Oser écrire un projet pédagogique
À l’approche de l’été, des « petites vacances » ou encore du début de l’année scolaire, les directrices et directeurs des Accueils Collectifs de Mineurs (ACM) sont amenés à rédiger un projet pédagogique, « leur » projet pédagogique. Pour certains, c’est un exercice imposé qu’il faut bien faire - puisqu’on le demande - mais qu’ils oublieront bien vite après avoir recopié (à quelques mots près) le précédent ; pour d’autres, c’est un exercice enthousiasmant qui permet de dessiner les contours du prochain séjour, d’en imaginer les arcanes, de rester toujours en ébullition, de poser les premières lignes du nouveau scénario… pour la plupart d’entre nous, c’est entre les deux… chacun plaçant le curseur où il le veut et où il le peut !
Pourtant, il me semble que cet exercice est porteur de beaucoup de sens et qu’il n’est pas réellement difficile à faire, encore faut-il partir du bon bout et pour cela, il est juste et simplement nécessaire d’oser…
Oser repartir de ce qui fait l’essence même de nos structures : des lieux de vacances et de loisirs, des lieux où le temps doit être libéré et non confisqué ou dénaturé. C’est notre acte de naissance, notre raison d’être, notre colonne vertébrale. Si l’on n’ose pas dire notre propre conception des vacances et des loisirs, il y a fort à parier que le séjour que l’on mettra en place fera peu (ou presque pas) de place à ces notions. Pour cela, il faut oser répondre à la question suivante : quelle est la différence entre ma conception personnelle des vacances et des loisirs et celle des enfants ? Comment justifie-t-on les différences s’il y en a ? S’il y a trop d’écart entre ce que j’attends de mes propres vacances et celles que je propose aux enfants, c’est qu’il y a un problème à résoudre ! On peut aussi directement leur demander ce qu’ils attendent de leurs vacances ; parfois, on est surpris par leurs réponses.
Oser ne pas utiliser les mots qui « font bien » et qui, bien souvent, sont très marqués « école » et finalement vides de sens. On peut parler simplement d’activités manuelles, de jeux, de jeux traditionnels et sportifs, de jeux de société, de vélo, de cabanes, de relations et éviter « motricité », « activités ludiques », « travaux manuels », « médiation », « citoyenneté » ou encore « psychologie ». Et pour pousser la logique jusqu’au bout, oser retirer du projet pédagogique les phrases-bateaux que tout le monde (croit-on) écrit dans son projet. « l’enfant sera acteur de ses vacances », « nous favoriserons son autonomie », « le centre permettra de développer sa citoyenneté »… Ce n’est pas que ces phrases soient inintéressantes mais la plupart du temps, ceux qui les écrivent se gardent bien de dire concrètement comment ils vont faire. Cela reste bien souvent des vœux qui ne se réaliseront pas. Pire, certains séjours fonctionnent de telle façon qu’ils sont parfois en contradiction totale avec ce qui est écrit dans le projet — ou alors bien pâle.
Oser résister aux parents et leurs demandes de plannings. Les demandes étant bien souvent la partie immergée de l’iceberg. Les séjours de vacances et les accueils de loisirs qui osent proposer de vraies vacances aux enfants qu’ils accueillent avec des programmes abondamment « ouverts » ou tout n’est pas déjà figé remportent très largement les suffrages des parents après quelques jours de fonctionnement. Le projet pédagogique n’est pas un document qui doit dire comment des adultes doivent faire plaisir à d’autres adultes mais comment les enfants vont vivre leurs vacances et leurs loisirs.
Oser écrire une partie du projet pédagogique avec les animateurs, les personnes de service, en écrivant leurs phrases, leurs mots. Bien entendu le directeur et l’équipe de direction doivent pouvoir poser des choses, des idées, une ossature du projet mais toute l’équipe doit avoir sa place dans cet écrit.
Oser aussi une vraie lecture de la réglementation des accueils collectifs de mineurs et arrêtons avec les lois qui n’existent pas – oui les enfants ont le droit de faire de la cuisine, d’utiliser un opinel ou encore de monter dans les arbres, non les animateurs ne sont pas obligés de toujours avoir les enfants sous les yeux, d’être obligatoirement deux pour sortir du centre avec un groupe. Les lois que l’on invente ou qu’on lit mal brident considérablement nos possibilités d’actions et celles des enfants.
Oser finalement écrire une partie du projet avec les enfants. Au lieu de fonder nos réunions de préparation sur la construction d’un planning, osons dire concrètement comment on va se débrouiller pour que les enfants puissent proposer des choses mais aussi comment ils pourront « entrer » et « sortir » d’une activité qu’ils auront pu choisir un moment donné ; osons dire à quels moments (nombreux) les enfants pourront jouer librement dans la journée, qu’est-ce qu’on aura mis en place, installé, aménagé, de façon plus ou moins définitive, pour qu’ils puissent jouer seuls ou à plusieurs, sans forcément être avec ou sous le regard des animateurs.
Bien sûr, il faudra un peu de courage au début mais, petit à petit, il faudra bien que les séjours de vacances et les accueils de loisirs évoluent vers plus de liberté pour que les enfants se réapproprient leurs temps libérés et que ces lieux (re)deviennent des espaces uniques qui n’existent nulle part ailleurs… Osons…