Comme tout le monde
Faut-il interdire les petites voitures, les billes, les cartes, les images que les enfants apportent pour jouer à la récréation ? Cette question étonnante fut débattue par les enseignants d’une école. L’argumentation des partisans de l’interdiction était qu’elle se pratiquait dans d’autres établissements et que cela limitait l’injustice et les sources de conflits liées à ces petits jouets personnels apportés par les enfants. Cette controverse me semble assez représentative d’un climat actuel. Supprimer la cause pour supprimer l’effet, et ainsi n’avoir pas à gérer d’éventuelles confrontations. C’est une situation très confortable et valorisante pour les adultes.
Un sentiment d’égalité
Pourtant, la gestion de différences d’avis, d’envies, de points de vue et de réalités sociales entre enfants est un véritable apprentissage de vie en société et de construction personnelle. Un apprentissage dans lequel les adultes jouent un rôle essentiel, mais pas toujours simple à gérer. Pour éviter de se confronter à cette difficulté, le plus simple est de supprimer toute cause de divergence et montrer ainsi une paix factice. Une apparence qui prime, quitte à ce qu’elle prive les enfants de la richesse d’un lien entre leur univers personnel et celui de l’école, ou de la possibilité de pouvoir collectionner, comparer avec les autres, échanger, avoir envie… Cette volonté de lissage par l’institution n’est pas réservée qu’aux enseignants. Des parents demandent aussi parfois à ce que l’école interdise, car il est beaucoup plus simple et moins impliquant d’affirmer : « C’est interdit à l’école ! » que d’avoir à expliquer et affirmer sa position : « Non ! Parce que… »
L’autre argument de cette volonté d’interdiction est la justice sociale. Il ne faut pas que des différences susceptibles de créer des injustices et des tensions puissent apparaître entre les enfants.
Tous n’ont pas les mêmes moyens, la même culture, les mêmes autorisations parentales… Si l’on ne peut jouer à la récréation qu’avec les jeux fournis par l’école, les adultes ont le sentiment de créer une forme d’égalité. Le fait de donner aux enfants l’accès à des jeux est une idée intéressante. Mais en faire la seule option possible pour jouer, relève d’une égalité de façade, qui ne gomme en rien les différences multiples de situations.
On retrouve aussi cette volonté d’une égalité sociale d’apparence dans l’uniforme à l’école, avec des débats récurrents et pour cette rentrée scolaire, sa mise en place dans une municipalité.
Je pense que la question de ce code d’appartenance qu’est l’uniforme, est complexe et circonstanciée. Elle ne peut se réduire à des arguments simplistes sur un rôle de gommage des différences sociales.
« On a les mêmes coutumes, les mêmes désirs, les mêmes goûts. On met les mêmes costumes et même les mêmes dessous. Comme tout le monde… » chantait Ray Ventura en 1938. Au regard de l’histoire de cette époque, les paroles de cette galéjade musicale semblent tristement prémonitoires. Mais heureusement le couplet se termine par cette chute : « Et puis aussi des trous à ses chaussettes. Comme tout le monde… »
Vers l'Education Nouvelle (n° 572, octobre 2018)