Organiser des accueils collectifs de mineurs déconfinés et apprenants
Interview d’Aline Voisin 1 le 16 juillet 2020
et de Vincent Bonnaire 2 et Bernadette De Almeida 3 le 20 juillet 2020
Au vu de la situation sanitaire inédite est-ce que vous avez à un moment envisagé de ne pas accueillir d’enfants cet été ?
A.Voisin
Nous avons eu beaucoup d’inquiétudes et d’incertitude jusqu’il y a un mois. Nous sommes organisateurs d’un centre de vacances en Haute Saône. On a tout préparé pour ouvrir mais cela ne dépendait pas que de nous. C’est surtout au printemps que pour nous la situation a été problématique. Avec le confinement, nous n’avons pas ouvert de l’année (les classes de découvertes ont été annulées). Les informations restaient vagues et à court terme, il était difficile de tirer des plans sur la comète. Nous avons attendu, attendu, attendu et encore attendu. Mais il fallait qu’on ouvre, tant les enfants avaient besoin de décompresser, de jouer, d’être ensemble.
Et puis on a été informés par notre fédération de son engagement national dans le dispositif « colos apprenantes ». Je crois que cela a été le déclic. La sortie du protocole n’a pas été simple mais on se devait d’y aller.
On savait qu’on aurait une grosse demande pour le public qui dépend de la protection de l’enfance. Leur situation n’a pas manqué d’être lourde pendant le confinement (et pour eux.elles et pour les équipes), peu d’assistantes familiales, pas d’école et cet été pratiquement pas de familles d’accueil, mais il n’en reste pas moins que nous avons tenu à accueillir d’autres enfants (la mixité des publics a toujours été notre cheval de bataille).
Cet été on a été complet, il faut dire que pour respecter la sécurité sanitaire nous avons réduit la capacité d’accueil d’Aisey : cinquante six enfants accueilli .e.s. Certains centres (catalogues et réseau PEP) ont été abandonnés néanmoins. Certains collègues ont choisi de n’ouvrir qu’aux enfants d’âge élémentaire (port du masque à partir de onze ans).
V.Bonnaire et B. De Almeida
Aux PEP 21 nous accueillons du public dans trois communes autour de Dijon depuis le début du confinement (enfants des personnels soignants), ce qui nous a conduits à nous lancer dans l’aventure des vacances d’été.
Le protocole a été décortiqué afin de sortir du schéma type (les responsables des centres reçoivent le protocole et doivent l’appliquer sans chercher à comprendre, si c’est caricatural c’est malheureusement vrai). Il s’agissait de s’arrêter pour réfléchir, se laisser le temps de la prise de distance pour réagir. Formation en ligne de tous les personnels. Les procédures ont beaucoup aidé.
Pour cet été, nous n’avons eu que trois semaines de travail (pour une charge équivalant à deux mois) et après avoir pesé le pour et le contre, il nous a semblé évident qu’il fallait ouvrir (demandes en augmentation par rapport à l’an dernier). Les enfants d’origine étrangère ne sont pas parti.e.s en vacances avec leurs parents et les enfants de l’ASE avaient un besoin urgent de changer d’air, mais nous défendons la mixité et avions également à cœur d’accueillir des inscriptions individuelles.
Il y avait moins d’offres et plus de demandes (les organisateurs ne se bousculaient pas), nous avons mis en place beaucoup de colos apprenantes (y compris dans des locaux qui ne sont pas à nous)
nous avons la fierté d’avoir engagé une expérimentation avec une équipe médicale (un médecin et deux infirmières) en lien avec les équipes pédagogiques sur des questions très pratiques, et un suivi précis de la situation des enfants.
Beaucoup de choses ont changé, ce qui est compliqué c’est le port du masque pour les + de onze ans, ainsi que l’équilibre à trouver sur les curseurs sanitaire et pédagogique (cœur de métier). Pour certains c’était un véritable frein. Il y a des animateurs qui ont lâché et quelques-uns ont eu du mal à intervenir.
Pour les colos il s’agissait de réfléchir à inventer autre chose, soit on prenait des risques, soit on ne faisait rien bouger, ça a valu le coup de bousculer les habitudes.
Quid des colos apprenantes ?
