Musique et éducation
La Cheffe d'orchestre française, Nathalie Marin a dirigé de nombreux orchestres dans le monde, en particulier en Amérique Latine et en Europe. Elle s’est produite dans des salles prestigieuses, comme la Fenice à Venise, le Teatro Colon à Buenos Aires… Elle a été la directrice artistique de l’Orchestre Symphonique National de l’Équateur. Parallèlement à cette carrière internationale, elle a également mené des actions de formation auprès d’enfants.
-Peux-tu en quelques mots nous présenter ton parcours de cheffe d’orchestre
N.M : J’ai commencé la musique par la clarinette. Je suis entrée au conservatoire de Lyon à l’âge de dix ans, avec l’idée toutefois d’être cheffe d’orchestre. C’était une passion pour moi, un rêve d’enfant. Je ne sais pas trop d’où cela est venu, car je ne suis pas issue d’une famille de musiciens, mais en tout cas, c’est vraiment une idée que j’ai eu depuis toute petite. J’ai passé mon BAC et arrêté la clarinette pour me dédier complètement à ce projet de direction d’orchestre. J’ai étudié l’harmonie, le contrepoint, l’orchestration… tout le parcours et les matières générales dont on a besoin pour pouvoir diriger. J’étais également à la recherche d’un chef d’orchestre. Quelqu’un qui ne soit pas professeur, mais qui vive le métier de chef d’orchestre. J’ai eu la chance de rencontrer Michel Tabachnik, qui m’a tout appris, tout donné et m’a transmis son savoir et ses expériences. Je l’ai assisté pendant plusieurs années, j’ai pu côtoyer de grands orchestres, de grands solistes et apprendre mon métier de cheffe d’orchestre. J’ai ensuite fait un master à l’académie royale de Copenhague, où j’ai terminé ma formation.
- Tu es UNE cheffe d’orchestre et tu féminises l’écriture de ce mot « cheffe », que l’on a hélas peu l’habitude de voir se terminer par « ffe ». Cette affirmation d’égalité est forte au niveau d’une fonction de direction pour laquelle l’inconscient collectif a construit une aura de prestige longtemps réservé aux hommes. Comment évolue cette marche vers la parité?
N. M : Le mot cheffe d’orchestre féminisé, je l’ai vu la première fois lorsque je dirigeais en Suisse. Les organisateurs du concert l’avaient imprimé dans le programme et les journalistes l’avaient aussi repris dans leurs articles de presse. Nos voisins suisses, ainsi que nos amis québécois sont plus en avance et plus rebelles que nous, avec une volonté laissée aux gens de pouvoir féminiser leur fonction. En France, cela doit être en accord avec la commission générale de la terminologie et de la Vers l’Education nouvelle 2 néologie et avec l’Académie française. Pour l’instant, l’Académie n’a pas accepté la féminisation de Cheffe d’orchestre. Pour la petite histoire, le mot « compositrice » a été accepté en 1935 par nos académiciens, alors que nous avons des compositrices depuis le Moyen âge. En ce qui concerne la parité, dans le monde de la direction d’orchestre c’est encore très difficile, mais il y a des progrès. Il y a une prise de conscience, et c’est très important. Maintenant, il reste encore un long chemin à faire. On aura avancé, le jour où l’on ne parlera plus comme un évènement, d’avoir une femme cheffe d’orchestre qui a dirigé pour la première fois dans ce théâtre ou qui a dirigé cet orchestre symphonique. Et quand il n’y aura plus ce débat, ce sera encore mieux. Pour l’instant, c’est déjà un grand pas qu’il y ait un débat et une prise de conscience. Les choses sont un peu différentes dans les continents et les pays dans lesquels je travaille. Je dois dire que malheureusement la France est un mauvais élève sur ce sujet. Ce n’est pas le plus mauvais, mais en tout cas, c’est un pays où il y a peu de femmes cheffe d’orchestre et où on ne leur donne pas trop la possibilité de s’exprimer, même si, je le souligne, il y a beaucoup de progrès. En Amérique latine, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les femmes ont plus de place à la direction d’orchestre. Statistiquement, il y a plus de femmes à la tête d’orchestres symphoniques en Amérique latine, qu’en Europe. Il faut continuer à nous faire entendre et à prouver que l’on est capable de diriger aussi bien que les hommes… voire mieux…
- La mixité dans la direction d’orchestre te semble-t-elle pouvoir faire bouger les représentations et l’objectif d’une culture pour tous ?
