DVD - Les lucioles (tarif collectivités/organismes)
En 2019, ce qui devrait relever du commun continue à étonner, éblouir. On peut le déplorer mais aussi s’en réjouir. La phénix éducation nouvelle qui chaque année remet sur le métier un savoir-faire simple mais surprenant n’en a pas fini de défricher la brousse d’une école qui meurt de ses barrières érigées comme palissades pour se protéger d’une autre façon de faire. Il en reste des réticences à taire, des résistances à combattre, des réactions anticipées à annihiler...mais ne boudons pas notre plaisir, la vie remue et les initiatives comme celle de l’école d’application Arago à Châteauroux, rebaptisée Aragon restent de beaux exemples du possible enseignant. Puissent-elles essaimer comme pollen au vent !
Pour un coup de cœur, c’est un coup de cœur, pour un coup de grisou pédagogique, c’est un coup de grisou...pour une claque poétique, c’est une belle claque !!! Les quelques larmes consenties lors de la chanson (Emma des « Tếtes Raides » dans les allées du Leclerc, brins de sale nostalgie dévastatrice, sale mais salutaire comme un tourbillon de poésienfance porteuse de passé dans le présent) sont nées de ce bouquet, de ces bouffées de mots dans un écrin sur l’écran. Comme une énième mélancolie de grand sentimental ? Non, le propos est fort, la monstration intelligente et le projet, d’une folie comme on les aime. Les mots traversent l’image sans crier gare. Un film documentaire renversant, poétique, émouvant, politique, novateur, esthétique et rafraîchissant, un film tellement comme il faudrait que soit l’école dans toutes les classes, un film étonnant, magique, un film où les enfants font résonner les mots, vibrer la fibre poétique dans un quotidien apprivoisé, où les enfants osent des choses, où ils et elles élucubrent, accommodent, où chaque moment de vie à l’école est un moment de création. Et ce qui frappe c’est bien qu’à aucun moment ces enfants ne disparaissent sous leur costume d’élèves même quand ils s’auto-évaluent, verbe agressif du 3ème tigre. Parce que c’est en classe que ça se passe.
Un printemps pas comme les autres
Dans une classe de Châteauroux dans le département de l’Indre au cœur d’un printemps gris et morne, une enseignante (douce dingue illuminée et allumée positive, elle insuffle à sa classe un élan salvateur et saltimbanque mais empreint d’une pédagogie aux méthodes actives, quelque chose de nouveau et de décoiffant) entraîne sa classe de CM1/CM2 dans une odyssée poétique comme on n’en fait plus, elle profite que passe au printemps les poètes pour prendre le courant et s’inscrire dans une dynamique où les mots ne lâchent plus les enfants. Ils et elles les ont chevillés au corps, tatoués sur la peau, accrochés au cœur, en collier au cou, au poignet en bracelet, comme compagnons de rêve, d’imaginaire. La poésie est magnifiée, l’enseignement l’est tout autant.
On entend la classe entière la chuchoter, la murmurer, la déclamer, la crier, la taire, on voit les enfants l’écrire, la chanter dans les allées d’un hyper, la chasser dans la réalité, susciter les clients, proposer des chuchots, des sentiments. On les voit dans l’amont lancer des avions en psalmodiant : ceci est une chieuvre, ceci est une licorne, ceci est une courgette, ceci est Spiderman, ceci est une fée dérangée...mais en aucun cas ceci est un avion de papier.
Grisaille/cité, silence et solitude, désert urbain
contraste terrible, glaçant entre un quartier mort d’une ville morte et la vie bouillonnante, la fraîcheur effervescente d’une classe à l’assaut pacifique de la langue poétique dans la Vraie Vie en plein sein du quotidien scolaire.
Au début c’est calme et plat et puis ça s’anime, les mots (ça foisonne, ça frissonne) fusent et laissent des feuilles poétiques s’accrocher à l’affiche.
Rien ne peut endiguer cet élan salutaire
Et même le plus traditionnel cliché : « ne pas mettre dans les boîtes aux lettres des gens qui ne portent pas un nom français des poèmes parce qu’ils ne peuvent pas les lire » lâché de bonne foi par un enfant au cours d’une discussion déclenche sans venin des bribes de débats qui avoisinent ceux d’un café philo.
« Pourquoi on n’aurait pas le droit de crier qu’on aime la poésie alors que ceux qui ne l’aiment pas le crient très fort ! » lance un enfant indigné
Et puis au fil des artistes égréné·e·s (Apollinaire, Aragon, Éluard, Desnos, Prévert, mais aussi Andrée Chédid, Magritte et Tardieu) émerge l’idée de dire des mots dans l’oreille, des tout petits susurrements, des chuchots d’un souffle, pourquoi pas au Leclerc. Les bases du projet peu à peu prennent forme, faire passer l’amour de la poésie est le maître mot, et cela passe par des instants de lecture intime .
Il y un engouement, certes, mais réfléchi, conscientisé, posé. Rien à voir avec l’excitation fugace et surjoué des manifestations ponctuelles et exceptionnelles, ici l’exception c’est tous les jours. Des heures d’entraînement, d’entraînemot tout au long d’un compte à rebours qui distille la poésie partout, chez eux chez elles, sur un rideau, dans les escaliers, dans la rue...jusqu’à l’apothéose d’un printemps des poètes voulu à portée de tous et toutes. En plein cœur du Leclerc.
Jour J, l’étincelle enfin
Et l’armée des mots, l’infanterie s’en va en poésie. On dirait une brigade d’intervention, d’insurrection.
Et vient le jour où dans les allées de l’hyper des mots s’approchent de l’oreille. Les rossignols fleurissent, qui transmettent les voix et les textes. Certains se perdent, certains se retrouvent, d’autres trouvent le pavillon et sont écoutés avec les yeux.
Et tout ceci se passe dans une classe avec des enfants (Tracas, conflits, chamailleries, évaluation comme partout mais autrement) comme les autres qui livrent leur création poétique et parlent de leur processus d’écriture, qui disent que la philosophie c’est quand on ne sait pas la réponse tout de suite. Qui jonglent avec pensée, rêve et imaginaire.
Un grand moment, une belle aventure, un beau roman d’apprentissage, filmé avec une pudeur tout en retenue mais un parti pris militant pour une autre école, une autre façon d’aborder la langue, d’appréhender le monde. En filigrane, l’Éducation nouvelle rôde qui s’instille, installe sa présence et explose à chaque regard, chaque geste, chaque silence.
La poésie mérite qu’on s’y adonne !
Puis-je emprunter votre rêve ?
Ce film a reçu le Grand Prix lors du Festival du film d’éducation 2018
I Réalisatrice Bérangère Jannelle I
Pays France I image Marion Peyrollaz I son Nicolas Paturle,Christophe Baudry I montage Julie Duclaux I production Tamara Films
Le Festival international du film d’éducation à Évreux vise à faire connaître les films témoignant des problématiques de l’éducation : films questionnant notre rapport au monde, d’évolution ou de passage, d’apprentissage ou de transmission… Il est organisé chaque année en décembre depuis 2005 par les Ceméa. La collection vidéo « Le Festival international du film d’éducation présente » complète et prolonge le soutien accordé à ces films. À travers cette collection, les Ceméa s’engagent à faire rencontrer ces films d’éducation, peu ou pas diffusés dans le cadre commercial à des publics toujours plus nombreux et à tout un ensemble de réseaux aux ambitions sociales ou éducatives pour amplifier des débats citoyens sur l’éducation.