La mesure de placement s’apparente pour d’autres à une mesure de protection, dans un contexte où les services sociaux et les prises en charge psychiatriques sont souvent défaillantes.
Centre éducatif fermé, une clé pour sortir ?
C’est en périphérie du cœur historique de Narbonne que le centre éducatif fermé (CEF) Les chemins du Sud, “accueille” douze jeunes pour une durée minimale de six mois. Pas moins de 26 encadrantes et encadrants se relaient pour proposer au quotidien à ces jeunes délinquants multirécidivistes une alternative à l’incarcération. C’est en tous les cas l’ambition affichée par la loi Perben en date du 9 septembre 2002 et reprise par Joachim Rodela, directeur de ce centre qui a été confié à l’Anras1 par la PJJ2. « L’objectif d’un placement en centre éducatif fermé est de mettre un terme à la conduite délinquante multirécidiviste. Ce sont des jeunes entre 16 et 18 ans qui ont commis des graves infractions et le travail du centre est de réussir à y mettre un terme », explique-t-il. La mesure de placement est prononcée par la justice des mineurs. D’une durée minimale de six mois, elle est répartie en trois temps. Deux mois d’accueil et d’observation pendant lesquels le jeune ne peut pas se rendre dans sa famille, deux mois de prise en charge intensive et deux mois de préparation du projet de sortie.
Apprendre à se lever le matin
En ce mois de mai, il n’y a que des garçons. « Il arrive qu’il y ait des filles, mais c’est plus rare », constate Françoise Toscane, professeure des écoles mise à disposition du centre. Partie prenante de l’équipe éducative, elle a en charge la remise à niveau pour des jeunes qui sont en très grande majorité déscolarisés. Les inscrire au Certificat de formation générale (CFG), passer le code ou le permis, envisager un Bafa : autant de pistes que creuse l’enseignante avec chacun d’entre eux dans les premiers temps d’observations. Mais la priorité n’est souvent pas aux apprentissages scolaires. Le CEF, c’est d’abord une collectivité avec ses règles et ses horaires, des éducateurs et des éducatrices qui ont la lourde tâche d’accompagner la vie quotidienne. Apprendre à se lever le matin est la première difficulté lorsqu’on est habitué à une vie noctambule. « Ils doivent faire leur lessive, gérer leur linge, prendre en charge le ménage des locaux », explique Benoit Eyraud, qui encadre les ateliers d’entretien des espaces extérieurs et le potager. Avant de postuler à l’emploi de cuisinier, Damien Bony était restaurateur. Il n’avait pas compris qu’il allait surtout être éducateur. « Dans mon restaurant, je n’aimais pas trop avoir des stagiaires, mais ici cet accompagnement me plaît, explique-t-il. On doit bien sûr préparer les repas mais on n’a pas la même pression qu’en restauration. » Et sa cuisine est un passage attendu par la plupart des jeunes
Ce jour-là, Waddy et Mickaël 3 sont concentrés sur la préparation des menus du jour, mais également sur la confection de wraps pour le pique-nique du tournoi de foot prévu le lendemain et n’accueillant pas moins de 100 participants. « C’est une grande fierté pour eux », constate Damien.
Une fierté du travail réalisé que Philippe Farina, factotum et devenu éducateur sur le tard, n’oublie pas lui non plus d’entretenir lorsqu’il réalise des travaux dans la structure avec eux. Dans les ateliers l’ambiance est sereine. Mais ces garçons peuvent exploser à d’autres moments. Car il ne faut pas s’y tromper, si les activités sont pensées comme des mesures éducatives, ils vivent en permanence la mesure de placement pour ce qu’elle est, une alter- native à l’incarcération mais ça peut basculer à tout moment « S’ils décident de fuir, c’est la case prison », explique Virginie Ivanez, cheffe de service. « Et certains en font le choix après une semaine passée ici, car ils ne supportent pas d’être pris en charge. »
Tout repose sur la menace d’incarcération
Si la fermeture systématique de toutes les portes à clé, la présence de caméras, ou encore l’interdiction du téléphone portable peuvent rappeler l’ambiance carcérale, l’architecture ici a peu à voir avec les standards pénitentiaires. La fuite est matériellement possible, explique d’ailleurs l’Observatoire international des prisons (OIP). Tout repose donc sur la « menace d’incarcération qui pèse sur les jeunes s’ils ne respectent pas les conditions de leur placement, en particulier s’ils fuguent », analyse-t-il. Pour l’équipe du centre, la question permanente est celle de l’efficacité de la mesure judiciaire dans le parcours de ces jeunes. « Il ne faudrait pas que d’un CAP cannabis on fasse un BAC cocaïne », résume un des éducateurs à propos d’un jeune arrivé au centre après une importante première affaire
judiciaire. La mesure de placement s’apparente pour d’autres à une mesure de protection, dans un contexte où les services sociaux et les prises en charge psychiatriques sont souvent défaillantes. L’équipe travaille à trouver des stages, des chantiers professionnels pour créer du projet et tenter de sortir de la spirale. Une fois par semaine, un temps d’engagement au sein d’une association, est proposé. Ainsi des sorties Joëlette pour aider au transport de personnes en situation de handicap ou encore au sein d’une association qui restaure des bateaux en bois. « L’important c’est de garder espoir », conclut Virginie Ivanez. « Même si on sait que la plupart vont faire ou refaire de la prison, ils gardent toujours un contact avec nous et ce que l’on a semé leur servira probablement à un moment donné. »
Un dispositif controversé
Au sein des CEF, les jeunes font l’objet de mesures de surveillance et de contrôle. Ces dernières doivent permettre au mineur de respecter ses obligations judiciaires. Si elles ne sont pas respectées, la personne mineure peut être convoquée par un magistrat et placée en détention. Une des raisons qui fait dire à l’Observatoire internationale des prisons (OIP) que les CEF sont des antichambres de la prison. En 2012, Christiane Taubira a jugé qu’il fallait arrêter de les considérer comme une solution et s’est opposée à la transformation de dix-huit foyers ouverts en CEF. Une position soutenue par Jean-Pierre Rosenczveig, alors président du tribunal pour enfants de Bobigny. Même s’il considère que les centres éducatifs fermés n’ont pas que des répercussions négatives sur les enfants, il pointe de graves dysfonctionnements dans la logique d’accueil des mineurs. « À l’origine dédiés aux multirécidivistes repassant à l’acte et devant être mis à l’écart le temps de leur jugement, les CEF se sont petit à petit ouverts aux sortants de prison, donc aux jeunes déjà condamnés, et sont devenus un lieu d’exécution d’une fin de peine ou d’une modalité d’une mise à l’épreuve, puis surtout ont été habilités à accueillir des primo-délinquants [...]. Dans le même temps on a augmenté la capacité d’accueil en autorisant d’aller jusqu’à douze jeunes quand on sait qu’au-delà de huit la cocotte-minute est prête à exploser et réduit le nombre de personnels pour limiter les coûts ! »
1 Association nationale de recherche et d’action solidaire
2 Protection judiciaire de la jeunesse
3 Tous les prénoms des jeunes placés ont été modifiés