L’animation un véritable projet politique
Il est impossible d’exercer le métier d’animateur·trice si on ne s’investit pas entièrement lors des temps d’intervention en direct avec le public. C’est une exigence qui est valable avec tous les publics, mais sans doute avec plus d’acuité lorsqu’il s’agit de personnes âgées pour qui l’animation est une énigme avant d’être un trésor.
Il s’agit bien d’un projet politique, dans la dimension d’expression citoyenne de ce mot. Dans son acception militante également. C’est une idée qui va bien au-delà d’un simple moment d’activités. l’animation est incontestablement transversale et irrigue les espaces et la journée de chaque résident·e dans les EHPAD et autres établissements.
De l'animation ? Des animations ? De l'alimentation culturelle pour passer le temps ? Médicaments contre l'ennui, vitamines pour désœuvrés ?
Activités organisées dans des conditions très précises autour de quelques pôles ? bien souvent, ce n'est malheureusement que cela ! Faire passer du bon temps aux résidents ou même promouvoir l'institution ! On parle alors de mettre de l'ambiance, de chasser les idées noires, d'oublier tous les tracas, de ne pas penser aux soucis, à la mort ! Temps libre/temps contraint. Trop souvent, le temps non contraint, dit libre prend des formes d'autres contraintes, où le collectif prend le pas sur l'individuel, où le désir s'efface faisant place au « subir ». On impose de la musique, même si d'aucuns n'en veulent pas et la même pour tous, en plus. Il y a des ateliers (mis en place par des animateurs, avec des idées puisées dans une besace à idées) des goûters, des fêtes, des thés dansants.
Comme si tous les vieux adoraient danser, ou jouer au scrabble, ou boire du thé ou regarder « les feux de l'amour », comme s'ils aimaient tous les mêmes plats, comme si l'âge avait annihilé leur unicité, authenticité, leur personnalité...Ici, dans ces situations, le désir personnel est balayé par l'intérêt collectif. Celui qui ne participe pas, on le traite de mauvais coucheur ou de râleur, ou de jamais content, on l'exclut de la communauté, de la collectivité ou il s'exclut lui-même, il est en quarantaine, tout cela parce qu'il voudrait autre chose et qu'on ne lui permet même pas de dire quoi ! Ici, l'animation n'est qu'un plus, un cadeau pour les plus gentils, les plus sages, les plus dociles, les plus crédules ou les plus influents. Là elle rajoute à l'habituel, à la routine (elle peut devenir routine elle-même), qu'un encorbellement (embellissement) du quotidien et pas le quotidien.
L'animation, pour quoi faire ?
L’animation magnifie le passé, la mémoire, le souvenir, elle engage les personnes âgées à regarder en arrière (ça fait mal au cou et on ne voit pas la route, les demains), à actionner la pompe à regrets. Elle concrétise la peur du présent, le refus de l'avenir, la fuite d’un futur incertain.
Alors, animer : pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?
Donner aux personnes vieillissantes, les moyens d'être des citoyens dans leur vie quotidienne, c'est une belle aventure pour un animateur, un pari fou mais réaliste, allant vers l'utopie, mais tellement beau à réaliser, un idéal à concrétiser humblement.
La lutte pour le maintien, voire une conquête ou une reconquête d'une véritable citoyenneté (pas facile de définir ce que signifie véritable) est le premier (et incontournable) élément constituant un concept d'animation.
Cela va donner du sens aux actions d'animation ainsi qu'à la recherche des moyens et des méthodes qui devront être mobilisés à leur service.
Ou l'animateur se contente d'être une courroie de transmission, neutre de plus, sans saveur, un médiateur d'activités, que certes, il maîtrise, certes il sait faire passer, mais dénuées de sens. Il occupe, empêche l'ennui, fait passer le temps, permet aux personnes âgées de tuer le temps, mais en attendant la mort.
Ou il recueille, analyse, interprète les données auprès des usagers, pour créer, imaginer les réponses qu'il devra mettre en place avec eux. Il mobilise sa capacité à écouter, à observer, pour concevoir un projet d'animation qui tiendra compte de tout cela.
C'est vrai que cela peut sembler plus évident avec des personnes valides, largement autonomes, qu'avec des personnes plus ou moins dépendantes ou handicapées, mais les démarches sont identiques, les moyens eux sont différents. Néanmoins, les stratégies seront plus complexes, car il faudra tenir compte de plus grandes résistances et de freins plus importants.
De l'idéologie
La conception que nous avons de l'humain est le 2è axe constituant de l'animation, c'est un acte idéologique, qui s'appuie sur une éthique, au travers de valeurs à défendre.
Exemple : apprendre pour comprendre
Imaginer un processus de fonctionnement démocratique, participatif qui part réellement des personnes, de leurs besoins, de leurs désirs, de leurs possibles (en sachant que souvent ceux-ci sont minimisés voire niés, effacés, passés sous silence...) qui reconnaît à chacun le droit d'être une personne à part entière avec un avenir et des projets.
