Le volontariat existe chez les pompiers
L’animation n’éteint pas les feux, elle contribue ou à les allumer ou à faire qu’ils ne s’allument pas. Mais il d’autres aspects qui rapprochent les deux professions ou plutôt les deux statuts : la place du volontariat dans l’exercice de la fonction.
Elle existe et vit bien dans le cas des pompiers (femmes et hommes), elle cherche encore ses marques dans le monde de l’animation. Curieuse dissemblance ! Et pourtant en séjour de vacances le volontariat permet de colorer l’animation d’une nuance éducative indéniable !
Devinette : quels points communs y a-t-il entre les pompiers et les animateurs ? À brûle-pourpoint la réponse n’est pas forcément immédiate. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, l’observation de la situation des pompiers, du point de vue d’un certain nombre de questions statutaires, peut s’avérer très instructive pour le secteur de l’animation.
À force d’imaginer un secteur de l’animation dans lequel puissent co-agir professionnels et volontaires, à force de revendiquer un statut du volontariat de l’animation pour les animateurs qui agissent dans ce cadre, il nous a paru intéressant d’aller regarder du côté d’un secteur d’activités dans lequel ces questions semblent avoir trouvé une réponse structurée et pérenne.
Le salariat n’est pas l’avenir indépassable du volontariat
Parmi les 245 000 pompiers, 80 % sont volontaires. Ce très grand nombre de volontaires permet d’assurer une présence géographique et un maillage serré sur la totalité du territoire. Le volontariat est aussi une solution fonctionnelle pour organiser une veille continue pour une activité par nature incertaine et imprévisible et qui à certains moments nécessite de mobiliser de vastes effectifs. Enfin, le volontariat pour celui qui s’engage, c’est, à côté de son activité professionnelle, une manière forte et pragmatique d’être utile à sa communauté, d’entretenir un lien civique à la collectivité.
Les sapeurs-pompiers volontaires sont présents partout, en zone rurale, péri-urbaine et urbaine hormis à Paris, Paris première couronne et Marseille où les 12 000 pompiers sont militaires. Ces 192 000 volontaires agissent aux côtés de 40 000 sapeurs-pompiers professionnels, fonctionnaires territoriaux des conseils départementaux. C’est en effet, à cet échelon qu’aujourd’hui sont organisés les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et que l’on trouve également les personnels civils des pompiers comme les personnels administratifs, techniques et spécialisés (PATS).
La très grande majorité des sapeurs-pompiers, volontaires et professionnels, est organisée au sein d’une double pyramide imbriquée, dont la caserne et l’amicale sont les unités de base, qui structurent tant l’opérationnel (l’intervention au feu) que la vie associative – le bal des pompiers pour n’en retenir qu’une facette caricaturale.
L’absence de lien de subordination contractuelle n’empêche pas une mise en œuvre efficace et sécurisée de la mission
Le sapeur-pompier volontaire ne signe pas de contrat de travail mais une déclaration d’engagement qu’il est libre de rompre ou de suspendre à tout moment. Il a toute liberté dans l’ampleur de son engagement lorsqu’il déclare ses disponibilités pour une astreinte ou une garde. Le lien de subordination n’est donc pas créé par un contrat de travail mais par l’adhésion volontaire à une hiérarchie opérationnelle et une charte nationale du sapeur-pompier volontaire. Dans chaque centre de secours il y a un chef de centre, pour chaque garde il y a un chef de garde…
À tous les niveaux, sont repérés des responsables et selon sa place dans la pyramide hiérarchique, la personne obéit au niveau supérieur. C’est ce que les pompiers appellent la chaîne de commandement opérationnel. Un volontaire peut se retrouver en situation opérationnelle de commander des professionnels parce qu’il est le plus haut gradé. Sur le terrain, ce n’est pas le statut – volontaire ou professionnel – qui compte mais le grade, la place tenue dans l’organisation opérationnelle.
L’indemnité permet l’engagement et participe d’une forme de reconnaissance
Les gardes et les interventions donnent droit à une indemnité au pompier volontaire. Cette indemnité n’est pas assujettie aux prélèvements obligatoires. La couverture sociale dépend du SDIS au niveau départemental qui prend une assurance et une mutuelle. Si l’indemnité n’ouvre pas de droit à la retraite, il a été toutefois créé depuis quelques années une forme de retraite non professionnelle, la « prestation de fidélisation et de reconnaissance » ouverte au bout de vingt ans de service.