A.Voisin
Tous les séjours des PEP sur tout le territoire ont été labellisés et pour en garantir la gratuité aux familles les nôtres ont duré six jours au lieu de sept, ce qui a compliqué la logistique des transports et du côté humain conduit les équipes à gérer au mieux les débuts de séjour de façon à garantir que chacun des enfants soit accueilli avec le plus grand soin.
L’annonce de ces colos apprenantes (au passage, on n’avait pas l’impression que nos séjours ne l’étaient pas, apprenants,) a permis de lever l’inquiétude quant à l’ouverture des centres cet été.
Mais tout ne fut pas si simple, en effet si certains partenaires (je pense au PRE à Besançon) ont joué le jeu, d’autres ont choisi de ne pas rentrer dans le dispositif (la commune de Belfort en particulier), c’est la préfecture qui a pris les rênes. Et a pallié leur retrait.
Nous avions quelques craintes au début quant à la part importante de l’Education Nationale (école bis?) dans cette démarche, mais on a vite été rassurés.
Pour rentrer dans les clous, nous avons formulé et expliqué différemment (comment est mobilisé le socle commun, par exemple) la teneur des séjours?
V.Bonnaire/B.De Almeida
Pour les colos apprenantes on les a toujours faites mais sans doute pas assez communiqué là-dessus, on n’avait pas l’habitude de mettre en avant les objectifs éducatifs, il faut qu’on s’habitue à véhiculer le sens et la sève de notre projet d’éducation populaire. Dans chaque activité pratiquée il y a une part du socle commun.
Il est primordial que nous continuions à valoriser les apprentissages, les formaliser et les mettre en avant. Il faut qu’on apprenne à mieux communiquer et à assumer notre part éducative à l’externe.
Dès qu’on écrit les choses il y a un plus indéniable.
On doit lire absolument les documents produits par l’OVLEJ, l’INJEP, il disent des choses importantes, ça va contribuer à faire bouger les choses.
Il y a du sens dans le vivre en commun du matin au soir, dans la geste de la vie quotidienne, les gens commencent à comprendre.
Ça a de l’impact, ça installe quelques chose de nouveau, les élus, les partenaires comprennent mieux.
Nous nous sommes permis d’insister sur l’importance du premier accueil à la gare, du départ, des transports, l’image qu’on donne à voir, qu’on renvoie est primordiale, il y avait cette année beaucoup de nouveaux enfants et les a priori se font sur les quinze premières minutes
Que la situation a-t-elle changé ?
A.Voisin
Notre plus grande inquiétude résidait dans le fait qu’on avait tout fait dans l’urgence, est-ce qu’on était prêts à y aller en ayant si peu de temps de préparation ? Est-ce qu’on n’ouvrait pas la porte à des gros oublis, à des erreurs dommageables ?
Je dois reconnaître que nous avons respiré lorsqu’on a su que c’étaient les Ceméa qui recrutaient les équipes d’encadrement (le risque était là).
Les transports sont un véritable casse-tête, nous avons eu à gérer des convoyages depuis Belfort, Laroches-Migennes, Dijon, Vesoul et Besançon, mais il était primordial qu’on permette aux familles une latitude quant aux déplacements. Et force est de constater que tout s’est passé pour le mieux. Les équipes ont assuré.
Nous avons pu disposer de deux trafics que l’ITEP de St Vit nous a prêtés pour les trois sessions), on s’est donné les moyens d’être les plus autonomes possibles. Le réseau fonctionne à plein.
La seule inquiétude qui subsistait tient à l’aspect financier des choses (on espère s’y retrouver).
Le port du masque obligatoire pour les plus de onze ans nous a un peu souciés. Nous n’avons pas fait appel à des prestataires extérieurs.
- Nous avons renforcé le taux d’encadrement (un pou six pour les maternelles et un pour sept pour les autres enfants)
- Il y avait une assistante sanitaire (4ème année de médecine) qui était la référente Covid
- Un médecin et une infirmière étaient joignables en permanence et disponibles si besoin pour conseiller
- Les équipes de direction des trois sessions et toute l’équipe de la première session ont suivi une formation ( portant principalement sur trois points : activités physiques et sportives, aménagement, préparer son équipe) assurée par deux membres des équipes de direction.
