A propos de la notion d'activité
L'étude du milieu a été, est l'objet de nombreux travaux de la part des instructeurs des Centres d'Entraînement. L'ouvrage « Pour une pédagogie de l'éveil » destiné aux maîtres de l'école élémentaire s'inspire très largement de leurs réflexions et de leurs expériences pédagogiques. La méthode proposée, qui nous semble valoir pour l'ensemble des activités d'éveil et même pour toute activité à l'école élémentaire, est celle qu'ont proposée, imaginée, expérimentée des instructeurs, tant lors des stages « de base », d'animateurs moniteurs de centres de vacances, qu'au cours de stages spécialisés. Par ailleurs, les semaines d'études qui se sont déroulées à Bénouville en janvier 1972, l'une sur le thème « l'éducation nouvelle », l'autre sur « l'activité » m'ont permis de préciser et de nuancer des analyses reprises dans ce livre. Aussi désirerais-je que tous mes amis des Ceméa trouvent ici l'expression de ma très grande reconnaissance et de ma gratitude.
En signe de remerciement, je propose l'étude que l'on trouvera ci-dessous, de la notion d'activité; cette étude est la reprise de l'intervention orale que j'ai pu faire, à la demande de Robert Lelarge, lors de la semaine d'études de Bénouville en janvier 1972, intervention qui s'inspirait largement d'un chapitre de « Pour une pédagogie de l'éveil ››.
La notion d'activité
Notre propos est de conceptualiser l'activité qui, bien entendu est d'abord une pratique vécue. Mais la théorie, surtout en pédagogie, nous paraît nécessaire. Pourvu qu'elles correspondent à des pratiques effectives, que les réalisations sous-tendent sans cesse les concepts, des notions abstraites, qui tendent à constituer des explications et des fondements théoriques de l'action, permettent de préciser notre pratique, d'avoir une idée synthétique de ce que nous faisons, de savoir pourquoi nous agissons de telle manière, selon telle méthode.
En tant que membres des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active, nous vivons quotidiennement l'idée d'activité, nous « faisons » des activités. Aussi, nous est-il sans doute plus nécessaire qu'à d'autres de tenter l'analyse de cette notion. Cette analyse n'est qu'une esquisse, un essai. Jamais aucune analyse philosophique n'est achevée, définitive.
Ce caractère provisoire n'empêche peut-être pas notre effort d'être utile. L'activité peut être définie par quatre caractéristiques, situées à deux niveaux différents :
- Le premier niveau est plutôt d'ordre psychologique. Que l'activité soit fonctionnelle, qu'elle soit opératoire, voilà deux aspects fondamentaux qui relèvent de l'analyse et de l'observation des activités de l'enfant.
- Le second niveau serait de l'ordre de l'analyse philosophique. Que l'activité soit liée à un projet, qu'elle n'existe que si elle constitue une expérience personnelle constituent des résultats provisoires d'une philosophie possible de l'activité, rejoignant les principes mêmes de l'Éducation nouvelle.
L'activité est fonctionnelle
Claparède a mis en évidence le caractère fonctionnel de l'activité, et nous aurions intérêt à relire les pages connues, mais trop souvent par ouï-dire, qu'il a écrites sur l'intérêt 1. L'activité est fonctionnelle d'abord parce qu'elle fait fonctionner les potentialités biologiques et psychologiques de l'individu et que sans ce fonctionnement, ces pouvoirs possibles s'étiolent jusqu'à parfois disparaitre. L'activité est le fonctionnement soit de l'organisme dans sa totalité, soit de l'une des parties du corps, soit de l'ensemble du psychisme qui est lié à l'organique et au biologique, soit de certaines structures de l'intelligence.
Parfois les aspects sensori-moteurs de l'intelligence sont surtout en fonctionnement, parfois ce sont surtout les structures verbo-conceptuelles qui opèrent. En tout cas, l'intelligence fonctionne dans l'activité, en elle et par elle. Il faut préciser que ce fonctionnement n'est pas extérieur au sujet. L'activité n'est pas la simple « effectuation » d'un projet, d'un ordre venus de l'extérieur. Il n'y a qu'effectuation si l'on dit à un enfant « lève le bras ›› et qu'il le lève. Il y a activité si, de lui-même, pour lancer un ballon, l'enfant lève son bras. Cette distinction entre effectuation d'un geste et activité est capitale pour l'éducateur qui doit, de ce fait, éviter les ordres à exécuter passivement et tout mettre en œuvre pour susciter la véritable activité du sujet. C'est pourquoi l'activité est fonctionnelle surtout en ce qu'elle est réponse à un besoin, aboutissement d'un désir, d'un intérêt. Ce n'est pas l'exécution de gestes, d'actions qui rend compte de l'activité mais son lien étroit avec le besoin et l'intérêt. Précisons que l'intérêt n'est pas abstrait comme dans le sens ou l'on déclare « il n'a aucun intérêt pour rien », qu'il ne réside pas dans de vagues sentiments du sujet mais qu'il jaillit de la rencontre du sujet avec le milieu qui l'entoure, qu'il est la relation même du sujet à l'objet 2. Donc, l'activité vient de l'intérêt et le prolonge. L‘intérêt lui-même n'a de vitalité que s'il est engagement dans l'action. Le besoin n'est, écrit Paul Ricoeur, « ni sensation, ni réaction; c'est un manque de… qui est une action vers ». L'intérêt, ce désir de connaître le monde, les objets, ce désir de faire et de réaliser, est donc au cœur de l'activité. C'est lui qui la rend fonctionnelle car elle n'existe de manière authentique qu'en fonction d'un besoin qui se précise sous la forme d'un intérêt. Toutefois, les gestes, les formes extérieures de l'activité sont aussi très importants puisqu'ils dénotent l'engagement de notre corps propre dans l'action. « L‘activité, dans la plus haute acception du terme, c'est l'activité au sens fonctionnel, mais si l'on combine le besoin et l'extériorisation, on obtiendra une addition d'éléments favorables et l'on pourra dire alors qu'on a réalisé l'activité dans l'acception la plus complète du terme » 3.
