Nous attachons beaucoup d’importance à ce qu’ils et elles puissent exprimer et imaginer ce qui constituerait une sexualité libre, des relations d’amour ou d’amitié qui se passent bien.
Sensibiliser aux violences sexistes et sexuelles, oui, mais comment ?
Yakamedia : Prévenir les violences sexistes et les violences sexuelles, est-ce la même démarche ?
Claire Quidet : Encore aujourd'hui, les stéréotypes sexistes sont omniprésents dans la société et favorisent le passage à l'acte des auteurs de violences sexuelles ; ils encouragent aussi une certaine tolérance de la société vis-à-vis de ces violences. C'est ce qu'on appelle la culture du viol. De plus, les jeunes filles qui ont été habituées à être rabaissées parce qu'elles étaient des filles, considérées comme inférieures, peuvent souffrir d'un manque d'estime de soi ou de confiance qui va les rendre plus vulnérables aux agresseurs. A contrario, des garçons pourront vouloir se conformer à une image de virilité pour être acceptés par leurs pairs, une virilité qui va parfois s'exprimer par les violences sexuelles.
Les violences sexuelles sont une conséquence du sexisme, de la domination des hommes sur les femmes, issues de siècles de patriarcat. Les femmes constituent une grande majorité des victimes, plus de 80% pour les viols, 90% pour la prostitution. Dans les deux cas, la quasi-totalité des auteurs des violences sont des hommes. Agir sur les violences sexuelles et agir sur le sexisme sont donc imbriqués dans la même démarche.
Yakamedia : Vous parlez de "colonisation des imaginaires" nourris de violence sexistes, sexuelles et de clichés pornographiques. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?
C.Q. : La culture du viol est un ensemble de représentations présentes dans l’éducation, la culture, les contes pour enfants, les romans, les films, les pièces de théâtre, avec lesquelles les enfants puis les ados se construisent. Ces représentations stéréotypées et souvent violentes influent donc sur leurs imaginaires et leur façon de construire leur identité, surtout s’il n’existe pas d’autres modèles dans la famille et à l’école. Aujourd’hui, on parle aussi de culture pornographique, parce que les images pornographiques ont envahi les écrans des téléphones portables. Les enfants y ont accès de plus en plus tôt, parfois avant dix ans. Et ces images constituent encore trop souvent la seule source d’une « information » sur la sexualité, alors même que ce n’est pas de la sexualité mais de la violence. Le porno, ce n’est en effet « pas du cinéma », mais ce sont de vrais actes effectués sur de vraies personnes, qui sont filmées. Les actrices y subissent des violences, des actes de torture. Elles sont sur les tournages parce qu’elles ont besoin d’argent ou parce qu’elles ont été « recrutées » par des agresseurs qui ont repéré leurs vulnérabilités comme on le voit dans l’affaire « French Bukkake » par exemple.
Yakamedia : Quels sont les principaux axes de travail que vous mettez en oeuvre pour prévenir les violences sexistes et sexuelles ?
C.Q. : Il est important de permettre aux jeunes d’avoir accès à d’autres images, d’autres paroles, d’autres discours sur la sexualité que ceux de la culture pornographique. Pour cela, nous nous adressons aux jeunes de façon ouverte, via des groupes de paroles lors desquels elles et ils choisissent les sujets dont ils veulent parler.
Il n’y a pas de sujets tabous, ni de sujets dont il faut qu’ils ou elles parlent. Nous leur posons des questions, et les amenons à s’interroger sur chaque sujet, à trouver leurs réponses. Nous le faisons également à l’aide de nos outils de prévention. Le site « Y a quoi dans ma banane », des vidéos comme la série « Sex is Priceless » ou « Le piège », les brochures, bandes dessinées et affiches sont des supports qui ont été travaillés à partir du terrain par les professionnel·les et bénévoles à partir des discussions avec les jeunes. L’objectif est toujours d’ouvrir la discussion, à partir de leurs préoccupations. Enfin, nous attachons beaucoup d’importance à ce qu’ils et elles puissent exprimer et imaginer ce qui constituerait une sexualité libre, des relations d’amour ou d’amitié qui se passent bien. Nous leur posons la question pour terminer « Qu’est-ce que vous souhaitez pour plus tard ? » Nous posons les questions, et les jeunes trouvent leurs réponses.
Yakamedia : Comment, quand vous intervenez en collège, proposer une vision positive de la sexualité ?
C.Q : Là encore, la réponse est aussi dans la méthode et la posture utilisées lors des interventions. C’est une forme de maïeutique que nous pratiquons auprès des élèves. Il ne s’agit pas de remplacer une injonction par une autre, de donner notre opinion ou notre avis sur ce qui serait bien ou mal mais de les amener à acquérir les compétences psychosociales nécessaires pour identifier et exprimer leur propre pensée, leur propre désir, tout en connaissant les limites légales et en respectant l’autre. Nous le faisons d’une part pour qu’elles et ils puissent être en capacité de dire non à la violence si elle se présente. Par exemple sous la forme de violence conjugale, si un petit ami ne les traite pas comme des égales, ou sous la forme de prostitution, face à un proxénète parfois déguisé en « loverboy », petit ami.
D’autre part, nous agissons aussi avec les jeunes pour favoriser l’émergence d’autres représentations, à travers les discussions, les jeux, les brochures. L’objectif, c’est de leur laisser la place, dans le dialogue, et plus tard dans leur vie, pour exprimer leurs désirs. Pour cela, pas de recette miracle, mais une posture où les élèves se sentent écoutés, et entendus. Et une multiplication d’outils, comme « Y’a quoi dans ma banane », dans lesquels ils peuvent piocher contenus, réflexions et idées.