Acteur.rice sur scène : une aventure collective avec l’association Scène Ouverte
“La folie considérée comme un handicap, c’est la folie considérée comme un déficit de comportement, gravé dans le marbre par l’acquisition d’un véritable statut (…) dès lors, on fige la personne dans un ‘ état ‘ définitif (…) on l’étiquette et au final, on la met à l’écart ou l’on cherche à la faire rentrer dans le rang. Ce faisant, on l’aliène”
Un homme comme vous. P. Coupechoux. Le Seuil - 2014. (p.445).
C’est contre cette aliénation sociale que, depuis 2006, l’association Scène Ouverte - Orléans veut lutter.
En suivant à sa façon, les enseignements de la Psychothérapie Institutionnelle (ici, les travaux de Georges Daumézon, Roger Gentis et d’Horace Thorubia à l’Hôpital de Fleury-les-Aubrais), Scène Ouverte s’est engagée dans la création de Comédies Musicales. Par la simplicité de son accueil chaleureux, par la place qu’elle laisse à ses contributeurs, parce qu’elle favorise le récit de vie, l’entraide et la coopération, notre association fabrique une véritable création collective. Au final, c’est elle qui apporte une aide à chacun.e de ses nombreux participants : contenus et représentations publiques montrent les capacités créatives, musicales et théâtrales des Comédien.es ; ils permettent aussi d’interroger la Folie, ses traitements médicaux autant que sociaux.
Acteur.rice sur scène, acteur du projet de A à Z : s’emparer du projet dans toutes ses dimensions
A la porte d’un hôpital psychiatrique, Nelson. Il a participé quelques temps à Scène Ouverte. C’était au moment de la création de « Les ombres des anges… ». Visiblement content de nous revoir, il nous dit tout de go : « Scène Ouverte, ça a été pour moi un gros tremplin ! ». Jusqu’à présent, dans notre démarche associative, nous n'avons jamais évoqué une quelconque « inclusion » de qui que ce soit dans notre groupe ou plus largement, dans la société. Il y a quelques années de ça, avec quelques professionnels d'une équipe qui se préoccupaient du soin aux psychotiques, nous parlions de « Réhabilitation » : cette notion nous semblait assez juste. Il s’agissait de « Retrouver l'estime perdue, de soi et d'autrui » Dit de cette façon, on pouvait imaginer (on le voulait !) que les choses allaient alors dans les deux sens. Si autrui en était venu à vous des-estimer et que vous aviez perdu sa considération, il avait pour cela de sérieuses raisons. Vous aussi, probablement. Dans ce jeu de perte et de gain, on pouvait supposer que l'autre devait participer à cette réhabilitation. L’estime était partagée : il fallait la retrouver de part et d’autre et cela faisait du bien à tous.
Il s’agit donc de dynamiser la création par la coopération : chacun.e est mis à contribution (écriture, de l’histoire, dialogues, chansons, construction d’accessoires, de costumes, administration, gestion des coulisses, etc.) et est au courant de tout. Tout ça est plutôt joyeux ! Puisque nous privilégions la parole de chacun.e, notre façon de procéder demande beaucoup de temps : inventer, écrire, répéter un spectacle dure plusieurs années et voit passer beaucoup de participants. Sur les planches, « le groupe comédien » se stabilise à une trentaine de personnes. Que ce soit dans nos conseils d’administration comme dans nos créations, notre mode de fonctionnement vise l’autogestion progressive des participants. Nous utilisons rarement la délégation au profit d’une participation la plus directe possible. Il est vrai que si l’intention est bonne, nous retrouvons par-ci par-là les mêmes difficultés que dans tous les groupes humains.
Le cadre est simple. Il s’appuie sur quelques points indispensables :
- L’envie de participer au collectif pour inventer, composer, donner son avis, être en accord ou désaccord, improviser, rédiger, chanter, jouer, apprendre le(s) rôle(s), construire les accessoires, etc. - La participation régulière (elle peut être progressive) aux rencontres des jeudis.
- Le respect du déroulement des rencontres : écoute de l’autre (retenue quand l’autre parle « ne pas couper la parole »), prise de parole, concessions réciproques, contribution aux décisions…
- La participation aux diverses prestations et communications de l’association : interventions dans des Collèges, Lycées, Ecoles de formations professionnelles, radios locales … Animation (avec nos chansons) de réunions et de soirées débats etc.
