LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Démocratie, que peut l'éducation ?

Alors que les pouvoirs autoritaires font de la haine de l'autre et du repli sur soi un terreau pour se développer, des éducateurs et éducatrices proposent d'apprendre à se parler et à s'écouter. Un projet éducatif et forcément politique.
Média secondaire

Capacité à se rencontrer, à écouter d’autres points de vue et à les questionner, à négocier pour avancer sur des projets communs qui incluent plutôt qu’ils ne stigmatisent... Un peu partout dans le monde, ces marqueurs de la démocratie se raréfient.

Or, pas de démocratie sans “goût des autres”, pas de démocratie non plus sans cette humilité qui reconnaît qu’on ne peut être seul·e à détenir la vérité. Le réel ne se résumera jamais à l’idée que l’on s’en fait et encore moins à quelques slogans et invectives, il y aura sans cesse à découvrir et c’est au contact des autres que cela se fait. 

Alors, à l’heure où l’extrême droite un peu partout dans le monde gagne du terrain, que peuvent les éducatrices et les éducateurs pour défendre la démocratie, « le moins mauvais des régimes » ? Quel est leur rôle ? Comment doivent-ils s’y prendre ? « Éduquer, c’est apprendre à construire la loi ensemble, à se donner des devoirs ensemble, à se contraindre ensemble, sans que ces contraintes puissent être considérées comme préalables ni externes. Un tel apprentissage ne peut se fonder que sur la conciliation, l’égalité, la communication et la démocratie », écrit Jean dossier Houssaye dans Le Triangle pédagogique. Mais quand la violence et l’agression saturent l’espace public, comment restaurer la capacité à débattre et à sortir des conflits par le haut ? Quand la désignation de boucs émissaires attise les peurs et les ressentiments, comment réveiller l’envie de solidarité et de fraternité ? 

 

Dresser ou émanciper ? 

Telle n’est pas la question des gouvernements autoritaires qui, quand ils arrivent au pouvoir, ne tardent jamais à prendre la main sur les politiques éducatives. Recentrer les missions de l’école sur les seuls « fondamentaux », lutter contre le « pédagogisme », exclure du champ des politiques éducatives l’apprentissage des compétences sociales, de la capacité à exercer son jugement et son consentement sont des points communs qui les réunissent au-delà des océans, de l’Amérique du Nord à l’Italie en passant par l’Argentine et la Hongrie. Ce n’est pas un hasard si, comme le rappelle l’historien Grégory Chambat « l’extrême droite rêve de faire école » (voir p. 42-44). N’est-ce pas en effet le plus court chemin pour mettre au pas un peuple dont on attend obéissance et conformité à la norme ? La normalisation sociale est un « cancer mortel où toutes les cellules deviennent identiques et prolifèrent sans spécificité », écrivait Georges Canguilhem. L’Éducation nouvelle et populaire porte le contraire de ce projet. Le pédagogue Philippe Meirieu raconte que c’est dans les séances de ciné-club au lycée qu’il a puisé sa passion pour la culture et l’éducation, une passion qu’il relie étroitement à son goût pour la démocratie : « Grâce au cinéma, on pouvait enfin discuter avec nos enseignants sans qu’ils se placent face à nous en détenteurs de la vérité absolue. Chacun pouvait arriver avec son histoire singulière, ses goûts et ses idées et, devant le film, dossier nous étions confrontés aux mêmes images et renvoyés à des questions communes. Personne ne renonçait à sa sensibilité et nous nous découvrions partager les mêmes interrogations, même si nous avions des réponses différentes. » (Ven, janvier-mars 2023). Il décrit là le cœur d’une expérience démocratique que des éducateurs et éducatrices citoyens et citoyennes rendent possible au quotidien

 

La possibilité de faire entendre sa voix et de se sentir considéré est une expérience structurante et émancipatrice.

 

Dans nos démocraties fragilisées, il est heureusement des salles de classe (voir p. 40-41), des accueils de loisirs, des espaces de formation, mais aussi des tiers-lieux (voir p. 36-39), des plateaux de web radio, des scènes de théâtre, des festivals qui proposent des espaces de rencontres fertiles. On y croise des personnes, des opinions et des sensibilités qui élargissent les horizons, aident à prendre conscience des possibles et des déterminismes, à s’affranchir de ce qui assigne à ses origines sociales, à sa couleur de peau, à son orientation sexuelle ou à son genre et à se réinventer... C’est aussi dans ces moments de vie collective, par un accom- pagnement bienveillant et respectueux des rythmes des personnes que l’on apprend à oser être soi-même, que l’on découvre que « chaque voix compte ». Dans les pages qui suivent, on verra comment des pédagogues, dont certain·es issu·es de la pédagogie institutionnelle, construisent par l’expérience ces cadres qui apprennent aux publics l’art du dialogue, aident à traverser les conflits sans s’insulter et accompagnent sur ce projet si périlleux : s’émanciper et faire une société du bien commun au-delà des intérêts particuliers (voir p. 30-35). 

Mais rien ne va de soi et il est finalement rassurant que, seul·e ou en équipe, il soit possible de se reconnaître divisé·e, traversé·e de contradictions et parfois découragé·e. En politique comme en pédagogie, les certitudes sont mortifères, le tâtonnement et la possibilité de questionner sont des signes de vitalité. Le contraire des vérités prémâchées que promeuvent les pouvoirs autoritaires dans la société comme dans les espaces éducatifs.

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