Vive les taps ?
Nombreuses sont les associations d'Education populaire, dont les Ceméa, à avoir soutenu la réforme des rythmes scolaires mise en place par Vincent Peillon, alors ministre de l'éducation. Celle-ci, présentée comme bénéfique pour les enfants, argumentée par les travaux des chronobiologistes, s'est vue prise dans un débat presque manichéen : « tout bien » ou « tout mal ». Pourtant, sans remettre en question son fondement, de nombreuses nuances peuvent être apportées à ce succès… qui n'est que très relatif. Oui, cinq matinées et quatre après-midi allégées, c'est mieux pour les apprentissages. C'est un « instit » qui le dit. Et pourtant, en ce début d'année scolaire 2015-2016, je n'ai pu m'empêcher de prendre une photo. Et dans l’œil du photographe à ce moment-là, la splendeur de l'ironie de la situation : un petit de CP, forcé de rester à l'atelier Arts plastiques, alors qu'il voulait simplement rentrer jouer avec ses petites voitures à la maison… L'impulsion qui m'a fait prendre une photo d’enfant devant un portail clos en bois blanc m'a donné envie de creuser. Simple esprit de contradiction ? Rejet des idéologies non questionnées ? Un peu de tout ça sûrement, mais j'en ai aussi sorti quelques arguments que je vous livre ici.
La réforme des rythmes s'est arrêtée à la porte de l'école
Quand la plupart des gens entendent parler de réforme des rythmes, ils pensent aux rythmes de l'enfant. De nombreux professionnels de l'éducation l'entendent même ainsi, voire le défendent. On imagine alors que cette réforme prend en compte les rythmes biologiques des enfants afin d'améliorer leur apprentissage et leur bien-être. Mais cette réforme est une réforme des rythmes scolaires avant tout. Globalement, les résultats des recherches des chronobiologistes montrent que les enfants sont plus réceptifs aux apprentissages le matin, dans la tranche 9 heures-11 heures, ainsi qu'en fin d'après-midi vers 17 heures-19 heures. Ils montrent aussi qu’il y a moins de fatigue constatée entre une semaine de quatre jours et demi, avec école le samedi matin et un mercredi blanc, qu'une semaine de quatre jours. L'absence de régularité, les ruptures trop fréquentes, sont souvent évoquées pour expliquer pourquoi la première organisation est préférable à la seconde. Il est donc logique d'organiser les apprentissages scolaires sur cinq matinées et d'alléger les après-midi pour favoriser les apprentissages scolaires. La réforme a consisté à placer les temps d'apprentissages scolaires aux moments où les enfants sont les plus réceptifs. L'objectif, louable, mis en avant par le les enfants sont les plus réceptifs. L'objectif, louable, mis en avant par le ministère était de diminuer les difficultés scolaires en permettant aux plus fragiles d'être concentrés pendant les temps d'apprentissages.
Un facteur de fatigue supplémentaire ?
Mais cette réforme ne va pas plus loin. Elle passe à côté de l'ambition affichée d'alléger la journée de l'enfant et, de fait, le temps passé en activité est toujours aussi important. Les enfants arrivent globalement toujours aussi tôt à l'école et partent toujours aussi tard le soir. Les activités périscolaires proposées dans les trous sont au pire occupationnelles, au mieux inscrites dans un projet pédagogique qui ne fait que tourner autour de l'école avec l'enjeu redoutable de proposer des activités reposantes mais éducatives, pas trop stimulantes mais pas vides de sens, dans un temps relativement court, dans des locaux parfois inadaptés, la plupart du temps dans les murs de l'école. Les enfants n'ont pas gagné avec cette réforme un rythme de vie plus reposant. De ma perception d'instit, les enfants n'en sont pas moins fatigués en fin de semaine, en fin de période… Certains parents évoquent même souvent la scolarisation du mercredi matin comme un facteur de fatigue supplémentaire, car les enfants dormaient plus longtemps ce jour-là et récupéraient… En effet, dans de nombreuses organisations familiales, l'un des parents est à temps partiel avec le mercredi libre.
Mais le temps des parents ?
