Une colo c’est complexe
Un temps, des temps
Beaucoup sont réveillés dès potron-jaquet, quoi de plus admissible pour des enfants ayant à peine quitté le rythme de l’école. Là il pourrait aussi s’agir d’interroger ce qu’ils vivent en famille, car les modèles familiaux ont un poids, une version quasi individuée, d’où ne peut surgir, en décalque, un mode d’organisation validé à la lecture du projet pédagogique. De fait, le choix rédigé dans l’objectif « respecter le rythme biologique de chacun » se traduit par « favoriser l’éveil naturel des enfants ». Où se trouve le naturel quand l’enfant est traversé par les effluves du temps de la maison et découvre la nouveauté d’une chambre à plusieurs, dans un grand « château » où les repères sont profondément marqués d’histoire et de représentations. Tous ces instants accumulés, constitutifs de la vie quotidienne, sont propices à l’étonnement. Si nous passons ces heures en compagnie des enfants, il ne revient pas de façon spécifique aux animateurs et animatrices de veiller scrupuleusement au respect du projet pédagogique. Il n’y a pas obligation à s’assurer que l’éveil et partant le rythme se confondent avec nos objectifs, cependant, du contact, de la proximité, de l’attention, tout un ensemble de signes produits par cette petite troupe renseignent, déclenchent de la compréhension, forgent le regard et la posture d’adulte.
Un collectif, des individus
Retour à Aisey-et-Richecourt …
Tresser un lien, tout en repérant l’élaboration dans la pluralité des avis, savoir réagir dans l’immédiateté tout en intégrant la place des autres, ce qui a été fait et ne peut être négligé, tout un faisceau d’attentions dont nous formulons l’exigence, sans vouloir le sur-déterminer par une morale ou une conception du monde qui ne serait pas la mienne. Ainsi, à voir l’individu enfant, nous sommes attirés par la multiplicité des interactions, au fur et à mesure du séjour, il se perçoit à la fois remarquable au milieu des autres et porteur, bien frêle, d’une histoire familiale, parentale, monoparentale, recomposée. Autant d’indications que nous ne prenons pas pour des signes particuliers. Pourtant cette arrière-cour a sa part, des enfants ordinairement placés dans un foyer au titre de la protection de l’enfance titillent notre tempérance. Comment concilier ce temps de vacances, rompant avec l’accompagnement de l’éducation spécialisée, pour des enfants que je qualifierai de turbulents alors que nous essayons de les faire goûter à un autre commun, au collectif de la colo. La vie dans une colo « à taille humaine » semble crédibiliser les relations de qualité, la prise en compte de chacun, la bienveillance déclarée, souhaitée, affirmée.
Une hypothèse, des pistes
C’est en substance ce qui soutient l’enthousiasme d’un instructeur des Ceméa Louis C. Micollet-Bayard (Micollet- Bayard, Louis C., « Remarques sur la direction d’une colonie de vacances de quatre-vingt dix enfants », in Ven 181, avril 1964.) disant que le nombre, et pas seulement entendu comme quantité, laisse place, avec les interrelations entre tous, aux problèmes sans que surgisse « cette dépersonnalisation qu’apporte une hiérarchisation inévitable dans une collectivité plus vaste. » Il y a ici une ligne de conduite défendue jusqu’à maintenant dans les colos à direction Ceméa, et aujourd’hui cette collectivité à taille humaine est malmenée par les aléas de la mixité sociale.
Que nous/me reste-t-il de cette quinzaine intense et déjà presque enfouie ? Dans les incontournables aujourd’hui, nous mesurons et éprouvons la très forte contradiction de l’Agir au milieu des cadres et des réglementations.Nous pesons aussi le risque, l’aventure et la quiétude, le loisir, les enfants et les adultes ont emmagasiné des images et des sons, les paroles des plus jeunes dessineront la carte du tendre que d’aucuns garderont en tête pour leurs enfants. Vers quel avenir iront-ils.elles ?
Henri Laborde, délégué général des Ceméa souligne [Laborde, Henri, « Place des vacances dans une étude générale de la politique des loisirs », in Ven 189 janv.-fév. 1965.] combien les notions des temps de travail et des temps de loisirs « hier contradictoires, aujourd’hui solidaires dans une recherche de l’équilibre de l’homme » portent à de multiples réflexions. À cette distance, cette affirmation, alors élaborée dans une période où se conçoit une civilisation des loisirs [Dumazedier Joffre, Vers une civilisation du loisir ? Éd. du Seuil, Paris, 1962.] résonne avec une inquiétude soulevée par le délégué général sur une baisse du public fréquentant les colos. Le(s) loisir(s) de masse(s) sont un phénomène croisant la démocratisation et l’accès aux vacances pour des catégories aux revenus modestes. De fait l’aspect économique est une ligne de fracture à prendre en compte dans l’évolution des intérêts pour les loisirs. Aujourd’hui, lorsque nous constatons que la baisse de fréquentation des colos vient à nouveau interpeller sur les causes et les raisons, il est aussi probable que le temps libre des enfants ou le temps libéré des adultes reste déterminé par une lecture du temps social. Nous aspirons à des vacances, car elles participent à cet équilibre de l’être humain, mais le temps du collectif nous confronte à d’autres liaisons, temporaires, précaires.
Être animateur.trice durant un séjour d’une quinzaine de jours, embrasser la fonction de direction pendant cette même durée, nous amène à déplacer forcément et fortement qui nous sommes, et l’étiquette d’éducateur, dans laquelle je me reconnais, ne nous éclaire ou ne nous sert pas. Nous avançons en construisant le chemin.
Si au moment de sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil national de la Résistance intitulait son programme « Les jours heureux », les rédacteurs se promettant de l’appliquer, pouvons-nous dire aujourd’hui des enfants et des équipes éducatives les accompagnant qu’ils les connaissent et les incarnent ? Ou des colonies de vacances comme la résistance à (entre)tenir du collectif.