Handicaps
Le mot vient tout droit de l’anglais, « hand in cap », la main dans le chapeau. En 1820, il s’agissait d’un jeu de hasard dans lequel les joueurs disposaient leurs mises dans un chapeau. Le nom devient mot et, dans le domaine sportif, désigne la limitation volontaire des moyens de certains joueurs, afin de compenser un avantage naturel et ainsi assurer une égalité de chances (surcharge pondérale de certains chevaux par exemple). Enfin, il passe dans le domaine médical pour désigner les états incurables, par opposition aux maladies, qui sont réversibles.
L’histoire de ce mot est donc marquée par une inversion troublante… et tragique : le terme est passé du jeu à la réalité ; de la tare volontaire à une déficience subie, une infirmité ; ce qui était calculé par l’homme est ensuite imposé par la nature ou le hasard, deux forces que notre civilisation met toute son énergie à réduire. Ce qui était destiné à garantir une égalité de chances est aujourd’hui la manifestation d’une inégalité trop visible.
Et dans notre inconscient, ballotté dans nos peurs intimes, le concept subit toute une série de dangereux glissements : le handicap, c’est la privation, le manque, la déficience ; bien vite il devient défaut, tare, insuffisance ; enfin, il est perçu comme une malédiction, ou pire – mais cela, on le pense à peine – une punition, l’obscur tribut que payent certaines familles pour des fautes ancestrales.
Pauvre sourd-muet condamné à l’observation muette du monde ; privé de parole, il ne saurait occuper la place. Que fait-il ? Il gesticule en tous sens, quelle indécence, ses grimaces, ses cris incontrôlés. Pauvre trisomique, son sourire béat, sa terrible densité corporelle, ses démonstrations affectives irrépressibles, obscène, non ? Pauvre paraplégique, rivé à sa machinerie roulante, on ne peut le regarder que de haut et faire défiler tout ce qui lui est inaccessible. Si en plus il a besoin d’une assistance respiratoire et parle difficilement, peut-on encore parler d’être humain ?
Le handicap fascine : c’est un étrange spectacle, c’est moi et ce n’est pas moi, le spectacle de l’étranger ; comment, ainsi diminué ou déformé, peut-on vivre ? (...)
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