L'activité est opératoire
Cependant la fonctionnalité de l'activité ne suffit pas à rendre compte de la totalité de ses traits essentiels. Toute activité a un caractère opératoire qui est fondamental. En agissant, on agit sur quelque chose, on opère un changement, une transformation, soit du réel, soit des structures de sa propre pensée.
Même si cette caractéristique appartient surtout aux actions intériorisées de l'intelligence conceptuelle, elle existe à tout niveau : une coordination des éléments - réels ou pensés -, une organisation structurent toute activité. Ces opérations ordonnent le réel et permettent son assimilation par l'intelligence - l'activité ne peut être opposée à l'intelligence sans que l'on commette un contresens fondamental. À la limite, on peut dire que toute activité est intelligente, qu'intelligence et activité ne font qu'un 4. « Même en ses manifestations supérieures, où elle ne procède plus que grâce aux instruments de la pensée, l'intelligence consiste encore à exécuter et à coordonner des actions, mais sous une forme intériorisée et réflexive » 5. L'activité est une totalité ordonnée de diverses actions, de divers moments. Ce qui la distingue des actes et des actions, c'est qu'elle les structure en une succession rationnelle et en une organisation intelligente. Il faut insister sur le caractère structuré et structurant de l'activité, lié à son aspect opératoire.
Dans la succession d'actions, d'idées, de projets, d'hypothèses, de recherches, de résultats qui jalonnent une activité il y a un ordre, même s'il est peu conscient ; il existe des relations nécessaires entre les différents moments. Ces relations structurent l'activité, véritable organisation rationnelle qui n'a rien de l'aspect fugace et désordonné que l'on attribue de façon peu fondée aux activités dites spontanées. L'activité est structurée; elle opère des structurations et des restructurations de la réalité. Les activités manuelles montrent bien ce processus. Mais des représentations graphiques de l'espace perçu et vécu transforment aussi cet espace et l'organisent, comme on le voit en étude de milieux.
L'activité se déroule selon un projet
Il est un moment important du déroulement d'une activité - qu'elle se déploie dans le champ de la connaissance scientifique (écologie, géographie, économie, physique, etc.) ou dans celui de la création artistique, où l'enfant, à partir de 6-7 ans prend conscience de la cohérence et de l'ordre nécessaires au déroulement de l'activité : c'est celui où se forme le projet de recherche ou de création.
Nous abordons ici une qualité de l'activité plus philosophique que psychologique, donc un autre niveau d'analyse. Au reste, il n'est pas certain que l'activité ludique du jeune enfant n'échappe pas à cette caractéristique : L'activité ludique est vécue pour ainsi dire - dans l'immédiateté de l'instant ; elle obéit plus au principe du plaisir que toute autre action et elle est à elle-même sa propre fin. 6 Toutefois dans les « grands jeux », dans les jeux sportifs, sont inclus des projets de tactique sous-tendus par le désir de gagner, qui ont toutes les caractéristiques, bien que plus ramassées dans le temps, du projet qui donne vie et cohésion à une activité prise dans sa valeur générale. Le projet donne une direction à l'activité ; il lui confère une intentionnalité, un sens…
1. CLAPARÈDE (E.) : L'éducation fonctionnelle, 2 tomes. Editions Delachaux Niestlé, 1964
2. Il faudrait ici développer la conception Wallonienne de l'intérêt, ce que nous avons fait par ailleurs – cf. V.E.N. n° 278.
3. CLAPARÈDE, op. Cn., page 163
4. Nous suivons ici les analyses faites par PIAGET, notamment dans « Psychologie et pédagogie ›› ouvrage dont nous avons rendu compte dans V.E.N. n° 249.
5. PIAGET : Psychologie et pédagogie, page 49.
6. Lire pour mieux cerner la spécifique de l'activité ludique le numéro hors série de VEN « l'activité ludique dans le développement psycho-moteur et social des enfants ».