité est intimement liée à la confiance que les autres ont en vous.

La capacité à s’investir

Bien sûr, il est possible de « commander » par la force ou d’imposer sa volonté en dehors de toute adhésion du groupe que l’on dirige, mais il s’agit alors d’autoritarisme et non d’autorité. Lorsque l’on dit d’un chercheur ou d’un médecin qu’il fait « autorité », il faut traduire : ses compétences, ce qu’il a fait ou prouvé, lui donnent un droit d’affirmer et de s’imposer aux autres. L’autorité des animateurs me semble directement liée à leur capacité à proposer et à s’investir dans les activités. Fernand Deligny écrivait : « Sais-tu chanter, improviser une histoire de pirates, marcher sur les mains, imiter les cris d’animaux, dessiner sur les murs avec un morceau de charbon ? Alors tu auras de la discipline. »

Comment construire la confiance

Jean-Louis et Virginie sont animateurs. Lui, est un grand gaillard sportif. Elle, fait plutôt penser à une petite fille modèle. Pourtant c’est Virginie qui va nettement imposer son autorité face à un groupe d’enfants difficiles. Bien que discrète, elle a un plaisir évident à pratiquer avec son groupe les activités qu’elle propose et une capacité à être à l’écoute sans vraiment en avoir l’air.

Un petit ruisseau traverse le centre de vacances. Un jour un des enfants laisse échapper :

– Je me demande d’où il vient ?

– Eh bien, pourquoi pas le remonter ? Je vais voir si c’est possible.

Virginie a pris des renseignements précis. Le ruisseau prenant sa source quelques kilomètres plus loin dans la colline et la balade est absolument sans danger.

Le lendemain, un petit groupe marche en baskets dans l’eau. Au départ, certains n’étaient pas très chauds pour venir, mais devant la sollicitation des autres enfants et le désir évident de l’animatrice, ils ont cédé peut-être parce qu’il ne faut pas contrarier ceux qui ont de drôles d’idées. Même si les enfants n’ont de l’eau qu’au-dessus des chevilles, l’activité a un petit côté « aventure » ; certains jouent à parodier les attitudes des héros de film. Après être remonté jusqu’à la source, on s’arrête, on goûte, discute, et paresse un bon moment à l’ombre des arbres. On sent une « ambiance », une complicité du groupe.

L’autorité de Virginie s’est construite à partir d’actions menées avec les enfants. Elle a proposé des activités dans lesquelles elle s’est investie. Elle a découvert, participé avec eux ; ils ont dû lui faire confiance. Comment refuser l’autorité de quelqu’un à qui l’on fait vraiment confiance ?

Les enfants lui ont peu à peu reconnu le droit de les diriger.

S’imposer avec l’autorité

Jean-Louis, quant à lui s’est tout de suite imposé avec « autorité », sa carure, sa voix, l’ont défini comme celui à qui l’on obéit. En revanche, au niveau des activités, on ne sentait pas de plaisir à participer. Il se situait plus dans une logique de « faire pratiquer », que « d’animer ».

Petit à petit, les conflits se sont multipliés avec Jean-Louis. Les enfants voulant tester ce représentant de l’ordre, mais quel ordre et pourquoi ? Il a perdu son autorité au fur et à mesure de l’avancée du séjour. Les enfants lui reprochant des choses qu’ils acceptaient parfaitement de Virginie. Une fois, ils lui ont même dit : « Tu n’es là que pour nous surveiller ».

Ces récits ne doivent pas laisser penser qu’il suffit de s’impliquer dans les activités pour avoir de l’autorité. Cette notion est beaucoup plus globale et recoupe les notions de respect et de confiance. L’autorité pour un animateur, c’est être capable d’être lui-même, de se présenter devant les enfants avec ses points forts et ses points faibles, de parler vrai, d’écouter, de respecter, de tenir sa parole, de faire la part entre ce qui relève de la discussion et ce qui n’est pas négociable, d’expliquer, de tenir sa position et de sanctionner si nécessaire.

Mais l’autorité me semble indiscutablement liée à l’activité, vecteur qui recoupe l’ensemble de la vie du centre de vacances, que ce soit les jeux, les activités spécifiques ou celles de la vie quotidienne, repas, rangement…

C’est par sa capacité à s’impliquer dans tous ces moments, à les partager avec les enfants tout en en étant responsable que l’animateur tissera du lien et de la confiance entre le groupe et lui.


Autorité autoritarisme

Cemea

L'autorité est une question récurrente des réflexions éducatives. La formation doit permettre de sortir la préoccupation du domaine de la pensée magique et des recettes toutes faites. L’élucidation des phénomènes humains à l’œuvre dans les collectifs permettra, pour soi et le collectif, l’affirmation d’un mode de direction assumée.

