Lieux de lecture à fréquenter
En France aujourd’hui et plus que dans d’autres pays, c’est le livre qui est mis en avant et pas celle ou celui qui le manipule, le découvre, et in fine le lit. On a des centres national et régionaux du livre, des fêtes et salons du livre et ce sont les auteur•trices qui sont mis•e•s en avant. La conception ambiante qui est majoritaire est bien celle qui starise le•la créateur•rice et qui donne peu de place aux véritables acteur•rice•s de la lecture : le lectorat, anonyme s’il en est, est le héros de la vie d’un livre. Un livre non lu n’existe pas en tant que ...il n’existe qu’en tant qu’objet. Ce qui n’est pas sa fonction première. Il est temps de porter un regard nouveau sur la place de la lecture dans l’éducation, temps de changer de politique, temps de proposer une autre approche.
VEN – Pour commencer, Bernard, où en es-tu de la vie d’auteur ?
Bernard Friot – Actuellement, je me consacre surtout à la transmission de ce que je vois, découvre, apprends et réalise aussi bien dans des relations d’expérience d’écriture (un été de poésie, d’amour et de vie) que lors de formations, de conférences. Et plus je transmets, plus j’apprends! j’ai vraiment le sentiment de participer à un mouvement, certes timide mais bien réel, dans la société française. Je sens poindre une préoccupation, j’espère qu’elle deviendra une véritable force de propositions adaptées à notre temps. Il y a de toute évidence des choses à dégager et nécessité urgente de faire table rase. Et même s’il paraît difficile de bousculer les institutions, il y a dans l’air un parfum d’oser faire qui me fait dire que je veux y croire.
VEN– Tu parles d’un projet global en ce qui concerne la lecture. Peux-tu développer le sujet ?
BF – Je fais le constat qu’à l’école (primaire, secondaire, universitaire), dans les bibliothèques (leur grande majorité) mais aussi dans les ministères (culture et éducation), il est souvent question de projets ponctuels prenant la forme ou de concours, ou d’événements ou d’actions isolées et sans lien avec le quotidien, comme les salons du livre ou la Nuit de la lecture en bibliothèque. Force est de constater que ces manifestations, pour louables qu’elles soient, profitent surtout à celles et ceux qui ont déjà des pratiques de lecture affirmées. On ne s’intéresse qu’à la partie émergée de l’iceberg. Tout le chemin de l’amont est occulté et les fondations ne sont pas pensées. Il est primordial qu’un projet global embrasse la totalité d’un territoire de vie et bouleverse les schémas habituels et routiniers qui ont pignon sur rue. Si on parvient à définir au niveau local un projet cohérent et collectif impliquant tous les acteurs et actrices de la coéducation qui provoque une multiplicité de rencontres possibles avec la lecture, les lectrices et les lecteurs, on peut réellement promouvoir la lecture. Certains exemples en Europe le prouvent : je pense en particulier au Frioul (région de Udine en Italie) où existe depuis près de trente ans un projet s’appuyant sur l’école, les bibliothèques et les familles (le milieu associatif n’est pas très développé) et conduit par une structure privée mais financé par des fonds publics. Et les résultats sont là : c’est la région d’Italie dans laquelle les adolescent·e·s lisent le plus et où les résultats des élèves aux évaluations internationales sur les compétences de lecture sont les meilleures! Cela prouve que créer un environnement favorable à la lecture provoque un changement notable et positif.
VEN – Pourquoi tout cela ne décolle-t-il pas en France ?
BF – Il y a eu un dispositif national, le programme ville-lecture, mais il a été abandonné. Quelques villes s’en inspirent encore en particulier à Charleville-Mézières et lancent des initiatives pour mener une politique de la lecture réfléchie en commun avec les diverses institutions et associations de façon à agir de manière cohérente sur la totalité d’un territoire. Il n’en reste pas moins qu’en France le poids des institutions reste très, trop fort et que la difficulté de dialoguer est immense. entre le paquebot «Éducation nationale» et les chaloupes «médiathèques» le déséquilibre est inéluctable. Et ce sont les personnes qui tissent du sens et du lien. L’expérience montre que si l’on définit un territoire (personnes et lieux) avec en filigrane une vraie volonté de développer des dynamiques globales de lecture, on touche un plus grand nombre de lecteurs et de lectrices. Il s’agit de permettre à la lecture de vivre de mille et une façons en initiant beaucoup de formes de lectures différentes.
