Ados d'aujourd'hui
À la stabilité reconnaissable de la période de latence de l'enfance, va succéder une période de troubles qui nécessite la recherche d'un équilibre sans cesse remis en question par cette sexualité en devenir. Ce « Homard complexé » pour reprendre la formule de Françoise Dolto, va devoir quitter sa peau d'enfant dans une extirpation délicate et douloureuse qui a à voir avec une véritable « mise à nu ». Les transformations qui s'opèrent viennent modifier l'image du corps, à la fois dans la perception de ce corps qui change, dans lequel il va falloir s'installer et dans les assurances psychiques de ce corps élaborées durant les années de la petite enfance et de l'enfance. Un équilibre est à construire entre ce corps réel et son image.
La figure du double
Ce changement révèle ainsi une des dimensions essentielles et existentielles de l'être humain : la fragilité. Le sentiment de vulnérabilité associé à cette fragilité de soi, va alors s'exprimer dans un paradoxe de force, vécu et ressenti par ce corps en développement, force équivalente à celle de l'adulte. Force, violence parfois, prises de risques pour mettre en jeu ce corps nouveau, capacités nouvelles, sensations premières et fragilités vont cohabiter dans cette figure du double où s'allient « pulsion de vie et pulsion de mort ». Force et destructivité, fragilité et vulnérabilité vont générer des comportements ambivalents de démonstration et de protection, qui vont se traduire à la fois par la nécessité de montrer ce corps mais aussi de le masquer, de le camoufler – ce corps pas encore admis doit être arrangé par les codes vestimentaires et une manière de se vêtir qui dissimule.
Entrer dans une nouvelle langue
Cette déstabilisation du corps qui échappe et de la pensée qui achoppe a un effet aussi notable sur le langage caractérisé à cette période par la perte des mots. Pour l'adolescent, il faut entrer dans une nouvelle langue, quitter la langue de l'enfant et ne pas encore pouvoir parler comme l'adulte. L'assurance dans le langage permet d'affirmer sa place. Le langage est là pour nous rappeler chaque jour la part d'humanité en chacun de nous à travers cet exercice impossible de devoir s'efforcer de toujours trouver le mot juste pour dire notre pensée. S'il est bien une langue de l'approximation dans l'expression de la pensée, c'est celle de l'adolescent qui parle ou qui se tait, mais qui adore parler ou entendre parler, écouter l'écho du monde, commencer des phrases qui n'en finissent jamais, jouer des mots dits ou tracés, dans l'intimité d'un journal ou dans l'extimité de l'ambiance de la bande ou du groupe. S'essayer à dire et à se dire pour mieux se situer et mieux se connaître. Dire et douter, affirmer et contredire, asséner et infirmer. Il y a nécessité pour l'adolescent à reconstruire la chaîne associative langagière au risque de se perdre. Les passages à l'acte chez certains d’entre eux sont l'illustration d'une domination physique par manque de mots. Le passage à l'acte agissant alors comme un antidépresseur.
La fatigue d'être soi
Autre incidence de ces transformations, l'activité sexuelle naissante, l'accès à la jouissance, à l'excitation et à l'érotisation des modes relationnels, va entraîner une modification des relations aux adultes, notamment avec les parents. L'adolescent doit s'éloigner des membres de sa famille (physiquement et affectivement) au risque de pensées «confusantes» incestueuses.
Sortir avec ses copains, faire avec eux, participe du rapport à la bande et à la prise de risque mais aussi de la nécessité de se différencier de sa généalogie première et de tenter les expériences sexuelles en dehors du giron familial. Ces déstabilisations donnent à voir ce que nous pourrions nommer « la fatigue d'être soi », état normal de ce débordement d'énergie qui nous fait apparaître l'adolescent dans sa phase apathique mais ô combien nécessaire. Avachi, ne voulant rien, ce « lâché » corporel en quelque sorte est le meilleur des médicaments. Pour mieux se tenir physiquement et psychiquement, il y a nécessité à se laisser aller.
La seule solution pour ne pas sombrer, c'est penser !
L'horizontale devient ainsi une ligne de conduite ! Le contact avec le sol, le solide, permet le travail de deuil à faire pour soi et pour les membres de sa famille (les parents surtout) de cet adolescent habité par les manifestations de toute puissance et de position dépressive. Cette violence fondamentale, pour grandir, celle première au fondement même de la vie, sans intention de nuire, à distinguer de l'agressivité, est constitutive du développement du psychisme humain. À l'adolescence, elle anime ce balancement permanent de cet entre-deux de passage. Les assises narcissiques sont bousculées, l'image de soi perturbée.
Penser l'existence en devenir, penser le rapport aux autres, vérifier que les autres pensent aussi. Un grand changement à opérer du côté des adultes, c'est retrouver l'importance de la symbolisation dans toute activité avec des adolescents. Une activité sans symbolisation n'a pas d'intérêt. À travers ce que l'on fait, on pense ce que l'on est ; c'est la définition même de l'agir. L'adolescent est une bien belle personne et pour clore avec Winnicott : « Laissons les jeunes changer la société et montrer aux adultes la manière de voir celle-ci d'un œil neuf. Mais quand un jeune lance un défi, il faut qu'il y ait un adulte pour relever ce défi. »
Cet article est issu des Dossiers 22 des Cahiers de l'animation Vacance loisirs