Crise écologique, droits de l'enfant et communs pédagogiques
Qui est Philippe Meirieu ?
Je suis d'abord un professeur, un instituteur, j'ai enseigné dans le premier et le second degré, collèges, lycées, aussi bien en enseignement général que professionnel. Je me suis ensuite engagé dans la recherche en pédagogie parceque je me suis heurté à des élèves qui parfois ne voulaient pas apprendre ou ne pouvaient pas apprendre et je me suis demandé comment faire pour les accompagner dans ces apprentissages.
Je suis aussi un militant écologiste, sensible aux questions de l'anthropocène, à la nouvelle donne dans laquelle nous élevons nos enfants aujourd'hui, dans laquelle nous éduquons nos élèves et il me semble que l'éducation et l'écologie sont deux manières de se préoccuper du futur.
Pourquoi la crise écologique change-t-elle la donne sur les questions d’éducation en général et d’enseignement en particulier ?
La crise écologique modifie notre rapport au présent et le rapport de nos enfants à leur futur. Pour beaucoup d’enfants aujourd’hui le témoignage que nous devons leur apporter c’est la capacité à trouver du plaisir, de la joie, du bonheur dans le partage de ce qui est inépuisable plutôt que dans la consommation effrénée de ce qui est épuisable.
La crise écologique doit nous amener à repenser nos pratiques pédagogiques dans le sens d’une plus grande solidarité. Solidarité entre les humains, entre les humains et la planète, qui doit passer par la compréhension des mécanismes de solidarité. Albert Jacquart disait : « ce que nous a apporté la fin du XXème siècle, ce début du XXIème siècle c’est que la solidarité avant d’être une valeur est un fait »
C’est un enjeu majeur pour l’éducation de basculer d’une centration sur soi vers une centration vers ce tout que nous formons entre nous et entre nous et la planète.
Vous parlez de repenser l’éducation, concrètement qu’est-ce qu’il faudrait faire évoluer en terme de contenus et de méthodes pour éduquer dans le contexte de l’anthropocène, de la crise écologique ?
L’important c’est de toujours entrer par la compréhension des écosystèmes, compréhension que tout est en relation avec tout et que ce que nous faisons à chaque instant a des impacts, des conséquences, à la fois sur nous, sur nos proches, sur la planète toute entière.
En terme de méthode mais plus largement de capacité de comportement, je crois essentiel que l’éducation prenne aujourd’hui la mesure de l’urgence du surcis à la pulsion, à l’immédiateté.
Nous vivons dans un monde où règne ce que Bernard Stiegler appelait le capitalisme pulsionnel et cela me paraît être la pire des choses au regard des enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui.
Réfléchissons, prenons le temps de penser. L’acte éducatif doit redonner du temps à la pensée, du temps qui permet de réfléchir, d’échanger, de se nourrir par la culture. L’enjeu majeur de l’éducation aujourd’hui c’est la décélération, dans une société où tout va trop vite pour les enfants, pour les adolescents.
Pourquoi la convention internationale des droits de l’enfant reste un texte de référence pour une éducation qui prend au sérieux les défis de notre temps ?
Cette convention internationale des droits de l’enfant est un texte fort, que les organisations internationales ont mis très longtemps à construire, on trouve les premières ébauches de ce texte chez le pédagoque Janusz Korczak dès les années 1920, dans l’entre-deux guerres qui reprend une de ses idées fortes que l’enfant est à la fois un être inachevé et un être complet. En tant qu’inachevé il doit être protégé, en tant que complet il doit être entendu. C’est au coeur du principe de la responsabilisation de l’enfant à l’égard du monde et des autres.
Que suggéreriez-vous à un enseignant qui souhaiterait se familiariser avec ces enjeux ?
Il y a tout un versant de l’écologie comme sciences, il faut que les enseignants se familiarisent dans les travaux écologiques dans ce qu’ils ont de plus exigeants et qu’ils entendent les alertes mais aussi les pistes qui s’ouvrent à nous.
À côté de cela il y a des travaux pédagogiques autour de la coopération qu’on trouve chez des grands pédagogues comme Celestin Freinet par exemple, qui exaltait très fortement le rapport à la nature et qui voyait dans la nature autre chose qu’un environnement dont on doit profiter mais une réalité dont nous faisons partie.
Une pédagogie de l’anthropocène est une pédagogie puzzle où chacun occupe sa place qui n’est pas au détriment des autres mais dans la construction d’un tout harmonieux.
Ça passe par des petites actions dans la classe, par des grands projets aussi, ça passe par tout ce qui peut permettre de comprendre que notre salut ne passe pas par l'individualisme mais par la solidarité et que l’émancipation c’est la capacité à sortir de l’emprise du capitalisme pulsionnel, de l’individualisme tout puissant pour rentrer dans cette conception complexe, difficile mais essentielle qui fait de nous un être parmi d’autres, solidaire des autres et dont le développement ne peut pas être séparé des autres.
Pour cela il faut développer systématiquement la coopération en classe, mais plus largement dans l'école et dans l'éducation, une pratique centrale qui peut permettre de relever les défis d'aujourd'hui.