Des vacances apprenantes en bas de chez soi
Cette initiative, ce dispositif, ce qu’on voudrait concept n’a eu de cesse de faire tension à l’interne du mouvement des Ceméa, de cristalliser les opinions. On a frôlé la crise, presque comme celle qui agite encore les militant.e sur le Service National Universel (SNU). N’est-ce pas pourtant l’occasion de se saisir de l’opportunité pour réaffirmer des valeurs ? Il semble qu’il y ait un implicite à expliciter.
Celui d’accepter l’augure de s’accepter organisateurs. Et de passer le cap en réaffirmant la nécessité d’avoir barre sur la totalité de la formation des équipes d’animation.
Il paraît aujourd’hui nécessaire et urgent de préciser que l’action de formation se construit autour de 2 axes : la formation proprement dite ainsi que le terrain d’application pour l’expérience pratique, tous deux en articulation permanente et profonde avec le mouvement.
Et si l’un est assuré indépendamment de l’autre, le projet perd de son sens et de son importance. Une illustration s’impose et qui nous vient de l’atlantique.
Les terrains d’aventure aux Ceméa Pays de la Loire. Une expérience singulière
À Nantes les Ceméa s’inscrivent de fait depuis toujours dans la coéducation et mettent en agir empiriquement des vacances apprenantes. Comme beaucoup d’acteur.trices des mouvements d’éducation populaire, ils sont les « monsieur Jourdain » de ce type de séjours. C’est avec un brin de sérendipité et beaucoup de valeurs, mais aussi avec un vrai et solide projet qu’ils proposent aux enfants, aux adolescent.e.s des vacances apprenantes.
Cette aventure existe depuis 1992 ; elle s’est accélérée dans les années 2005/2008 parce qu’ils avaient l’intime conviction que la problématique de la formation ne suffisait pas, et qu’il y avait besoin de terrains d’application identifiés Ceméa.
L’influence est beaucoup plus marquante de cette façon et nuance la coloration des séjours et le sens qui leur est donné. Ils ont, à ce propos, prévu d’écrire à l’automne une charte des terrains d’aventure. L’écrit scelle les fondations dans le temps et inscrit le présent dans une histoire à venir.
Cet été ils ont organisé trois bases de loisirs et quatre terrains d’aventure (dont trois en gestion directe), ainsi qu’une coopérative de travail de jeunes. Cela participe pour eux d’une dimension politique nécessaire et militante.
À cela se sont ajoutés un accueil TAMO (en direction des publics migrants), des sorties jeunes et des sorties familles. Toutes ces actions ont concerné 1800 jeunes.
« C’est un véritable laboratoire. Et nous devons être présents tout au long du processus. Ce n’est pas de l’innovation, on est des braconniers. On s’inspire des plaines de Robinson suisses, des brikabrok qui ont ouvert ce type de centres en 1942/1943 au Danemark. On se contente de reprendre des choses qui existaient... » assène avec conviction Régis Balry, directeur territorial pour à la fois minimiser la part de novation et valoriser l’inscription du mouvement dans la peau officielle de l’organisateur.
Un gros travail de partenariat est accompli avec les élu.e.s, les bailleurs sociaux et le ministère de tutelle qui légitiment cette opération qui n’est pas déclarée en tant qu'accueil collectif de mineurs et qui est financée par la politique de la ville. La CAF encourage cette initiative en participant davantage que si cette opération était déclarée, l’État mettant, lui, trente à quarante mille euros. Des liens se sont tissés au fil des années avec des maisons de quartier associatives du territoire proche. Le quartier ayant une réputation, personne ne s’y aventure sans y être invité.
On ne sait plus si on gravite dans l’univers de l’animation professionnelle ou celui de l’animation volontaire, ou si les deux univers se mêlent insensiblement. Il y a ici comme une rencontre d’un troisième type ! C’est un souffle qui décape et qui ravale les façades de l’habituel.
Et l’élan initié entraîne dans son sillage tout un quartier. Un quartier où se vivent de véritables vacances.
Se révèle alors une réelle collaboration entre les habitant.e.s, et qui donne de la vie gratuite au quartier. Les familles découvrent le faire ensemble. Et débroussaillent un vivre ensemble aux saveurs nouvelles. Et on apprend ensemble, on s’apprend, on utilise ce qu’on a découvert à l’école il y a deux mois ou vingt cinq ans. Les habitants.e.s participent et font appel à leurs connaissances, ils et elles apprennent dans des domaines qu’ils avaient négligés jusqu’à présent ou qui étaient restés lettre morte et dormaient dans leur souvenir, et qui ne demandaient qu’à être ravivés pour se transformer en véritables apprentissages. On pourrait presque parler d’une forme de compagnonnage.
Le terrain d’aventure c’est :
- 80 enfants par jour, une liberté d’entrer et de sortir, avec des horaires larges. Peu d’adolescent.e.s et de jeunes adultes.