Cela conduit indiscutablement au point suivant… Il n'y aura pas de réforme des rythmes de l'enfant sans réfléchir à ceux des parents ; mais il faut bien commencer quelque part, c'est vrai. Garderie le matin, cantine à midi, garderie le soir, avec des TAP glissés par-ci, par-là… Les journées sont longues… autant qu'avant. Si le rythme des journées n'est pas ponctué par celui, biologique, de l'enfant, il l'est par l'organisation du temps des parents. Le temps passé au travail impacte logiquement le temps des enfants en garde par ailleurs. De plus, des parents en recherche d'emploi ne s'accorderont pas nécessairement plus de temps pour être avec leur enfant. Il existe un temps horaire imaginaire de construction sociale dans lequel on se doit d'être « au travail », à tout le moins en activité. L'idéologie du travail reste prégnante dans notre société, loin devant celle de passer du temps avec ses enfants, encore plus loin de celle de trouver du temps libéré pour soi, hors travail, hors enfants… Pour toutes ces raisons, il ne saurait y avoir de véritable réforme du rythme de vie des enfants sans une vraie réforme du travail. Nous pourrions également parler de la répercussion de la fatigue des parents due à leurs longues journées sur celle des enfants… La réduction du temps de travail ne doit pas être un tabou. Le partage du travail non plus. Est-il si inconcevable d'imaginer les gens quitter leur lieu de travail vers 16 h 30 ? La révolution technologique, notamment informatique et communicationnelle, a accéléré le travail au lieu de le soulager. Les exigences augmentent, les contrôles aussi, la production encore et encore. Tout est toujours urgent. Il nous faut mettre à plat le travail dans sa globalité. Pourquoi travaillons-nous ? Que produisons-nous ? Pour quelle utilité sociale ?… et revenir à l'essentiel, tout en se partageant le travail, son temps et les profits.
Une course à l'activisme et à la consommation d'activité
Si la réforme des rythmes de l'école n'est pas celle du rythme de vie de l'enfant, elle peut cependant être une porte d'entrée pour bouger des choses. Elle ne sera néanmoins pas suffisante si elle s'arrête là et on peut facilement imaginer des retours en arrière dans les années à venir… D'autant plus qu'elle induit des effets pervers dans l'organisation des temps périscolaires. « C'est une bonne réforme, vos enfants vont pouvoir découvrir plein d'activités. » Cet argument de promotion des activités périscolaires n'est pas sans faire penser aux plaquettes des séjours de vacances où les activités jouent le rôle d'argument de vente. Cette instrumentalisation de l'activité enferme le temps de vacances ou de loisirs dans un imaginaire de consommation. Il ne s'agit pas de proposer des activités, mais il faut qu'il y ait activité. Ce n'est plus de la mise en activité, c'est de l'activisme. Car il faut pouvoir se justifier face à des parents exigeants. Ceux-ci veulent savoir ce que fait leur enfant, ils veulent pouvoir choisir son activité, l'y inscrire comme on choisit de s'inscrire dans un club de foot. Et quand on n'obtient pas gain de cause, évidemment on le fait savoir. Le temps périscolaire est dans le viseur : observation, jugement, détricotage. Il n'est pas global, pensé dans la journée de l'enfant, et encore moins dans la semaine. Il n'est pas rare que des enfants de maternelle aillent deux fois au gymnase dans la journée, activités motrices le lundi matin, danse africaine le midi, et rebelote le mardi, sur des ateliers et avec des règles différentes… Il n'y a pas de cohérence d'ensemble et pour cause : certaines activités sont encadrées par les professeurs des écoles, d'autres par les animateurs du périscolaire, d'autres par des intervenants associatifs. Quels temps de concertation ? Aucun. Le temps de réunion des instits, d'un forfait annuel de 108 heures, est vite explosé : conseils d'école, de maîtres, rencontres avec les parents, animations pédagogiques, organisation des aides aux élèves… Le temps de concertation des animateurs varie d'une commune à l'autre, mais il est dans l'ensemble particulièrement faible, voire inexistant, ne serait-ce que pour la concertation entre animateurs. Enfin, il est rarement prévu au budget d'encadrement des intervenants associatifs un temps de réunion avec les partenaires. En l'absence de cohérence d'ensemble, la journée de l'enfant est morcelée entre des temps et des référents différents. Cette manière de proposer et de consommer les activités se fait au détriment d'une réflexion globale des temps de l'enfant et de sa mise en activité dans la semaine.
Les liens périscolaire - scolaire ne se créent pas
Penser la semaine de l’enfant dans sa globalité imposerait à tout le moins que les différents acteurs puissent se rencontrer. Force est de constater qu'il n'y a pas d'impulsion globale, malgré les initiatives personnelles ou de certaines communes, pour que cela puisse se faire. Pour de nombreux instits, l'école c'est l'école, le centre de loisirs c'est autre chose et il n'y a pas de vraie raison de se rencontrer si ce n'est pour évoquer des règles communes d'utilisation du matériel ou de la cour – rôle qui revient souvent au directeur. Inversement, les acteurs du périscolaire rechignent parfois à ce que les instits viennent fourrer leur nez dans ce qui s'y passe. Les raisons sont nombreuses à cela : statuts différents, jugements des uns sur les autres, peur de la rencontre inter-professionnelle… Je ne développerai pas ici, mais force est de constater que cette coopération inter-professionnelle fonctionne sur d'autres terrains, avec là aussi des rigidités et des défauts, mais d'une manière qui permette une cohérence globale. Je pense aux institutions spécialisées de type IME (institut médico-éducatif), où professeurs des écoles, éducateurs spécialisés et thérapeutes travaillent ensemble. Peut-être parce qu'il existe un projet d'établissement construit (normalement) par tous ? Il est vrai que le projet d'école n'est pas construit avec les acteurs du périscolaire et que le projet d'accueil de loisirs n'est pas construit avec les acteurs de l'école. Cela pourrait induire une nouvelle question : le lieu « école » doit-il être un établissement avec un projet unique pour tous les temps qui s'y déroulent ? Cela permettrait, peut-être, de remédier au point suivant...