Les animateurs, les directeurs d’accueils de loisirs ou de vacances, les enseignants, les parents se posent toujours à un moment ou à un autre la question de l’autorité. De fait, cette question est plus ardue qu’il n’y paraît, nombre d’éducateurs ont tendance à vouloir plaquer quelques trucs que d’autres éducateurs, souvent plus anciens distillent avec plus ou moins d’insistance, plus ou moins de bienveillance, plus ou moins de parcimonie :

« Tu n’as qu’à faire ceci ou faire cela et les enfants te respecteront », « Tu n’as qu’à faire cela ou faire ceci et les animateurs t’écouteront. » La notion de crainte n’est d’ailleurs souvent pas très loin. Les trucs, les « méthodes infaillibles » sont souvent complétés voire indubitablement liés à des sanctions. Or, si quelques trucs peuvent parfois fonctionner sur le très court terme, ils ne tiennent jamais la distance, ils sont très vite mis à mal ou contournés par les enfants ou les animateurs à moins de les renforcer sans cesse et de se draper dans un autoritarisme qui posera assez rapidement d’autres problèmes. Avoir de l’autorité ou être autoritaire : deux notions totalement différentes et sans doute même opposées. Alors que faire ?

La métaphore du chef d'orchestre

Je me souviens avoir lu un texte d’André de Perretti que l’on pourrait appeler « le chef d’orchestre ».

Il racontait qu’un de ses amis, chef d'entreprise, ne savait, au fond, comment diriger des gens qui, d'après lui, lui étaient tous supérieurs ni comment faire son « travail » de chef d’entreprise sans chercher à paraître supérieur à aucun d’entre eux.

En effet, la secrétaire, de par ses connaissances techniques, son expérience, sa formation, sa personnalité est sans doute beaucoup plus compétente que son chef dans l’organisation et l’exécution de son travail. Et la situation est identique pour beaucoup d’autres personnes, de l’entretien à la comptabilité, en passant par la fabrication ou la commercialisation.

Savoir solliciter chacun

André de Perretti s’appuyait alors sur la métaphore du chef d’orchestre. Ce dernier doit diriger des gens qui lui sont tous (ou presque) « supérieurs ». Certes, il est bon musicien, peut-être même excellent mais il ne peut jouer du violon, de la clarinette, du corps anglais ou des timbales aussi bien que les musiciens de l’orchestre, en ce sens, il se sent, il est même, inférieur à chacun d’entre eux, et il se demande comment il va donc pouvoir les diriger.

André de Perretti explique alors qu’il n’est pas nécessaire pour le chef d’orchestre d’être un excellent violoniste doublé d’un clarinettiste exceptionnel, lui-même triplé d’un corniste génial… mais qu’il doit mettre en œuvre les conditions optima pour que chacun des musiciens se sente bien afin de jouer leur meilleure partition. Pour cela, le chef d'orchestre devra être capable de donner un objectif clair, autrement dit une direction claire à l'orchestre, devra proposer un projet d'interprétation lisible, limpide, intelligent et cultivé de l’œuvre. Il aidera aussi chacun d’entre eux à donner le meilleur, à soutenir celui-ci, à suggérer à celui-là, à encourager cet autre, à modérer ce dernier, sans perdre de vue l’unité globale qui doit éclater aux oreilles les plus expertes. À ce prix, le chef d’orchestre obtiendra le meilleur des musiciens. Vous l’aurez compris, en faisant preuve d’autoritarisme il n'aura qu’une interprétation moyenne, fade et peu enthousiasmante. Les musiciens ne se sentant pas portés et soutenus auront bien du mal à exceller, certains même sauront plus ou moins subtilement s’opposer au chef en contribuant à la médiocrité de l’interprétation. Ils pourront d’ailleurs toujours ensuite pointer le chef comme responsable et se dédouaner sans trop de difficulté.

L'autorité fondée sur un projet partagé

Le directeur est semblable au chef d'orchestre. Il doit permettre à chaque membre de l’équipe de trouver sa place et de mettre ses compétences et son énergie – souvent formidable – à disposition du collectif. S’il est autoritaire, rien ne fonctionnera bien longtemps, s’il se montre capable lui-même d’être compétent dans son rôle de directeur, s’il est apte à la relation humaine de qualité sans écraser les autres, il saura, de fait, faire preuve d’autorité. On peut entendre ici le terme « autorité »

 


Ces articles ont été publiés dans la revue Les cahiers de l'animation - Vacances Loisirs.