VEN – Quelle est la place de l’école dans ce processus ? En quoi est-elle plus un frein qu’un accélérateur ?
BF – Le temps réel qu’elle accorde à la pratique de lecteur et lectrice est minime. L’école a besoin de produire, or la lecture est une activité qui ne produit rien, c’est un temps très intense et intime qui ne laisse pas de traces visibles. Et très vite au-delà de la simple lecture, il y a un besoin irrépressible de travailler sur le texte, il y a un énorme déséquilibre avec cinq minutes de lecture pure pour quarante de travaux autour, le plaisir de lire disparaissant sous les échafaudages et les gravats d’un chantier bruyant et souvent verbeux. Et on retrouve la même chose en bibliothèque. Beaucoup de lecteurs et de lectrices ne trouvent pas dans ces deux lieux le temps de développer leur habileté. Et pour ces deux lieux il n’y a pas (paradoxe) de réflexion ni d’évaluation très précise des temps de lecture. Il existe, mais il s’agit d’initiatives isolées venant de certain·e·s enseignant·e·s, des classes où la pratique de lecture est mise à l’honneur avec trente minutes de lecture autonome par jour (deux heures dans la semaine, entre parenthèses quatre jours d’école seulement c’est mortel pour la lecture) ou instauration d’un crédit de lecture libre à prendre à tout moment dans la semaine – trente minutes. il est également possible de gagner des espaces pour la lecture; préau géré par des enfants et sans arrêt occupé, c’est vivant et a des conséquences positives. Il faut diversifier les lieux de pratique de la lecture. Ce sont des choses simples mais s’appuyant sur un environnement propice. Le temps réel moyen de véritable lecture chez les CP peut descendre jusqu’à deux minutes par jour, ce qui confine à la misère. Les plus habiles ont le temps, les autres non, ce qui accroît l’inégalité et discrimine. De plus le modèle adulte de classement des livres s’est imposé comme une norme immuable avec des bouquins rangés selon une classification imposée et qu’on ne trouve que si on les cherche. Il faut absolument organiser des possibles de rencontres. J’ai vu aux Pays-Bas une bibliothèque où, dans la première salle, les livres sont présentés en désordre et de face, ce qui occasionne des rendez-vous insolites, imprévus et surprenants. La moitié des emprunts sont faits dans cette salle. À Ravenne, en Émilie-Romagne dans une magnifique bibliothèque dont une partie est un ancien monastère, l’espace ado est accessible par la bibliothèque générale et par une entrée privée. Ses trois ou quatre salles sont dans un joyeux fouillis qui évoque une chambre d’ado, les lieux ne sont pas rangés, rien n’est classé, tout semble en désordre. Et tout ceci est géré par des services civiques sous la direction d’une bibliothécaire professionnelle. Et ça joue, ça lit, ça visionne, ça écrit, ça vit, tout se mêle dans ce maillage d’activités qui crée une formidable convivialité de lecteurs et de lectrices. Il y a beaucoup de hasard dans la rencontre avec un texte.
VEN – Tu parles de représentations négatives véhiculées par les acteurs et les actrices de l’éducation. Peux-tu aller plus loin ?