Une réforme qui lamine les centre de loisirs du mercredi
Autre effet pervers : l'organisation du temps périscolaire le mercredi après-midi. Si les études chronobiologiques montraient une préférence nette pour la semaine de quatre jours et demi, cela portait sur le samedi matin… et non pas le mercredi ! Rares sont néanmoins les communes à avoir adopté le samedi matin, mettant souvent en avant la situation des familles monoparentales, ou le manque d'assiduité scolaire du samedi matin. Si récupérer le mercredi matin semble néanmoins plutôt favorable aux apprentissages scolaires, cela n'aide pas les centres de loisirs du mercredi. Alors qu'ils disposaient auparavant d'une journée complète pour accueillir des enfants et organiser des activités, ils se retrouvent désormais avec une seule demi-journée, avec des parents qui souhaitent juste que leur enfant mange à la cantine et rentre après, ou qui veulent pouvoir venir le chercher à n'importe quelle heure de l'après-midi. La question devient plus : comment ne pas être une garderie où les enfants peuvent partir à n'importe quelle heure ? Comment imposer un temps de présence obligatoire durant lequel les enfants pourront s'investir dans des activités longues ? La question se posait sûrement déjà avant, mais elle est maintenant renforcée et réduit le temps d'activité à une peau de chagrin.
Un temps supplémentaire de présence pour élèves en difficulté
Les activités pédagogiques complémentaires (APC) ont remplacé, avec cette réforme, l'aide personnalisée qui avait été instaurée dans la précédente réforme. Ce temps, obligatoire pour les instits, non obligatoire pour les enfants et soumis à l'acceptation des parents, permet aux enseignants de prendre un petit groupe d'enfants pendant le temps périscolaire. Les APC permettent d'élargir les possibilités, de proposer par exemple des activités différentes qui ne sont pas possibles en grand groupe… Pourtant la transition ne se fait pas vraiment. Globalement, on continue de proposer aux élèves en difficulté un temps de travail supplémentaire. Ce temps est le plus souvent bénéfique. Travailler en petit groupe avec l'adulte est généralement profitable. En revanche, il n'est pas sûr que cela aide les élèves concernés à être disponibles et à s'intégrer aux activités dans le temps de classe « ordinaire »… On continue donc à rajouter des couches supplémentaires de temps de présence aux élèves les plus fatigables. Car ne l'oublions pas, un élève en difficulté dans une classe est nécessairement plus fatigable qu'un autre. Allons au bout de l'idée… Dans des classes aux effectifs qui restent chargés, dans des locaux parfois exigus, sans personnel extérieur (assistant d'éducation), avec peu de budget pour acquérir du matériel de manipulation, comment proposer des activités qui permettent aux élèves les plus fragiles de s'inscrire dans les apprentissages proposées à l'ensemble de la classe ?
Allons plus loin, faisons confiance !
Au-delà de la volonté affichée de mettre en place des parcours de scolarisation, de prendre en compte la diversité des élèves et de leurs besoins, quelles formations sont-elles proposées ? Quel temps est-il donné aux enseignants pour évaluer les besoins et construire des outils adaptés ? Et à nouveau, quel lien avec le périscolaire et les autres acteurs ? Car vouloir répondre aux besoins de l'enfant amène à penser les temps de l'enfant dans sa globalité : le temps de l'école, du centre de loisirs, de la maison, voire du thérapeutique ou du social. Et si la communication nécessaire avec les familles et les thérapeutes est institutionnellement reconnue, elle ne l'est pas avec les autres acteurs. Fin de l'histoire ? Alors quoi ? C'est mauvais, on arrête tout ? Au contraire, allons plus loin ! Lançons-nous dans de belles expérimentations, des partenariats forts, des groupes de travail école – accueils de loisirs – famille. Faisons confiance et donnons du temps aux acteurs pour construire des projets originaux et ambitieux. Et pourquoi ne pas associer des communes ou des entreprises qui adapteraient le temps de travail de leurs employés pour s'adapter aux nouveaux rythmes de l'enfant ? Dépassons un bricolage dont l'objectif n'est que de changer le moins possible le fonctionnement précédent, osons essayer, tâtonner… et enfin progresser vers un mieux-être collectif !
Article publié dans Vers l'Education nouvelle 565, janvier 2017