La France est en retard pour l’accueil éducatif des 0-3 ans par rapport aux autres pays européens : 5% seulement des enfants de moins de 3 ans appartenant aux 20% des ménages les plus pauvres sont accueillis en crèche, contre 22% des enfants des 20% des parents les plus aisés.
Accompagner les jeunes enfants. Dossier
De la naissance à ses six ans, l’enfant explore le monde, apprend à s’en faire une idée et pose les bases, s’il grandit en sécurité, de sa future autonomie. Si grandir c’est apprendre à se séparer, la qualité de l’accompagnement proposé est évidemment déterminante. Pourtant, le manque de personnel qualifié ne cesse de s’accroître. Or accompagner chaque enfant et rencontrer ses parents dont il est, à sa naissance, entièrement dépendant, demandent temps et disponibilité. Dans son dernier « rapport pour la petite enfance », l’Inspection générale des affaires sociales alerte sur la « maltraitance institutionnelle » des jeunes enfants en crèche, comparant leur situation à celle des résidents dans les Ehpad. L’OCDE constate quant à elle, dans son rapport de 2022, que la France est en retard pour l’accueil éducatif des 0-3 ans par rapport aux autres pays européens : 5% seulement des enfants de moins de 3 ans appartenant aux 20% des ménages les plus pauvres sont accueillis en crèche, contre 22% des enfants des 20% des parents les plus aisés. Une situation qui pénalise les enfants issus des classes sociales défavorisées et dont il est pourtant démontré que c’est à eux que l’accueil en crèche bénéficie le plus.
À l’école maternelle, la situation est aussi critique. Les effectifs dans les classes y sont plus élevés que la moyenne européenne et les écarts de développement cognitif, langagier, physique, social et culturel s’accroissent entre les enfants. Comment accompagner tous les enfants quand on manque de moyens ? En janvier 2021, le Conseil supérieur des programmes engage une réforme de l’école maternelle qu’elle recentre sur l’enseignement des savoirs dits fondamentaux – le langage et les mathématiques – afin, énonce-t-il, de « lutter contre les inégalités ». Un avis que ne partagent pas tous les enseignants qui pour certains voient dans la « primarisation » de l’école maternelle, le risque de renforcer les inégalités. Se donne-t-on en effet les moyens d’accompagner le développement de chaque enfant quand, pour le préparer au cours préparatoire, on raccourcit le temps pour jouer, pour découvrir, explorer le monde à son rythme et en sécurité ?
Une autonomie à construire
Il se passe beaucoup de choses durant ces premières années essentielles où l’enfant apprend progressivement à gagner en autonomie et à nouer des relations avec les autres. Cette autonomie ne s’acquiert que grâce à un attachement premier à la mère, ou à ses substituts, qui lui permettra d’aller ensuite en confiance vers le monde extérieur. Or depuis le début des années 2000, un objet fait « écran » à cette expérience intime d’un temps où l’on se retrouve dans une relation où l’on est en présence « réelle ». Un enfant de deux ans passe ainsi en moyenne 56 minutes par jour sur un écran selon une étude de l’Inserm parue en avril 2023. À trois ans et demi 1h20. À cinq ans et demi 1h34. Les effets qui n’ont pas encore été clairement mesurés pourraient encore renforcer les carences affectives et relationnelles ainsi que le creusement des inégalités.
Le poids des injonctions
Au désarroi des professionnels, s’ajoute souvent aujourd’hui celui des parents. Rythmes de vie de plus en plus contraints, difficultés économiques, angoisse face à l’avenir et isolement social que ne compense pas la fréquentation des réseaux sociaux, font d’eux les proies faciles de coachs improvisés en parentalité. Celle-ci est devenue un marché avec son lot d’injonctions qui culpabilisent et délégitiment les parents dans leur capacité à trouver leurs propres solutions. Hyperconnectés, souvent privés du soutien de familles qui ont éclaté géographiquement, ils ne savent plus où donner de la tête entre parentalité positive, langue des signes, gestion des émotions… Par où commencer, comment se situer et dans quel espace poser ses attentes, ses limites, son projet ?
La parentalité est devenue un marché avec son lot d’injonctions qui culpabilisent et délégitiment les parents dans leur capacité à trouver leurs propres solutions.
C’est tout le sens de ces espaces d’accueil parents-enfants, anonymes et gratuits, que financent les Caf. Des parents viennent s’y reposer, sortir de leur isolement, parfois se soulager de leur souffrance ou de leurs doutes, partager avec d’autres parents et des accompagnants non-jugeants les questions qu’ils se posent. Accueillir les jeunes enfants, c’est donc aussi accueillir leurs parents et les soutenir dans la découverte de leur fonction parentale. Quand ils arrivent à la crèche, chez l’assistante maternelle ou à l’école maternelle, c’est parfois la première sortie hors de chez eux, la première confrontation au regard de l’autre. Pour les parents, c’est la rencontre avec un tiers, une équipe organisée porteuse d’un projet institutionnel ou éducatif. Des attentes différentes qui vont devoir se conjuguer et des adultes qui auront à tricoter ensemble « quelque chose » pour que l’enfant « s’y retrouve ». Comment créer les conditions de cette rencontre, sortir de l’injonction pour aller vers la confiance et la co-construction, c’est ce que racontent les reportages et témoignages de ces professionnel·les qui travaillent au quotidien aux côtés des jeunes enfants. Si aucune réponse n’est identique ni définitive, une constante demeure au fil de ces expériences : le projet de la rencontre,
d’une parole qui peut circuler librement et ouvrir au jeune enfant comme à ses parents la possibilité d’inventer un chemin singulier.
Retrouvez dans ce dossier :
Éclairage : De la famille à la crèche : tisser le lien, par Marie Dol
Reportage : Un trait d’union pour se rencontrer. Lieu d'accueil enfants-parents pour se rencontrer, par Philippe Miquel
Reportage : Jouer en famille, ça crève l’écran, par Olivier Brocart
Interview : « Se séparer, ça se prépare, ça se parle. » une interview avec Michaël Saunier, par Laurence Bernabeu
3 questions à : Katia Philippe, Partir pour grandir, par Laurent Bernardi