BF – Il s’agit là d’un grand nombre de phénomènes. Il y a tout d’abord une survalorisation de la lecture littérature, de la lecture de livres et plus spécifiquement de romans. Or les mots «lire» et «lecture » sont extrêmement polysémiques. Lire, c’est lire le journal, des revues, des écrans, des albums… L’effet de ces discours de promotion de la lecture savante ne provoque que de l’exclusion. Beaucoup de personnes perçoivent que leurs pratiques de lecture différentes de la lecture « cultivée » n’est ni connue ni reconnue. De même j’entends souvent bibliothécaires et enseignants travaillant dans des milieux défavorisés dire : «Dans cette famille-là, on ne lit pas.» C’est une affirmation fausse, le plus souvent. Toutes les rencontres que je fais démontrent le contraire et les enquêtes laissent apparaître que les livres sont absents dans seulement 5% des foyers. C’est cette dévalorisation des pratiques populaires de lecture qui fait dire à un élève de 6ème : « Moi, de toute façon, je ne lis pas, je ne lis que des BD.» Comment cette phrase peut-elle être pensée, formulée, prononcée si elle n’est pas dictée, soufflée par un conditionnement sourd et qui dit trop bien son nom? Lire, c’est lire des romans, et encore pas n’importe lesquels, ceux qui sont déclarés comme « de qualité » par des autorités autoproclamées. En réalité, nous sommes tou·te·s lecteur·rice.s. Nous avons tous et toutes un contact direct ou indirect avec la lecture, bon sang! Ne parle-ton pas de bébés lecteurs, lectrices ? C’est au CP que les mêmes deviennent non lecteurs et non lectrices. Tous et toutes nous sommes en contact avec les textes, de façon directe ou indirecte. Tout le monde connaît Pinocchio ou Don Quichotte, même sans avoir lu «personnellement» les livres de Collodi ou Cervantès. Si on est reconnu·e lecteur·rice, on se reconnaît comme tel·le, si on n’est pas reconnu·e, on est contraint·e de se définir comme non lecteur·rice. Alors les slogans du type «Lire, c’est vivre» sont traduits : « Je ne lis pas, donc je ne vis pas», ce qui est proprement terrifiant.
VEN – Ces slogans se trompent-ils par méconnaissance ou sont-ils sciemment et mûrement réfléchis ?
BF – Il s’agit avant toute de logiques institutionnelles qui favorisent ces discours contreproductifs. Les bibliothécaires, les enseignants, les spécialistes de la lecture, sans même en avoir conscience, définissent leur compétence professionnelle sur la promotion d’un certain type de lectures qu’ils estiment plus cultivées pour se distinguer des lecteurs, lectrices «amateurs, amatrices ». Ensuite, la notion d’illettrisme a bien brouillé les cartes, c’est un mot avec un préfixe négatif, qui définit une non-compétence, une non-pratique alors qu’il faudrait d’abord mesurer la compétence de lecture que chacun possède, même si c’est à un niveau très faible. Les critères d’évaluation ne sont pas clairs si les critères de dévalorisation le sont eux. Si on crée une institution qui s’occupe d’illettrisme, elle a besoin d’illettré·e·s, elle s’arrangera pour en trouver, en créer. C’est un dangereux cercle vicieux. Enfin, les professionnel·le·s de la culture ont des intérêts à défendre et le font avec bonne conscience estimant qu’il s’agit d’intérêt général. Ainsi un· écrivain·e ou un éditeur, une éditrice qui reçoivent des aides publiques sont convaincu·e·s de remplir une mission au service du tous et toutes, même si elles ne servent en réalité qu’un public restreint et déjà doté culturellement et/ou financièrement. En revanche, il n’existe pas de syndicats de lecteurs et de lectrices! En encore moins de syndicats de non usager·ère·s de la bibliothèque dont les voix ne sont pas audibles alors qu’ils et elles financent les bibliothèques par leurs impôts. La mise en avant de tiers-lieux de lecture (dans l’animation en particulier) est une avancée bien timide. N’oublions pas que les lieux de culture ne sont pas des espaces de démocratie et c’est regrettable. La population d’un territoire n’est jamais appelée à participer à la programmation des théâtres, ni consultée sur le fonctionnement des autres institutions culturelles. À l’inverse, à Fano, petite ville italienne sur l’Adriatique dans la région des Marches, les lecteurs et lectrices peuvent être, sont acteurs et actrices, la bibliothèque est à eux et à elles: un prof de mathématiques anime un atelier de philosophie, une association gère le fond de films nanars légués par un lecteur. En Italie, les exemples sont légions parce que le rapport aux lecteurs, et aux lectrices est posé différemment, ce qui favorise une multiplicité d’initiatives. J’aime citer un autre exemple, celui de la bibliothèque régionale pour enfants de Krasnoïarsk en Sibérie. Elle n’offre pas seulement des livres, mais aussi leur usage. Dans la salle des livres d’art, on peut s’exercer au dessin et à la peinture ou jouer d’instruments de musique, dans la salle des livres pratiques il y a tout ce qu’il faut pour cuisiner et bricoler. Quant