- L’obligation de l’investissement, quelque temps avant les passages sur la scène, devant le public : présence, apprentissages des rôles, etc.
- L’adhésion à l’association : évolution de celle-ci, assurances, recherche de subventions, édition d’un Bulletin des Adhérents, etc.
L’ensemble de ces petites règles procure aux intéressés, un contenant sécurisé où petit-à-petit, ils vont pouvoir évoluer. Et puis, on fait connaissance, on se rencontre en dehors des répétitions, on s’appelle au téléphone, on s’entraide pour comprendre et mémoriser son texte… Le reste, s’apprend au fil du temps : tolérance, développement des facultés cognitives, (tenue du corps dans l’espace, anticipation…), apprentissages du comédien, ponctualité, respect des locaux, etc.
Scène Ouverte : un projet singulier dans une société excluante
Scène Ouverte est un projet qui se différencie des ateliers culturels habituels comme nous l’explique l’un des participants.
Pascal : « (…) J’avais essayé l’art-thérapie tout ça… Je n’ai pas vraiment trouvé mon créneau là-dedans. C’était un peu spécial… Au niveau de l’idéologie… Enfin bref. Et une autre troupe de théâtre que j’ai fréquenté vers 2010 mais où très rapidement, j’ai senti qu’il y avait des jugements de valeur sur les gens, des classifications… des gens qu’on considère plus aptes à faire du théâtre que d’autres. On te le dit d’ailleurs, en plus… (…) et ça, ça m’a complètement déplu ! (…) Cette façon de faire du théâtre, ça m’a paru un peu… (…) En tous les cas, ça ne me correspondait pas… alors qu’à SO, ce n’est pas du tout ça. On part de zéro, on part de rien, on mouille la chemise petit à petit… ». « (…) A un moment, effectivement, faut se poser la question de rentrer dans le truc, dans le fonctionnement (…) mais c’est très intéressant. Ce fonctionnement, on le créé par nous-même et je trouve ça intéressant. (…) Même la réalisation de l’histoire, c’est-à-dire en fait, le thème abordé… Même des fois, on n’est pas d’accord, on discute et ça c’est vivant ; je veux dire que ce n’est pas un truc de construit… ».
Le regard, chargé de jugements négatifs et d’appréhensions de toutes sortes, porté sur les personnes éprouvant des souffrances psychologiques doit changer. Les « malades mentaux », « malades ou handicapés psychiques », « les personnalités borderline » et autres « bipo », etc. ont suffisamment de difficultés existentielles : elles ne doivent pas subir, en plus, la mésestime et le rejet d’autrui.
M.E. donne son regard sur son propre statut au sein d’une société qui semble avoir du mal a accepté son handicap : (…) Après on était dans les trucs spécialisés, IME, les écoles spécialisées ou s'intégrer dans les milieux ordinaires, normales... J'ai appris à faire la cuisine... Après t'essaye de t'intégrer dans le milieu normaux... Faut pas dire. On essaie de ne pas dire que t'es handicapé de naissance ou autre chose qui nous handicape : on essaie de s'intégrer au milieu... en milieu... normal... Quand tu as un handicap, c'est plus difficile de s'intégrer dans un milieu normal... Une fois que nous, qu'on s'est intégré sans le dire à personne, ça va tout seul... Sinon après, on est dans les exclusions... après. Maintenant ça va maintenant. Je suis habitué. Je ne le dis jamais à personne parce que après on dirait qu'on te croirait pas ! ». (…) « Après, faut faire des activités en disant rien à personne, comme des gens normaux. Ça évite de se faire trop... de se retrouver exclu, mis de côté. On se comporte comme des gens normaux, comme on dit. On se dit qu'on est des gens normaux... ». (…) J'ai fait des efforts pour se mettre, s'intégrer au milieu, au milieu... dans le milieu normal de tous les jours. Mais faut pas qu'on le dise... parce que sinon on a peur qu'on soit rejeté après ! Une peur... Un peu moins en ce moment... (…) La société [a tendance à mettre] les gens comme nous, de côté. Mettre les gens de côté ».
On sait par expérience, qu'un entourage social de qualité peut largement contribuer au maintien d'un équilibre psychique pour chaque sujet. « Entourage » sous-entend ici, les conditions de vie dans leur globalité : environnement familial et amical, écoles, travail, loisirs...