L’indemnité matérialise le service public rendu par ces personnes. Le législateur le dit ainsi : « La reconnaissance par la Nation de l’engagement de sapeur-pompier volontaire se traduit notamment sous forme de récompenses et de distinctions. » L’indemnité est aussi un moyen de permettre un engagement coûteux en temps, en disponibilité nécessitant d’orienter son temps libre vers une activité au bénéfice de la collectivité mais ce qui n’est pas sans conséquences, sans « sacrifices » dans sa vie professionnelle, familiale et personnelle.
L’indemnité est aussi la source de questionnements et de tensions dans le milieu des sapeurs-pompiers. Stéphane Chevrier et Jean-Yves Dartiguenave, auteurs d’une étude sur les sapeurs-pompiers volontaires définissent le volontariat comme « une forme originale d’activité comprenant à la fois du bénévolat et du salariat ».
Et l’indemnité, selon son montant et sa fréquence, se trouve dans une zone frontière aux confluents de la reconnaissance, du dédommagement et du revenu. Les deux sociologues écrivent : « Le volontariat ne peut se confondre statutairement avec le salariat. Pourtant certaines modalités d’expression du volontariat peuvent s’approcher de ce statut. La régularité et le volume des vacations perçues laissent à penser qu’il s’agit d’un revenu complémentaire parfois indispensable à l’économie familiale. Le volontariat peut alors devenir une activité complémentaire à l’activité professionnelle. » Selon la situation de chacun et sa stratégie personnelle, des compréhensions différentes, multiples, voire antagonistes du volontariat peuvent se développer et être sources de divergences au sein des volontaires et d’antagonismes entre volontaires et professionnels.
Un statut du volontaire reconnu et sécurisé
Le code de la Sécurité intérieure, créé par ordonnance du 12 mars 2012, décrit clairement le statut et les missions des sapeurs-pompiers volontaires. D’emblée, l’article 5 précise que : « L’activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n’est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres. » Pour autant la co-action volontaires-professionnels est posée dès l’article suivant : « Le sapeur-pompier volontaire prend librement l’engagement de se mettre au service de la communauté. Il exerce les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels. Il contribue ainsi directement, en fonction de sa disponibilité, aux missions de sécurité civile de toute nature confiées aux services d’incendie et de secours ». L’indemnité est prévue par l’article 9 dans le cadre d’une activité à but non lucratif. Un arrêté fixe le taux de l’indemnité horaire de base à savoir 7,60 € pour un sapeur au 1er janvier 2014.
La fédération nationale des sapeurs-pompiers est très vigilante quant aux évolutions du marché du travail tendant à assimiler le volontariat au travail, notamment dans le cadre des directives européennes. Elle a suivi de près « l’affaire » du contrat d’engagement éducatif et l’obligation de repos compensateur, craignant que le volontariat des pompiers soit lui aussi assimilé à un travail soumis aux repos compensateurs. L’article 15 prend d’ailleurs garde de préciser que « les activités de sapeur-pompier volontaire, de membre des associations de sécurité civile et de membre des réserves de sécurité civile ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail. »
Des similitudes frappantes
À la lecture du cadre juridique des pompiers volontaires, on ne peut qu’être tenté de rapprocher cette définition de la philosophie générale de l’animation volontaire qui transparaît à travers les textes régissant le Bafa et le Bafd. Il s’y lit une proximité évidente dans l’approche commune qui s’en dégage : Le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur et le brevet d’aptitude aux fonctions de directeur en accueils collectifs de mineurs sont destinés à permettre d’encadrer à titre non professionnel, de façon occasionnelle, des mineurs en accueils collectifs dans le cadre d’un engagement social et citoyen et d’une mission éducative. En creux, s’y voit aussi tout ce qui n’y est pas. Les textes de cadrage du Bafa et du Bafd ne se préoccupent que de la formation. Ils devraient pouvoir être rattachés à un texte cadre du volontariat de l’animation. Et là, le vide est criant. Si l’animation s’est développée depuis 150 ans à l’initiative des acteurs sans attendre d’incitation juridique, aujourd’hui les évolutions et transformations du secteur de l’animation nécessitent une structuration et une clarification du cadre d’action.
Dans cette réflexion, trois éléments nous semblent devoir retenir toute notre attention dans la perspective d’un statut du volontariat de l’animation.
