Ces jeunes ont bien souvent un poids énorme sur les épaules
Témoignage de Fatima L sur les jeunes MNA accueillis en MECS.
Les jeunes migrants, une fois reconnus comme mineurs, sont protégés par la loi française. Les plus jeunes sont accueillis en foyers (les Maisons d'Enfants à Caractère Social) et accompagnés par les équipes de travailleurs sociaux. Fatima travaille dans ce contexte.
Tu es éducatrice en MECS et tu accompagnes des Mineurs Non Accompagnés. Peux-tu nous en dire plus ?
Je travaille dans une Maison d' Enfants à Caractère Social (MECS), qui accueille ordinairement des jeunes français en carences affectives et oeuvre en faveur de la protection de l'enfance. Les mesures d'accompagnement peuvent être administratives ou judiciaires. Ces jeunes ont pu faire l'objet de signalement de leur situation par l'école par exemple, puis un juge a statué le mode d'accompagnement nécessaire à la situation familiale.
Souvent les jeunes ont bénéficié d'un accompagnement par une équipe éducative au domicile. Lorsqu'ils arrivent au sein du foyer, c'est qu'un éloignement du jeune de sa famille est nécessaire pour le protéger. Depuis quelques années (4 ou 5 ans), la structure s'est spécialisée dans l'accueil de Mineurs Non Accompagnés. Je travaille pour une association nationale, dont les structures de ce type sont réparties dans toute la France.
J'interviens en tant qu'éducatrice spécialisée.
Qui sont ces jeunes ?
Les MNA que nous accompagnons ont entre 14 et 18 ans. Ils sont originaires de plein de pays différents, plus ou moins éloignés de la France : Bengladesh, Inde, Pakistan, Burkina Faso, Guinée, Mali, Soudan, Tunisie. Lorsqu'ils arrivent au sein de la MECS, ils ont déjà connu un parcours de ruptures successives ; ils ont quitté leur pays d'origine, ont voyagé à pied, en bateau ou en avion jusqu'à la France. Ils arrivent à Marseille ou Toulouse.
Ils passent parfois plusieurs nuits seuls, à la gare, rencontrant quelques passants qui leur donnent un peu d'argent pour manger, et parfois, par chance, les orientent vers des centres sociaux ou la Croix Rouge. De là ils peuvent être logés dans des hôtels, en attendant que leur minorité soit reconnue, puis, si tel est le cas, sont orientés vers un juge qui ordonnera obligatoirement leur placement auprès de l'Aide Sociale à l'Enfance. Là, ils peuvent être confiés à des familles d'accueil, de façon temporaire, ou à la CAMNA (Cellule d' Accueil de Mineurs Non Accompagnés), pour enfin, dans le meilleur des cas, être accueillis dans des MECS et foyers d'accueil pour mineurs. On les appelle Mineurs Non Accompagnés car ils n'ont aucun représentant légal sur le territoire français à leur arrivée. C'est l'ASE (Aide sociale à l'Enfance) qui fera office de représentant légal jusqu'à leur 18 ans, âge auquel leur accompagnement prendra fin.
Quelles sont les particularités que tu repères chez ces jeunes ?
Une fois au sein de la MECS, ils rencontrent d'autres jeunes, MNA comme eux, ou bien français. Tous les jeunes qui nous sont confiés partagent ce point commun de ne plus vivre auprès de leurs parents, d'être séparés de leur fratrie. Un mal être certain habite tous les jeunes qui nous sont confiés, Français et étrangers.
Ces sont tous des adolescents en souffrance qui n'ont pas choisi d'intégrer ce foyer. Pourtant, les MNA montrent, de façon générale, une plus grande méfiance vis à vis de l'équipe éducative. De plus, la barrière de la langue rend les échanges beaucoup plus compliqués. Certains ont appris seulement quelques mots de français durant leur parcours migratoire et n'ont entendu parler de la France qu'à leur arrivée. Les MNA sont de manière générale plus renfermés que les Français dans leur vie au sein de l'unité ; ils passent beaucoup de temps dans leur chambre. Au fil des temps pourtant, des amitiés peuvent se créer entre les MNA et les Français.
Tu peux nous dire à quelles difficultés sont-ils confrontés d'après ce que tu observes ?
La barrière de la langue et familiarisation avec la culture française semblent être les deux points sensibles et qui nécessitent un travail de longue haleine. Ils sont scolarisés dès leur arrivée sur l'unité. Ils ont en général 15 ou 16 ans, et savent qu'ils doivent obtenir des papiers et que l' ASE ne les accompagne que jusqu'à 18 ans. C'est donc une course contre la montre qui commence pour eux. Nous les orientons vers des formations professionnelles afin de pouvoir constituer un dossier solide lors de leur demande de carte de séjour. C'est pour eux un moment très angoissant : recherches de stages, puis essuyer de nombreux refus pour un apprentissage, voir que le temps passe et que leurs 18 ans approchent est très anxiogène car ils craignent à tout moment de se retrouver à la case départ.
Cela est arrivé à L. qui avait trouvé un apprentissage, et malheureusement, cela s'est mal passé, il a donc dû reprendre les démarches depuis le début. Trouver un patron et un apprentissage est pour eux synonyme d'un premier aboutissement ; et pourtant, là encore, la langue pose parfois difficultés dans leur réussite. De plus, s'ils ont tout mis en place afin de contractualiser un apprentissage, leurs problématiques personnelles, dues au parcours migratoire, à leur vie (souvent dure) au pays, refont bien souvent surface à ce moment-là. Enfin, une fois l'apprentissage enclenché et la majorité approchant, les jeunes se retrouvent en appartement, souvent seuls, et face à un degré d'autonomie moindre et ne leur permettant pas de se repérer parmi tous les organismes qu'ils sont amenés à côtoyer a quotidien. Par exemple, dernièrement, C. nous a contacté car il avait perdu sa carte de bus, et ne savait pas du tout à qui s'adresser.
Les jeunes se retrouvent seuls, à 18 ans, à devoir gérer l'entretien d'un appartement, la gestion d'un budget, se faire à manger, trouver un moyen de locomotion peu onéreux, se rendre seul à des rendez -vous médicaux, etc, le tout dans une langue approximative.
Toi qui les cotoies dans leur quotidien, que souhaites-tu nous dire concernant ces jeunes ?
Ces jeunes ont bien souvent un poids énorme sur les épaules. Par exemple, D. a été envoyé de force par sa famille en raison de la grande pauvreté dans son pays. Il n'a pas choisi de venir ici, il n'a pas choisi le métier dans lequel il se lance, il gagne un tout petit peu d'argent que sa famille lui demande de lui envoyer.
Ces sont des vies sacrifiées. Des personnes qui en plus, vont devoir subir le racisme en France, parce qu'ils sont noirs et "viennent ici pour profiter des aides". Le travail que mes collègues font depuis plusieurs années est remarquable car ils y arrivent, à trouver avec eux des apprentissages, et même obtenir leur carte de séjour. Mais personnellement je crains que beaucoup de ces jeunes ne coulent car le SOIN PSYCHOLOGIQUE fait immensément défaut (ils les refusent aussi).