aux salles de littérature, elles sont équipées de fauteuils confortables, de canapés et ressemblent plus à de grands salons qu’à des bibliothèques traditionnelles. Et puis les enfants posent des questions et des rencontres sont organisées à partir de celles-ci: par exemple, une juriste et une psychologue répondent à la question : est-ce que je peux changer de prénom? Dans cette bibliothèque, tout est fait pour que les livres soient «vécus», et pas seulement mis à disposition. Des bibliothèques mènent une réflexion de ce genre en France aussi. À la bibliothèque Louise Michel à Paris (20ème arrondissement), les lecteurs et lectrices font des propositions, peuvent animer des ateliers (cours de tricot, compost), ce qui change le rapport des lecteurs et lectrices à la structure. On pourrait citer également des bibliothèques rurales où se côtoient professionnel·le·s et bénévoles, ce qui oblige à une concertation et favorise un autre rapport au public et au territoire. La bibliothèque met en scène le rapport savant à la lecture. Comme le souligne le sociologue Claude Poissenot, le classement par ordre alphabétique d’auteur·rices n’est pas neutre. Tous les lecteurs et toutes les lectrices ne choisissent pas un livre en fonction de son auteur·rice, mais en fonction du genre (roman d’amour, roman historique) ou de la collection. La bibliothèque alors ne répond pas à leurs besoins. De plus, en bibliothèque, le silence imposé donne de la lecture une image unique, figée et trop manichéenne. On devrait pouvoir imaginer d’autres organisations de bibliothèques, ou une bibliothèque qui permette plusieurs types d’accès aux livres et des façons diverses de «vivre» la lecture. Au Chili, une fondation a créé des bibliothèques dans les centres commerciaux, c’est une occasion rêvée pour les enfants de s’adonner à la lecture pendant que les parents font leurs courses. Et cela répond à un besoin universel, il n’est qu’à observer les enfants assis par terre en train de lire, qui transforment ainsi le rayon livres en mini-bibliothèque.
VEN – Tu parles d’autonomie du lecteur, de la lectrice, qu’entends-tu par là ?
BF – Il faut être réaliste : à douze ans les enfants ne veulent plus être conseillé·e·s par des adultes. Pour qu’ils trouvent des livres adaptés à leurs désirs, il faut que l’autonomie se soit construite bien avant, en amont de la pré-adolescence, notamment la capacité de choisir les lectures adaptées à ses intérêts. Or, cette capacité est complexe, demande entre autres la conscience de formuler des attentes de lecture, de se repérer dans l’offre gigantesque de textes, de fréquenter des lieux de lecture, d’échanger avec d’autres lecteurs et lectrices. Le plus souvent, les actions de promotion de lecture, tels les prix de jeunes lecteurs ou les «défis lecture» encadrent les lecteur·rice·s en définissant les textes à lire (toujours des livres, et essentiellement des romans), sans exercer les compétences qui construisent l’autonomie a du lecteur et de la lectrice. Elles témoignent d’une conception étroite de la lecture se limitant au contact direct avec le texte, sans considérer tout ce qui se passe avant et après. Autrement dit, elles pratiquent ce que j’appelle «la lecture avec des béquilles» ou la «lecture hors-sol». C’est d’autant plus regrettable que l’on a affaire à des lecteurs et lectrices en pleine évolution qu’il faut aider le plus tôt possible à définir leur profil de lecteur·rice et à comprendre qu’il y a des textes qui les attendent et peuvent les accompagner lorsqu’ils·elles grandissent. Je citerai deux actions qui vont dans ce sens : dans une école primaire, chaque matin, à tour de rôle, les enfants vont à la BCD et choisissent livres et revues qui vont alimenter le coin lecture. Par là, ils·elles découvrent le fonds de la BCD et déterminent des critères de choix, le tout dans l’échange avec d’autres lecteur·rices. Dans une école, un espace de lecture a été aménagé sous le préau; il est ouvert avant et après la classe et durant les récréations et il est géré par les élèves eux·elles-mêmes qui l’alimentent, comme dans l’exemple précédent, en utilisant le fonds de la BCD. Un autre élément important est que le·la jeune lecteur·rice puisse rencontrer des modèles de lecteur·rices très divers. C’est aussi comme cela que l’on intensifie sa pratique de lecteur·rice : en rencontrant le·la lecteur·rice auquel età laquelle on peut s’identifier et avec lequel·laquelle on peut échanger et, d’après mes observations, c’est presque toujours quelqu’un·e de plus âgé·e que soi (dans le cas des enfants et adolescent·e·s. Un projet en Allemagne répond à cet objectif: les « parrains·marraines de lecture ». Dans les écoles, qui scolarisent les adolescent·e·s de 10 à 19 ans, des plus grand·e·s «parrainent, marrainent» des plus jeunes en les rencontrant chaque semaine à la bibliothèque. «Parrain·marraine» et «parrainé·e·s» échangent sur leurs lectures, ce qui est également stimulant pour les deux.