- Le nettoyage et la désinfection ont été opérés deux fois par jour par quatre agent.e.s de service à plein temps
- Il y a eu des pauses hygiène
- Le protocole a été intégré à la préparation des équipes et dans les projets pédagogiques
- Des masques et du gel étaient à disposition
- La part belle a été faite aux petits groupes
V.Bonnaire/B.De Almeida
Sur nos quatorze séjours, on a plus que triplé le nombre d’inscrit.e.s, en appliquant les normes partout. Nous avons facilement pu recruter des équipes dans des délais très courts, en urgence. Les gens avaient envie de s’engager.
Ce sont les « cas contact » qui ont été préoccupants (un par jour), le temps institutionnel (ARS, RH) était lourd. Le principe de précaution a été appliqué en tout lieu et à chaque instant. Il y avait prise de température tous les matins et tout était noté (c’est devenu un rituel). Les enfants se sont adapté.e.s (il.elles ont bénéficié de l’expérience de l’école)
Au niveau activités, tout a pu se dérouler sans encombre, la piscine a posé un problème épineux mais nous avons pris la décision d’y aller. On a dû trancher et nous avons pris toutes les garanties mais on ne s’interdisait pas de stopper s’il y avait le moindre problème.
En ce qui concerne les mini-camps nous n’en avons pas faits en juillet. L’expérience du fonctionnement au printemps pendant le confinement a permis d’acquérir des réflexes, on a principalement évité de multiplier les brassages.
Pour les transports, tout le monde était masqué (plus de onze ans). Les pédagogues se sont posé beaucoup de questions, rien n’a été fait au hasard (les enfants peuvent-ils participer à la désinfection?) et tout a été réfléchi avec eux et accompagné.
Les enfants se sont fondu.e.s dans le fonctionnement et ont tout à fait saisi les règles imposées par la situation. Les parents font des retours positifs (le protocole leur a été envoyé ainsi qu’un courrier explicatif afin de les rassurer pleinement).
Tous les séjours étaient des séjours d’un bloc, qui allaient de cinq à quatorze jours mais les enfants inscrit.e.s l’étaient pour la totalité du séjour.
Au niveau tarifs certains séjours coûtent le même prix, d’autres sont un peu plus chers, nous nous sommes appuyé sur des fonds publics et privés pour aider au financement. On espère rentrer dans nos frais.
Et à l’avenir si ça dure, si ça se durcit ?
A.Voisin
On s’adaptera, avec l’incertitude quant au maintien des inscriptions, ce qui nous fait le plus peur ce sont les classes de découvertes à l’automne.
V.Bonnaire/B.De Almeida
Quatre scenarii sont possibles :
- Épidémie maîtrisée, cluster terminé, on continue comme aujourd’hui
- Clusters demandant des mesures locales, on réfléchit, on verra et il y aura des mesures de protection en plus
- Reprise à bas bruit, vigilance accrue
- Reprise nationale, on regardera et on reviendra au fonctionnement qui était le nôtre pendant le confinement
Le partenariat « PEP/Ceméa » ? 4
A.Voisin
Il est bien dommage que l’année 2020 ait été rognée dans son activité. On attend désormais l’automne mais d’ores et déjà la conjugaison des réseaux avec chacun une mission différente mais complémentaire (organisation d’un côté et formation de l’autre) scelle notre collaboration.
L’avenir du centre d’Aisey et Richecourt passe par la réussite de celle-ci. Le centre ne pourra continuer à exister et à se développer que s’il conjugue l’accueil des classes et les colos. Il faut qu’on s’inscrive plus dans le territoire, qu’on soit capables d’embarquer les habitants, et de s’inscrire dans le plan mercredi.
V.Bonnaire/B.De Almeida
il s’affine, les projets s’éclaircissent, il y a des choses à bâtir (chacun dans sa partie : formation pour les Ceméa, organisme d’accueil pour les PEP)
Propos recueillis par la rédaction de VEN
- Directrice du dispositif éducation et loisirs de la délégation du Doubs des PEP CBFC (Centre Bourgogne Franche Comté)
- Directeur du dispositif « éducation et loisirs » de la délégation de Côte d’or
- Responsable des séjours de vacances aux PEP 21
- Les Ceméa de Bourgogne Franche Comté et les PEP Centre Bourgogne Franche Comté ont signé une convention de partenariat qui stipule que les Ceméa se voient confiée l’accueil et la gestion pédagogique du centre permanent d’Aisey et Richecourt en Haute Saône durant les séjours de vacances, les classes de découverte et l’accueil de divers groupes.