Un engagement et non un temps de travail
Le volontariat ne peut être régi par le droit du travail. C’est sur ce point qu’achoppent depuis de nombreuses années toutes les tentatives de faire exister un volontariat de l’animation. à bon droit, si le contrat d’engagement éducatif – seule manière légale aujourd’hui de verser une indemnité aux animateurs – est un contrat de travail, la réglementation du travail doit s’appliquer. C’est l’argument utilisé par le syndicat qui a attaqué judiciairement le Contrat d’engagement éducatif (CEE) devant les juridictions françaises et européennes, dès l’apparition du CEE sous la forme d’une disposition d’une loi pourtant dite du « volontariat associatif » (2006).
Le volontariat nécessite un autre cadre. L’engagement ne peut être assimilé à un temps de travail. L’indemnité n’est pas un salaire. Pour autant, la durée annuelle d’engagement et l’indemnité doivent être bornées ; la formation du volontaire doit être prise en charge par l’œuvre organisatrice. Mais aussi d’autres formes de reconnaissance doivent être imaginées. À l’heure où l’on parle du retour d’un service (civique) national obligatoire pourquoi ne pas imaginer que celui-ci puisse se faire tout au long de la vie et que le volontariat de l’animation (ou des pompiers et d’autres) en soit une des formes ? Pourquoi ne pas imaginer qu’il puisse entrer en ligne de compte dans le calcul de l’allocation d’une bourse d’études, d’une allocation logement si l’indemnité sert aussi à compenser un temps donné qui aurait pu être employé pour une activité lucrative, d’autant plus lors d’une période de sa vie où l’on est sans revenu ?
La professionnalisation
Aujourd’hui – et c’est là une grande différence d’avec les pompiers, le fait professionnel est le fait majoritaire dans l’animation. Dans une société fonctionnant avec un chômage de masse, où la tentation est permanente de promouvoir des contrats de travail dérogatoires et moins protecteurs, le volontariat ne peut pas être un moyen de contourner le droit du travail ni une forme de précarité déguisée.
Dans ce contexte, l’activité de séjours de vacances semble être la plus propice à l’exercice du volontariat de l’animation. Les séjours de vacances ont une durée limitée, circonscrite au séjour et nécessite une présence continue auprès des enfants. Ils nécessitent également un nombre important d’encadrants qu’il faut mobiliser ponctuellement à l’occasion des congés scolaires. Cet ensemble de caractéristiques assez peu compatibles avec le recours unique de professionnels salariés permet d’envisager l’activité, non concurrente et complémentaire, de volontaires.
La marchandisation
Le volontariat de l’animation ne peut servir qu’une approche éducative et sociale de l’animation. Il est une activité éducative d’intérêt général et à ce titre seules les œuvres à but non lucratif doivent pouvoir y recourir. La finalité de l’Éducation populaire, portée par l’animation volontaire et professionnelle qui s’en reconnaît, ne s’inscrit pas dans le profit.
L’engagement éducatif
Encadrer une colo n’est pas qu’un job d’été. Ceux qui entrent en formation le savent ou le pressentent. Au pire, ils le découvrent. S’occuper d’enfants en collectivité, lors de temps de loisirs et de vacances est une expérience précieuse, parfois déterminante, dans la possibilité ouverte de participer à des activités d’intérêt général, dans la construction du sens collectif. Et il n’y a pas à souligner outrancièrement le caractère éducatif de la mission. Elle l’est de fait. Et le plus souvent dans les situations les moins didactiques. Quand il s’agit d’atteindre l’autonomie dans les gestes élémentaires de la vie quotidienne. Quand il s’agit de prendre une décision collective. Quand il s’agit de gérer un conflit. Quand il s’agit de découvrir l’insoupçonné.
« Quand j’serai grande, je veux être heureuse, savoir dessiner un peu, savoir m’servir d’une perceuse, savoir allumer un feu, jouer peut-être du violoncelle, avoir une belle écriture pour écrire des mots rebelles à faire tomber tous les murs », chantait Renaud dans une chanson en forme de manifeste éducatif. À croire que le meilleur de l’Éducation populaire lui avait inspiré ces paroles.
Références
Code de la Sécurité intérieure. les articles L723-3 à L723-20 définissent le statut des sapeurs-pompiers volontaires.
Étude sur l’avenir du dispositif de volontariat chez les sapeurs-pompiers, Stéphane Chevrier, Jean-Yves Dartiguenave. Mana-Lares, 2008.
Les Statistiques des sapeurs-pompiers volontaires en France, éditions 2014. Ministère de l’Intérieur.
http://www.pompiers.fr/accueil/les-sapeurs–pompiers/les-statistiques
Merci à Marie Brunel, attachée à l’animation de réseau à la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, pour les informations et les indications de recherche.
Issu