Séjours lycéens au Festival d'Avignon
Accompagner le spectateur
C’est par une démarche active que ces jeunes s’approprient le théâtre et donnent du sens à ce qu’ils voient, vivent et ressentent. Se préparer à voir une pièce, n’est pas une activité univoque, toute faite et reproductible quel que soit la situation et le public.
L’équipe d’encadrement adapte chaque fois les activités en fonction de ce vécu. Ce jour-là, les jeunes, qui n’en étaient pas à leur premier spectacle, devaient aller voir Germinal. Un nom qui évoque Zola, mais une pièce, qui se trouve pourtant sur un registre totalement différent. Les animatrices leur proposèrent simplement un petit jeu littéraire, consistant à caviarder la fiche de présentation du spectacle. Raturer des mots pour en faire ressortir d’autres et comparer aux choix des autres groupes.Petite « mise en bouche », qui permit à ces lycéens de s’interroger sur ce titre paradoxal.Il ne s’agissait pas de décrypter ce qu’ils allaient voir, mais simplement de se mettre en condition, de s’interroger, de s’intriguer pour se préparer à vivre ce moment de théâtre. Puis ce fut le déplacement dans les rues d’Avignon, la file d’attente longeant un canal et une roue à aubes, l’installation dans la salle… Chacun de ces moments de transition vers le spectacle s’enrichissant des relations et discussions du groupe et de l’environnement du festival.
Retour sur le théâtre
Puis il a été proposé aux jeunes de se repencher sur cette problématique de la catégorisation, qu’avait soulevée le spectacle Germinal. Ils eurent à classer les mots inscrits au tableau en 2 catégories : Ce qui est matériel et ce qui est immatériel. Cela donna lieu à quelques débats : « La communication est-elle matérielle ou immatérielle ? Et le noir ? » La catégorie immatérielle fut divisée : Ce qui relève du sentiment, ce qui n’en relève pas. Les lycéens se regroupèrent ensuite par trois en choisissant une des catégories. Chacun devant sélectionner un mot, trouver un mouvement, une position, une expression du visage caractérisant ce mot, puis l’apprendre aux autres membres de son groupe, pour déboucher sur une présentation collective. On continua par un autre jeu, dans lequel un groupe était acteur d’une situation et un autre groupe devait en assurer le sous-titrage ou la voix off. Les jeunes eurent ensuite un moment de synthèse pour reparler de la pièce Germinal et de ce qu’ils venaient de vivre. Ces activités amenant à se repencher sur les problématiques d’une pièce sont importantes pour l’accompagnement du spectateur. Elles sont pensées et adaptées en fonction du groupe et du spectacle vu. Elles permettent à chacun, par une approche différente et parfois décalée, de mieux percevoir, s’interroger et créer du lien. Nourrir avec du combustible l’étincelle allumée par la pièce. Parler du théâtre n’est pas que verbal.
Rencontre d'auteur
Durant leur séjour, une rencontre fut organisée avec l’auteur, metteur en scène Jan Lauwers. Les jeunes avaient vu sa pièce Place du marché 76. Une œuvre dure, où la violence, le malheur et l’injustice interrogent l’humanité des spectateurs à travers cette place, symbole de la cohésion de la cité.Cette rencontre fut préparée. Il ne s’agissait pas de mettre ces lycéens simplement en face de ce personnage de théâtre et de leur demander de s’exprimer. Mettre des mots sur ses émotions et son ressenti. Les animatrices demandèrent à chacun d’écrire, sur un petit papier, un mot ou une phrase qui caractérisait pour eux Place du marché 76, que cha-cun le lut au groupe. Puis, il y eut des échanges sur la pièce et leur vécu de ce spectacle. Après une réflexion sur l’attendu lié au titre, un des jeunes déclara qu’il avait l’impression que le metteur en scène le « forçait à voir », ce qui le mettait mal à l’aise. Un débat s’engagea alors sur le thème des intentions du metteur en scène par rapport aux spectateurs. Certains pensant qu’il devait forcément prévoir et anticiper les réactions du public et que cela entrait dans la construction de la pièce. D’autres répondant que les réactions et sentiments déclenchés par une situation étaient personnels et dépendaient de chacun des spectateurs. Pour continuer à préparer cette rencontre avec Jan Lauwers, des ateliers Ecriture, corporel et plastique furent proposés. Les jeunes s’y répartirent en groupe ou individuellement. Ils pourraient ensuite choisir d’afficher et de présenter ou non leurs productions. Puis la rencontre avec Jan Lauwers eut lieu. En guise de préambule, chaque jeune lut un des pa-piers qui avait été rédigé le matin et qui renvoyait les premières impressions de spectateurs des lycéens. Il avait été spécifié, que ces papiers avaient été tirés au hasard et que celui qui lisait n’en était pas forcément l’auteur. Démarche d’amorce intéressante, qui amena chacun de parler face à au metteur en scène. Cela permit également de pouvoir exprimer toutes les impressions ressen-ties, qu’elles soient positives ou négatives, sans mettre les jeunes qui les avaient émises en difficul-tés, puisque le lecteur n’était pas directement impliqué par ce qu’il lisait.