Et puis, si on ne sait pas, si on bute sur des interrogations, ça vaut le coup de prendre du temps pour réfléchir à ce que, collectivement, on peut faire pour l'autre ! Ça s'appelle l'entraide, l’empathie, l'altruisme… Bref : le souci de l'autre.
Ainsi, le rideau se lève sur des comédies musicales, imaginées, écrites, mises en musique et jouées par une troupe de comédiens pas comme les autres. Des comédiens dont les parcours de vie, bien que très divers, les ont amenés à s’engager dans ce projet. Les œuvres originales, aboutissement de plusieurs années de travail, sont présentées au public, dans les salles. A chaque Comédie, 20 à 30 acteur.rices-chanteur.es et musicien.es âgés de 17 à 77 ans, jouent sur le plateau. Pour chacune des trois premières, 2 000 spectateurs applaudissent, enchantés.
Scène ouverte, c'est 4 spectacles montés et produits depuis 2013 dans la région Orléanaise. avec des sujets qui interrogent sur des thèmes comme la solitude, la société, la consommation.
Quelques questions à Scène Ouverte
Comment concrètement les participants s’emparent de l’organisation et de la mise en place d’un tel projet ?
Au démarrage de l'association, nous étions peu nombreux mais nous devions cadrer le groupe. Au fil du temps, le projet par lui-même - qui apporte l'adhésion joyeuse de tous - permet d'assouplir la directivité. Chacun comprend très vite que si nous voulons réussir ensemble la création d'une Comédie Musicale, nous devons nous ordonner ! Le travail de coopération ne peut d'ailleurs s'enclencher qu'à ce prix.
Qui anime les séances et comment se déroulent-elles ?
Avant l'arrivée d'un·e Metteur en Scène, l'animation se fait le plus souvent par les plus ancien·es inscrit.es dans l'aventure.
Nous sommes très ritualisés. Chaque rencontre de répétition se passe toujours sur le même mode : accueil, (prendre la mesure, la "possession des lieux") état des absents et des excusés, puis un temps d'informations, puis échauffement vocal avec les chansons en construction ou celles du répertoire, vient enfin le temps de la discussion-débat-idées et des improvisations avec un.e ou plusieurs scripts. Cette forme de ritualisation plutôt rassurante se retrouve dans toutes sortes de groupes thérapeutiques.
Comment sont répartis les rôles ? Comment se déroule l’écriture des comédies musicales ?
Chacun.e apporte ses propres idées et nous nous efforçons d'évoquer nos "histoires de vies"... et ça vient tout seul, spontanément ! Suffit d'écouter, de faire attention et d'entendre ce qui se dit. Très souvent, les blessures et les souffrances psychiatriques, les traitements bons ou mauvais sont énoncés, formulés. Mélangées à "la vie sociale" avec sa morale, ses troubles, ses abus, ses riches, ses pauvres, ses discriminations, ses abus, ses laisser-pour-compte, etc. une histoire se fabrique. Même si elle est souvent assez comique, nous souhaitons quelle provoque la réflexion des spectateurs : la différence, le normal le pathologique, les rejets, les médications, etc.
Comme l'on ne veut pas rester au niveau du constat, pas plus qu'au statut de victime, (nous avons une belle spontanéité et beaucoup d'humour) on s'emploie à trouver des idées pour envisager un monde meilleur ! Rituellement notre Chanson Finale va dans ce sens ; positive elle propose de "penser autrement" nos vies
Y a-t-il parfois des intervenants extérieurs ?
Oui là aussi, nous avons une "habitude" (quatre Comédies !) : nous prenons en main la création avec rédaction complète et idées de mise en scène. Ceci fait (deux années environ) nous recrutons (pour la troisième année) un·e Metteur en Scène et un·e Accompagnateur·rice pour nos Chansons.
Si le travail du corps comme celui de la voix sont absolument nécessaires pour présenter au public un spectacle de très bonne qualité, une autre dimension est pour nous essentielle : celle de confier, de "transférer" à des professionnels inconnu·es l'objet de notre réalisation.
Se posent alors les questions - finalement fondamentales - de l'appréciation (ou pas !) de ces autres qui viennent à nous rencontrer. Viennent alors les présentations, la connaissance et les ajustements des uns aux autres...