LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

"La psychothérapie institutionnelle, de Saint-Alban à La Borde" de Jean Oury

[La biblio du pédagogue] Le 15 mars 1970, Jean Oury donnait une conférence à Poitiers où il présentait les fondamentaux de sa pratique de la psychiatrie. Ce texte de 47 pages, publié aux Éditions d'Une, accessible y compris aux non-spécialistes en est la retranscription.
Mais au fait, qui était Jean Oury ? Comment définit-il la psychothérapie institutionnelle ? Quels liens existe-t-il avec l’animation, l’éducation, et les Ceméa d’hier à aujourd’hui ?
Média secondaire

Quand Jean Oury fait son internat en psychiatrie à l’hôpital de Saint-Alban, en Lozère, il rencontre François Tosquelles, psychiatre catalan et militant du POUM (mouvement ouvrier communiste espagnol indépendant) qui a fui l’Espagne de Franco. C’est là qu’il découvre la pratique quotidienne d’une psychiatrie anti-asilaire, égalitaire et communautaire. Ici, le malade psychique est avant tout une personne et un citoyen à part entière. Partant du principe que pour soigner le malade il faut soigner l’institution, cette approche de l’accompagnement sera nommée « psychothérapie institutionnelle ». Pourquoi soigner l’institution ? Parce qu’on souhaite éviter que le contexte dans lequel évolue le malade – souvent ségrégatif – n’aggrave ses difficultés psychiatriques. Cette pratique du soin est basée sur l’implication de toutes et de tous dans l’organisation de la vie quotidienne. Elle s’incarnera particulièrement dans la cuisine à La Borde. La photo de couverture du livre, prise dans les années 70, montre un espace où il est possible d’accéder librement et où l’ambiance est familiale. Ici, ni blouse blanche ni charlotte. Une grande table et un banc permettent de s’installer pour aider aux préparations culinaires, discuter ou se poser, quel que soit son statut de soigné ou de soignant. Ici pas de personnels techniques spécifiques, les soignant·es se répartissent l’ensemble des tâches matérielles (cuisine, ménage, lingerie…). Le projet est donc de leur permettre d’expérimenter ensemble les effets thérapeutiques d’une vie collective quotidienne.

La pluche en cuisine peut être un moment thérapeutique plus efficace que la consultation au cabinet

Jean Oury

Pour cela, des formations inspirées des stages Bafa sont mises en place dès 1949 par Germaine Le Guillant, institutrice et permanente aux Ceméa. Ces stages sont organisés autour des tâches du quotidien, de la pratique d’activité d’expression créatrice et d’espaces de libre prise de parole et de participation aux processus de décision. À la même époque, Jean Oury est en lien étroit avec son frère cadet Fernand, instituteur engagé, qui développe une pédagogie active et organise le quotidien de la classe en institutions participatives. Fernand entend ainsi faire évoluer les pratiques pédagogiques autoritaires, calquées sur une discipline militaire appliquée dans les écoles-casernes, ces grands ensemble scolaires de la reconstruction d’après-guerre dans les banlieues. Cette pratique, en regard de la psychothérapie institutionnelle, sera nommée « pédagogie institutionnelle », les deux portant l’abréviation P.I. Les frères Oury ont ainsi expérimenté, leur vie durant, la libre circulation des personnes, de leur parole et l’attention portée à la qualité de l’ambiance au sein du groupe, véritables leviers éducatifs et de soin. Cette approche constitue une référence encore actuelle pour les équipes éducatives ou soignantes en responsabilité de la vie quotidienne de leur public, au sein d’établissements.

Citations

  • page 9 : "La psychothérapie institutionnelle, c’est peut-être la mise en place de moyens de toute espèce pour lutter, chaque jour, contre tout ce qui peut faire reverser l’ensemble du « collectif » vers une structure concentrationnaire ou ségrégative."
  • page 16 : "Les malades qui venaient là, on vivait avec eux. Ça faisait une espèce de groupe commun."
  • page 24 : "Mais on s’aperçoit qu’en faisant des réunions, à ras de terre, en disant : -Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? Tu as vu tel malade, qu’est-ce qu’il a dit ? Comment il était ? Ça t’a fait penser à quoi ? - , on pouvait exploiter ainsi tout ce qui peut se passer d’échanges dans une réunion, à condition qu’il n’y ait pas de barrières hiérarchiques."
  • page 36 : "On rencontre quelqu’un, on ne sait pas trop quoi dire, on lui offre une cigarette. On peut dire que la cigarette, c’est une médiation qui va permettre d’engager un dialogue."
  • page 41-42 : "Quand un psychologue arrivait à la clinique de la Borde, je lui disais : - À la vaisselle. Un mois de vaisselle ! ». C’est un poste d’observation fantastique, la vaisselle, quand on est vraiment psychologue ; on peut faire des observations extraordinaires dans ces lieux-là"

Bio express

Né en 1924, Jean Oury grandit à La Garenne-Colombes, dans le nord-ouest parisien. Son père est ouvrier chez Hispano-Suiza, usine de construction automobile. Il fait ses études de psychiatre durant l’occupation et fonde la clinique de La Borde en 1953, dans le Loir-et-Cher. Il y exerce et y demeure toute sa vie, jusqu’à son décès le 15 mai 2014, à l’âge de 90 ans.

Écouter aussi le programme d'archives proposé par Albane Penaranda sur France Culture

Qu'est-ce que la psychothérapie institutionnelle ? En quoi peut-elle être considérée comme l'une des grandes aventures médicales, intellectuelles et politiques du 20e siècle ? Qui étaient François Tosquelles et Jean Oury ? C'est ce que rappelle ce programme d'archives proposé par Albane Penaranda.
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