Pour cela il est nécéssaire de
- Permettre à chacun d’être en capacité et en droit d’exprimer ses attentes
- Repérer les besoins, les véritables (au-delà des désirs)
- Analyser les itinéraires individuels et les progressions.
- Travailler sur les représentations et les stéréotypes acquis voire sclérosants.
- Favoriser le travail en groupe et les communications culturelles et personnelles.
- Pratiquer une pédagogie ouverte qui utilise les expériences et les connaissances des uns et des autres.
Le droit au bien être
À quoi sert réellement l'animation ? Qui sert-elle ? À qui sert-elle ?
Est-ce seulement à rompre la solitude ou plus encore à améliorer la vie quotidienne ou encore plus à entretenir la bonne santé, à prévenir.. Ou finalement aussi à satisfaire les désirs (en oubliant parfois les besoins !)
Revenons sur les désirs, souvent oubliés, niés, annihilés sous des tonnes d'activités de remplissage du temps, fruit d'un activisme de bonne foi mais sans attache à chacun. Mais que sont les désirs ?
Le philosophe grec Épicure distinguait trois sortes de désir :
- Naturels et nécessaires : manger (qui appartient aux besoins)
- Naturels et non nécessaires : manger avec plaisir
- Non naturels et non nécessaires : grignoter, fumer, prendre un apéritif, les plaisirs simples et du quotidien tout simplement (à lire absolument La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de P. Delerm)
On s'occupe toujours des premiers. On prête attention de temps en temps au second (mais c'est exceptionnel). On s'intéresse très rarement aux derniers... les plaisirs (et particulièrement chez les personnes âgées) considérés comme pervers, sont souvent interdits...
Quelle conception du bien être ou bien aise, quels critères de qualité de vie développent pour les personnes âgées (et trop souvent à leur place) ceux qui les assistent et les accompagnent ?
Le bien-être c'est une situation d'équilibre entre plusieurs systèmes :
- La santé : morale, fonctionnelle, mentale et intellectuelle
- L'émotionnel et l'affectif : relationnel, culturel énergie (volonté et désir)
À chaque moment de la vie, c'est la résultante de l'état de ces systèmes qui donnera ou non une sensation de bien être.
Chaque être humain est unique et c'est l'unicité qui fait la richesse de chacun. Mais c'est un équilibre très fragile et jamais installé de manière définitive, c'est une rechercher permanente.
M. Benesayag et E. Charlton écrivent dans Critique des bonheurs :
« Le sujet est justement humain parce que sujet de manque(s) et de désir(s) »
Rassurer, soutenir, accompagner, enrichir, valoriser, écouter, encourager, stimuler, calmer sont des mots clés de l'animation. Chacun entretient (ou n'entretient pas) sa petite fleur de bien être.
C’est une belle mission pour l'animateur de permettre à chacun d'être en état de l'entretenir et de la cultiver, sans cesse, encore et encore…
De vieux sage à vieux fou, pourquoi choisir ? On peut naviguer de l'un à l'autre selon la saison, son moral ou son humeur.
L'animation doit offrir la possibilité (les possibilités) de trouver ou de retrouver un espace de liberté et d'expression (parfois depuis l'enfance).
Finalité de l'animation
Il est nécessaire de trouver un statut particulier à la personne âgée au travers de l'animation.
Il faut considérer l'animation comme une méthode, et les animations comme des activités.
Les animations sont différentes de l'animation, elles sont un substitut qui remplit un vide. Si ce n'est pas une fin en soi, elles ne sont toutefois pas à rejeter.
L'animation interroge à de nombreux niveaux l’identité de la personne âgée et tout particulièrement celle du résident.
Maintenir la personne âgée dans sa réalité relationnelle et sociale quotidienne en lui donnant les outils d'une représentation positive de soi, c’est l’objectif principal d’un projet d’animation.
Le Projet d'animation
Il comporte 4 grandes dimensions :
- Humaniser les pratiques : pudeur, respect de l'intimité, être chez soi dans l'établissement, permettre l’adaptation de l'individu dans ce qui est devenu son milieu naturel.
- S'approprier l'espace de vie : on présuppose de concevoir l'institution comme un chez soi (même collectivisé). Les espaces de vie sont des lieux communs et privés auxquels il faut donner du sens, une vie, un contenu. Il faut matérialiser qualitativement l'environnement pour le bien-être de la personne âgée.
- L'intégration dans le groupe : multiplier les sollicitations pour rencontrer tous les acteurs de l'établissement avec qui on peut imaginer un travail ou une activité commune.
- Développer les relations entre les résidents : établir un alter-ego (cet autre vieux) un système d'échanges est essentiel dans un but de partage.
Les axes intentionnels articulant le projet de vie et d'animation
- Inverser les représentations négatives de l'établissement
- Reconstruire la vie de l'extérieur
- Organiser le vécu de fin de vie
- Identifier les manques
- Permettre l’adaptation de l'individu à des modèles nouveaux