À condition. Quand les enfants négocient les règles du jeu
Crédit photo : Olivier Ivanoff
C’est la récréation. Les enfants sortent et différentes activités s'organisent spontanément. Les « footeux » filent vers le terrain, où reprend immédiatement la partie précédente, interrompue par une heure et demie de classe. D'autres se retrouvent entre copains dans les différents espaces de la cour où ils ont leurs habitudes.
Un petit groupe se met à jouer, on dirait une partie d'Épervier. Un jeu qui a traversé le temps et dont la célèbre formule : « Épervier part en chasse » résonne dans nombre de mémoires. Un joueur représente l'oiseau de proie et à son signal ses camarades doivent traverser le terrain en évitant de se faire toucher par lui. L’organisation a été rapide et le jeu est parti au quart de tour, c’est à rendre jaloux les adultes quand elles et ils pensent au temps qu'il faut parfois pour donner des consignes et faire démarrer une activité...
Une formule variable
Certains enfants ne se pressent pas pour traverser le terrain et pourtant, la joueuse « Épervier » qui pourrait les attraper facilement ne le fait pas. La chose se reproduit au passage suivant, mais avec d'autres enfants. Que se passe-t-il ?
La formule : « Épervier part en chasse » s'est agrémentée de compléments, qui se modifient à chaque passage suite à un conciliabule entre joueuses et joueurs qui ont déjà été attrapé·es et collaborent avec l' « Épervier » :
« ... À condition d'avoir des cheveux bruns. »
« ... À condition de ne pas avoir de lunettes. »
«… À condition d'avoir l'élastique du slip qui dépasse du pantalon. »
Les participant·es expliquent qu'ils ont changé le jeu, trouvant plus rigolo de mettre des conditions. Parfois celles-ci portent sur un détail vestimentaire, une caractéristique physique.
Mais parfois, cela concerne des goûts : « À condition d'aimer les chevaux...» ou des références sibyllines, témoins de la complicité du groupe. Les choix concertés visent souvent plusieurs protagonistes.
Les enfants qui doivent traverser le terrain ne peuvent se soustraire aux conditions physiques, mais lorsqu'elles portent sur d'autres critères, des stratagèmes viennent interférer sur les choix de l' « Épervier » : une joueuse enlève ses lunettes, un autre quitte son pull, celle-là emprunte la veste d'un joueur…
Élargir les enjeux
Elles et ils ont le pouvoir d'infléchir le cours des choses et doivent choisir dans l'instant leur stratégie. Joueuses et joueurs peuvent à certains moments être entièrement tranquilles, car ne correspondant pas au critère retenu, pouvant alors s'offrir le luxe de traîner, de passer sans crainte à côté de l'« Épervier », voire de le narguer. Une simple phrase que ce collectif d’enfants a choisi d’ajouter donne au jeu une logique différente, élargissant les enjeux et modifiant> les conditions physiques, intellectuelles et relationnelles dans lesquelles il se retrouvent. L'évolution apportée au jeu, ne les empêche pas, à d'autres moments, de continuer à utiliser les règles traditionnelles de l'« Épervier». Alors, laissons les jouer. À condition… d'avoir confiance dans leurs capacités.
Extrait des cahiers de l’animation n°79 / Juillet 2012