La glace étant brisée, un groupe souhaita présenter ce qu’il avait préparé le matin sur le thème de la pièce Place du marché 76. Leur présentation contribua également à décomplexer le lien, la parole et les interventions et créer une forme de complicité. Il y eut ensuite un échange très riche et convivial entre Jan Lauwers et les lycéens. Les questions portèrent à la fois sur la forme et le fond : Le travail en amont et pendant le spectacle, les motivations de l’auteur, la prise en compte du public et l’adaptation des comédiens aux situations. Il y eut également des échanges sur la distinction entre la fonction d’acteur et de performeur et sur l’intérêt culturel du multilinguisme. Mais, à partir de situations de la pièce renvoyant à l’actualité, le débat les entraîna vers réflexions plus profondes sur l’humain, le bien et le mal. A la question d’un lycéen : - Avez-vous un message à délivrer à travers cette pièce ? Jan Lauwers répondit : - Le rôle du théâtre n’est pas d’apporter des réponses, mais d’amener les individus à s’interroger.
Vivre ensemble
La vie quotidienne n’est pas uniquement liée à l’intendance. vivre ensemble fait partie intégrante du projet d’accompagnement de lycéens au Festival d’Avignon. Partager avec les autres des moments de vie quotidienne, c’est apprendre à les connaître différemment, c’est bâtir des relations et des complicités. Vivre ensemble Manger ensemble, débarrasser la table, attendre son tour pour la douche, s’organiser dans les chambres, ranger, se brosser les dents, aller boire un café avec certains, paresser à l’ombre des arbres après le repas, discuter de tout et de rien, chahuter… Tous ces moments contribuent à créer des relations, à donner corps à la parole et à la vie de l’autre et viennent nourrir le partage et la réflexion, qui se créent dans le groupe autour des activités et du théâtre.
Croiser les points de vue
Des rencontres ont lieu régulièrement avec les différents groupes et publics accueillis par les Centres de Jeunes et de Séjour du Festival. Jeunes et adultes se retrouvent pour échanger sur les spectacles vus. Ces moments de « regards croisés » sont importants, car ils élargissent la réflexion. Ils permettent d’échanger avec d’autres personnes que celles du groupe, de voir comment elles ont perçu et reçu les pièces, confronter les avis, expliquer les points de vue. Avec ces rencontres, on peut également revenir sur certaines situations, dans un autre cadre, avec des personnes différentes, à « froid », après une certaine maturation de ce qui a été vécu et dit. C’est aussi l’occasion d’évoquer d’autres spectacles que ceux du Festival In, auxquels assistent les jeunes. On parle aussi du Off et des pièces que sont allées voir certains pendant leur temps libre.
Un autre regard de prof
« Jamais ma prof de Français ne croira que c’est moi qui a écrit ça… » En relisant ce qu’il venait d’écrire, Fabien n’en revenait pas. Il nous proposa d’afficher les différents textes et de demander à sa prof de français, qui était présente dans le séjour de deviner quels pouvaient en être les auteurs. Après plusieurs lectures et bien qu’essayant de s’appuyer sur le graphisme, pour se remémorer le style d’écriture des copies, la prof ne trouva pas… Voir les élèves avec un autre regard, dans un contexte et avec des enjeux différents de ceux du lycée est d’une grande richesse pour les enseignants. Aller au théâtre avec les jeunes, participer avec eux aux activités d’accompagnement des spectacles vus et les côtoyer durant les moments informels changent la perception et les relations. Dans une file d’attente pour assister à un spectacle, la conversation s’engage sur les notes, les exigences à propos des devoirs rendus sur l’année qui vient de s’écouler… Parfois, les jeunes amènent la contradiction par rapport à des « réflexes enseignants » : Dites, M’dame ! Quand, j’ai fait une faute d’accord, vous m’avez tout de suite repris, mais pendant le débat, quand le metteur en scène en a fait une, vous ne lui avez rien dit… La prof rebondit, avec humour, en pointant l’intérêt qu’elle porte à ses élèves. Il n’empêche, un germe d’interrogation sur le statut de l’erreur a été posé et contribuera peut être à alimenter une réflexion pédagogique plus globale.
Tous ces moments de vie amènent à se remettre en question, à réinterroger les situations d’enseignement. Réfléchir au statut de l’élève et aux conditions d’apprentissage en s’appuyant sur la culture, la langue, l’expérience, la communication et l’humain. Les jeunes n’étant pas que des récepteurs, mais faisant pleinement partie du projet.