VEN – Tu parles des gestes de la lecture. Quels sont-ils ?
BF– La lecture est une pratique culturelle et recouvre donc un ensemble complexe de gestes. Lire, c’est déchiffrer, interpréter, écouter un texte lu, choisir un texte sur quelque support que ce soit, acheter ou emprunter un livre, archiver ses livres et ses lectures d’une façon ou d’une autre, échanger avec d’autres lecteur·rices sur des lectures communes, conseiller des lectures… et se définir comme lecteur·rice! Comme toute pratique culturelle, ces gestes sont transmis par l’entourage: famille, voisinage, groupe d’appartenance, mais aussi institutions culturelles comme l’école, la bibliothèque, les centres socioculturels… Ils ne sont pas transmis de façon théorique (autrement dit par un discours ou un enseignement explicite) mais par une «pratique accompagnée». Les exemples d’actions que j’ai cités plus haut permettent l’exercice de certains de ces gestes et c’est ce type d’actions que l’école et les bibliothèques devraient privilégier.
VEN – Et l’animation dans tout cela ?
BF – C’est l’occasion d’instaurer une autre relation à la lecture. L’erreur que pourraient commettre les animateurs et animatrices ce serait de singer ce qui se fait à l’école ou à la bibliothèque. Mais à de rares exceptions ils·elles ne la commettent pas. Plus, les enfants rencontrent des personnes qui ont un rapport différent à la lecture : moins liseur·seuse, parole libérée d’un discours savant sur la lecture, reconnaissance des pratiques des jeunes lecteurs et lectrices. Ça marche quand un·e enfant s’écrie : « Ah oui, moi aussi ! » On part trop souvent du préjugé que l’on a en face de soi des ignorant·e·s. Ça devrait être interdit de parler de non lecteur·rice parce que cela n’existe pas.
VEN – Que penses-tu du Pass Culture ?
BF – J’ai tout d’abord du mal à y déceler la place de la lecture. Au-delà de cette première réaction, je reste prudent et ne peux pas en dire grand-chose, il faut voir comment ça va se passer. J’ai quelques craintes parce que j’ai l’impression qu’il y a une définition dogmatique de la culture (quand on lit les documents, cette définition reste institutionnelle), qui profite à celles et ceux qui sont déjà proches de ces pratiques culturelles. Les chèques-lecture distribués sur les salons, et qui ne sont échangeables que dans ces salons, ne sont utilisés qu’à 20 ou 30%. On n’est pas dans un projet global. On est dans une démarche où la réponse est donnée avant que ne soit posée la question. Si l’expérimentation permet une évaluation plus fine, on pourra en tirer des enseignements intéressants. Mais j’ai quelques doutes. Dans ce dispositif la place de la lecture se limite à l’achat de livres et les pratiques gratuites de lecture sont invisibles et invisibilisées.
VEN – Quel est ton avis sur l’acception qui commence à circuler et qui dit que le papier est l’avenir du numérique ?
BF – Tout d’abord il me semble que cela n’a pas de sens de substituer un type de lecture à un autre, la pratique numérique est complémentaire et enrichit la pratique papier. Il faut cesser de les opposer. Le numérique renforce la pratique de lecture. C’est plus le comment qui est important. Le papier existe et existera toujours. Il est du présent comme de demain.