Profiter de...
Il est de ces petites expressions, qui sont passées dans le langage courant et dont le rapprochement ambigu des différents sens nous interroge. « Profiter de… » est de celles-ci. Le Larousse la définit comme « Tirer un profit de quelque chose, un avantage financier ou autre » en précisant que, de façon familière, ce verbe peut aussi signifier : « Satisfaire son désir d'être en compagnie de quelqu'un. Pendant les vacances, elle a bien profité de sa fille ».
Cet étrange rapprochement nous renvoie à la place de l’enfant et son statut dans la société et le quotidien. Est-il un bien que l’on possède, dont on « profite » ? Un marqueur social vis-à-vis de la société ? J’ai vu récemment un reportage sur une famille, qui avait fait une randonnée au long cours avec un très jeune enfant, passant ses journées assis dans une poussette. La valorisation de cette situation se faisait évidemment autour de l’unité familiale. Mais si l’on change d’angle de vue, la réalité est celle d’un enfant restant assis de longues heures pendant des jours et des jours, avec le prétexte de la découverte. Une situation qui ne correspond évidemment ni aux besoins d’activité, ni aux apprentissages, ni au rythme d’un tout petit, mais qui était pourtant positivée et montrée avec complaisance, en argumentant que ce « projet familial » ne pouvait être qu’éminemment lié à la présence de l’enfant. Même si la problématique de la baisse importante des départs en séjours de vacances collectives est multiple, complexe et ne peut-être simplifiée ou caricaturée, on peut néanmoins s’interroger sur la part que « profiter de… » tient dans le fait que certains enfants n’y participent plus. « Ce serait bien qu’il puisse partir avec d’autres, cela lui permettrait de… Oui mais… On ne l’aura pas avec nous… On ne pourra pas le ou la voir… C’est mon temps de garde partagée… On aurait l’impression de s’en débarrasser… » J’ai régulièrement entendu des arguments de ce type, lors de discussions avec des parents.
Sur un autre registre du « profiter de… », il est fréquent que des adultes, cherchent à se valoriser socialement, mais peut-être aussi se rassurer, en montrant ostensiblement aux autres ce bien précieux que représente l’enfant et la manière dont ils s’en occupent. Dans le train, je suis parfois frappé de sollicitations exacerbées ou de lectures d’albums, dont profite l’ensemble du wagon.
En relisant cette petite chronique, je me dis que l’on pourrait lui trouver un ton condescendant voire donneur de leçons. Mais rassurez-vous, je pense, moi-aussi, m’être parfois trouvé pris dans cette dérive. Alors, pour se consoler, nous pouvons relire ces lignes de Marcel Pagnol dans La gloire de mon père : « J'avais surpris mon cher surhomme en flagrant délit d'humanité : je sentis que je l'en aimais davantage. Alors, je chantai la farandole, et je me mis à danser au soleil ».
Il n’empêche, que j’essaye d’éviter cette expression où le profit se mêle d’éducation.
Vers l'Education Nouvelle (n° 577, janvier 2020)