N. M : Certainement, quand les enfants peuvent s’identifier, ça ouvre les portes à des rêves qui étaient un peu inaccessibles et peut donner une envie. Dans ce sens-là, la culture pour tous devient plurielle. Cette permission est importante dans le parcours éducatif. - Tu as eu l’occasion en complément de ta fonction de cheffe d’orchestre de travailler avec des écoles primaires dans plusieurs pays. Tu as amené à chanter et jouer d’un instrument des groupes d’enfants dits « ordinaires », mais également en situation de handicap. En quoi la musique te semble-t-elle essentielle dans l’éducation ? N. M : La musique est fondamentale dans l’éducation. Il y a eu des études scientifiques sur le sujet. On a vu des différences de développements comportementaux et d’apprentissage entre les enfants qui pratiquent un instrument de musique et ceux qui ne pratiquent pas. Cela amène à acquérir des notions qui sont fondamentales dans l’éducation : la discipline, le respect, l’écoute de soi et des autres. Il y a des valeurs importantes pour la formation d’un être. Partager des moments et des émotions. La musique ce sont des émotions !
- Si tu avais le pouvoir d’agir directement sur l’organisation scolaire, que changerais-tu ?
N. M : Je mettrais beaucoup plus de musique, avec de la pratique, mais aussi l’écoute. Vers l’Education nouvelle 3 Ecouter de la musique, ce n’est pas perdre son temps. Il me semble qu’actuellement, on ne donne pas trop aux enfants le temps d’écouter de la musique. L’activité d’écoute me paraît vraiment importante. Il y a des initiatives qui sont à souligner en France, comme l’orchestre à l’école. Cette pratique, même si elle limitée dans le temps à deux heures par semaine est déjà un premier pas, où les enfants peuvent pratiquer un instrument dans un orchestre et apprendre à jouer ensemble. On a vu la très belle expérience et les résultats fabuleux qu’il y a au Venezuela avec « El Sistema », un programme qui propose une pratique de l’orchestre pour tous les enfants et notamment les enfants défavorisés. Ces initiatives-là sont vraiment à développer et à soutenir. Le chant choral est aussi essentiel, car il est accessible à tous. Il n’y a pas besoin d’instruments. On a tous nos cordes vocales pour nous exprimer. C’est une bonne façon de pratiquer la musique.
- Et en ce qui concerne les loisirs des enfants, qu’imaginerais-tu pour qu’ils découvrent la musique?
N. M : Je sortirais les orchestres symphoniques et les opéras de leurs lieux un peu sacrés, comme les théâtres et les salles de concert, pour les proposer dans des lieux un peu plus conviviaux, comme les parcs. Dans des endroits du quotidien, où l’on pourrait avoir plus de contact avec la musique. La forme du concert est restée sur des pratiques du XIXème siècle, qui sont par ailleurs fabuleuses et que beaucoup de gens apprécient. Mais ce n’est peut-être pas à la portée de tout le monde. Il faudrait proposer des concerts un peu plus courts, d’autres formes de concerts, plus directes, plus conviviales, notamment dans la rue, là où sont les gens, les enfants. Cela leur permettrait ensuite de pousser les portes des salles de concert de façon plus spontanée.
- Il y a une très belle chanson de Léo Ferré, qui fait écho à tes propos, Muss es sein es mussein. « Nous, c’est dans la rue qu’on la veut la musique ! » Si on parle de technique, l’apprentissage du solfège est considéré par beaucoup comme un préalable incontournable. Mais d’autres l’ont complètement dissocié. Quel est ton avis?
N. M : Je pense qu’il faut arrêter les années de solfège, cette matière très rébarbative, avant de pouvoir commencer un instrument. On peut commencer à apprendre la musique et apprendre un instrument, sans avoir fait toutes ces années de solfège. Il y a plein de pays qui ont cette pratique à travers l’orchestre, notamment le Venezuela, et on voit les grands résultats que ça a donnés. L’orchestre Simon Bolivar est vraiment un orchestre fabuleux, qui joue dans les plus grandes salles du monde et les plus grands festivals. Ils ont de grands chefs d’orchestre, de grands solistes. Donc, ça marche, on le sait. Je pense que c’est une autre façon d’aborder la musique et qu’elle a de bons résultats. Donc oublions le solfège et pratiquons l’orchestre et le chant choral.
Nathalie Marin, mars 2020
Propos recueillis par Olivier Ivanoff
Vers l'Education nouvelle (n° 578, avril 2020)