- 4 animateurices en permanence dont un.e au magasin.
- 15 à 20 cabanes dont 3/4 à deux étages, une centaine de palettes par mois (les matériaux sont un enjeu de récup),
- 10 à 15 kilos de clous et vis, un gros aimant pour les récupérer, des chaussures obligatoires. Se pose la question de l’espace de stockage immanquablement.
- 1 container pour les palettes (il faut trouver et fidéliser des boîtes qui en fournissent gratos).
- 180 permis de bricolage remis à Angers pour les jeunes et les adultes.
Avec un soin tout particulier apporté à l’aspect esthétique.
De véritables apprentissages
Les enfants apprennent, ils et elles le disent. Et ceci de nombreuses manières et sur des plans très divers. Le terrain d’aventure permet de réfléchir au sens de l’activité, c’est une activité sociale par excellence (peu de cabanes sont individuelles), il y a des prises de risques (grimper, bricoler) et une réappropriation de l’espace public (il est primordial de faire en sorte que l’espace public reste public). Construire une cabane demande une réflexion, des savoirs (nœuds, symétrie …). Les cabanes à deux ou trois étages demandent des calculs, des essais, des réajustements.
L’apprentissage est en filigrane de tous les temps de l’activité : les aspects de la vie quotidienne, ce qui se vit dans les relations, les temps de construction (angles, niveaux, solidité des matériaux); Il ne se voit pas, ne se verbalise pas (sauf peut-être en fin d’été, à tête reposée, lorsque dans le rétroviseur chacun.e est capable de mesurer l’ampleur de ce qu’il.elle a appris.)
La part de la formation est incontournable : posture de l’adulte dans l’aide, comment on gère la guerre des cabanes (dégradations), c’est un enjeu essentiel. Des conseils régulent.
Quand ça ferme à la fin de l’été on démonte tout, c’est important de démonter de temps en temps, pour marquer la fin et la possibilité d’une autre aventure.
Deux clins d’œil pour terminer
En Belgique
En Belgique, il y a polarisation de la société avec deux réseaux (catholique et socialiste) pour une seule éducation, mais le monde laïc a une guerre de retard. Et cette année, nulle mention de vacances apprenantes, les vacances collectives se sont déroulées (en tenant compte des règles sanitaires) comme d’habitude.
Les Ceméa belges organisent des séjours et des plaines (accueil collectifs de mineurs) le terme colonie est banni (il renvoie à l'histoire coloniale du Congo Belge) : quatre séjours et trois plaines. Quatre cents et cinq cents enfants accueilli.e.s., la question des vacances apprenantes n’a pas été posée. Ce qui est mis en avant c’est le collectif et le respect du rythme des enfants.
Toutes les activités mises en place et proposées ont peu ou prou un lien avec les apprentissages issus des expériences et de l’exploration des savoirs. L’axe découverte est très fort mais il n’y a jamais de formalisation et s’il y a évaluation (individuelle et/ou collective) elle vient des enfants .
La priorité ultime ce sont les vacances et en vacances il est nécessaire que les enfants se débarrassent des contraintes. Les référentiels de l’école collent avec ce qu’on fait. Il y a peu d’objectifs en ce qui concerne les savoirs à froid, cela coïncide avec notre façon d’agir. Mais l’apprentissage rôde à chaque coin d’activités.
Un département d’outremer pas commun : la Guyane
À Cayenne, la question des vacances apprenantes résonne d’une manière très tranchée.
« C’est du marketing » affirme Alexandra, la directrice territoriale.
« Nous défendons la normalité des séjours, qui sont avant tout éducatifs et nous ne faisons aucune différence entre accueil collectif de mineur classique et vacances apprenantes.
Nous refusons de rentrer dans ce dispositif qui pour nous n’est pas compatible avec l’éducation nouvelle. Nous voulons coconstruire et refusons la marchandisation.
Gare à la mode.
Et nous affirmons en revanche et avec force notre volonté d’assumer le fait d’être organisateurs, et de cesser de nous cacher derrière des expérimentations. Nous sommes légitimes. Et il faut l’afficher. »
Le contexte actuel peut nous permettre de forcer l’expérience et de saisir l’occasion. Et d’étendre sur tout le territoire, hexagone et outremer, ces exemples qui sont loin de n’être que des expérimentations, mais bien l’affirmation de notre présence en amont, pendant et à l’aval des temps de vacances. Et tout au long de la formation des animateurs et animatrices, et en notre nom.
Le débat reste ouvert, gageons qu’il est et sera vif, mais peut-être que sans crier gare en croyant inventer quelque chose, le ministère nous permettra de faire le pas pour passer le pont et sortir d’une quasi clandestinité. Être enfin organisateur au grand jour. Ou pas. La question reste en suspens.
Que vivent les vacances apprenantes !