LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Écrire pour s'en sortir

Lors de l’année scolaire 2013-2014, une petite équipe constituée de personnes occupant diverses fonctions a décidé de mettre en place un dispositif visant à prévenir le redoublement d’une dizaine d’élèves de seconde, repéré·e·s en difficulté très tôt dans l’année (novembre).
Média secondaire

Abandonner le disciplinaire pour éviter le redoublement, tel est le leitmotiv de ce projet innovant, prenant appui sur l’écriture. Le pas de côté effectué permet un biais, un chemin buissonnier qui conduit à reprendre pied à revenir au cœur de ce qui est demandé au lycée pour passer dans la classe supérieure


 

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Il existe déjà dans l'établissement des dispositifs d'aide et de prévention du redoublement (taux très faible à la fin de la seconde, moins de 5% en général) et ce depuis la création de l'établissement il y a vingt-huit ans. Le projet du LP2I (lycée pilote innovant international) est fondé sur une pédagogie de la réussite qui s'ancre dans une dynamique de projets collectifs qu'autorise une utilisation différente du temps scolaire. Le projet Écrire pour réussir s'inscrit dans une logique de refus du redoublement qui n'est pas une solution pertinente comme toutes les études l'attestent.

Néanmoins refuser le redoublement ne règle en rien les problèmes. Il s'agissait donc avec la mise en place de ce nouveau dispositif de ne plus proposer du tout la possibilité de redoubler à l'issue de la seconde, exceptée quand elle est choisie, demandée, concertée en créant les conditions de réussir pour les élèves grâce à un accompagnement original et audacieux.

Le diagnostic

Le constat était le suivant : nous avons dans ce lycée des dispositifs de suivi des élèves très performants (un professeur de suivi pour douze élèves, un créneau d'une heure par semaine, un observatoire des résultats, un système d'évaluation par compétences, des réunions très régulières, des coordonnateurs par niveaux (Seconde, Première, Terminale). Ainsi nous diagnostiquons très rapidement qui sont les élèves de Seconde en difficulté (mi-octobre), nous avons des réponses pédagogiques pour les élèves fragiles dans les disciplines mais face aux difficultés plus « lourdes » (méthodologiques, transversales, absence de motivation, absence de projet), notre dispositif d'aide d'une demi-journée tous les quinze jours sous forme de « cours à la carte » ne suffit pas. Cette petite dizaine d'élèves, diagnostiquée tôt, est celle que l'on retrouve en juin et à qui nous ne savons quoi proposer : redoublement non constructif, réorientation subie voire sortie du système scolaire. En juin 2013, de manière tout à fait exceptionnelle, le taux de redoublement a augmenté : nous avions plus de 6 % de redoublants alors que nous ne dépassions que rarement les 5 % habituellement. Nous nous sommes questionnés, c'était le cas dans beaucoup d'établissements de l'académie mais cela était-il acceptable pour nous ? La réponse était clairement négative.

La description du dispositif

Nous avons décidé de sortir neuf élèves repérés sur l'ensemble des classes de seconde d'un dispositif existant depuis l'origine de l'établissement de parcours personnalisés : les BAS ((Besoins Approfondissement Soutien) disciplinaires et/ou interdisciplinaires pour les accompagner au plus près.Les BAS sont des cours « à la carte » proposés par les professeurs le jeudi après-midi (deux fois une heure dix) et choisis par les élèves en fonction de leurs besoins.

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Ces neufs élèves qui vont constituer la Palanquée( La palanquée est un terme utilisé en plongée sous-marine pour évoquer le groupe qui doit être soudé et attentif à chacun de ses membres évoluant dans un milieu qui peut être hostile et présente des risques évidents) allaient être accompagnés par six adultes de l'établissement (un professeur de mathématiques, une professeur d'anglais, une professeur de français, le professeur-documentaliste, la conseillère d'orientation psychologue et l'infirmière) durant cinq après-midi BAS (de 14 heures à 16h 35), de début février jusqu'à fin mai, lors de la restitution sous forme de lecture spectacle. Il s'est agi, lors de cinq après-midi, de travailler autrement avec ces élèves, de réaliser avec eux un parcours de connaissance de soi grâce à un atelier d'écriture. Le diagnostic était : « ils sont perdus, n'ont pas de projet clair qui les motive, ne savent pas ce qu'ils aiment ou ce qu'ils n'aiment pas... Aidons-les en les faisant écrire ». Nous avons donc mis en place durant quatre séances, des propositions d'écriture créatives qui leur permettaient par des détours, en passant notamment par une écriture de l'infraordinaire, du ludique, de l'échange. Ainsi les élèves ont pu mieux se connaître sans qu'ils soient bousculés frontalement et sans être confrontés à des questions radicales type « Qui es-tu ? » « Que veux-tu ? ». Il s'agissait aussi de les accompagner humainement et de tisser une relation adolescent/adulte basée sur la confiance, le dialogue et l'écoute.

La naissance du projet

C'est en octobre-novembre 2013, lors des premiers bilans, qu'un collègue responsable du suivi des élèves en classe de seconde a sollicité l'équipe : quelle(s) réponse(s) pouvions-nous apporter à ces constats d'échec ? Que pouvions-nous mettre en place pour cette petite dizaine d'élèves ? Nous savions d'ores et déjà que le soutien disciplinaire n'était pas une solution car l'absence de projet et la méconnaissance de soi-même empêchaient ces élèves de réussir. Dans un premier temps nous avons voulu faire appel à une troupe de théâtre avec laquelle nous avions travaillé sur des questions identitaires l'année précédente.

Finalement nous nous sommes dits qu'externaliser la remédiation de cet échec scolaire était comme s'en débarrasser et que nous devions, nous, enseignants et personnels, nous occuper de ces élèves.

La chronologie des séances

La première séance, le jeudi 2 février 2014, a été une séance de présentation du projet et d'entretiens plus individualisés de quarante-cinq minutes environ avec les élèves (qui n'étaient pas tous d'accord pour intégrer ce dispositif : c'est leur professeur de suivi qui devait décider, et non eux, de leur participation) et nous avons commencé à écrire puis à lire les textes produits (voir les propositions d'écriture à la fin de l’article). Les trois autres séances étaient rythmées de la même manière : proposition d'écriture/écriture/lecture devant l'ensemble des présents/réactions. Chaque fois, en début de séance ou quand l'occasion se présentait, nous prenions le temps de la discussion, de l'échange autour de leur scolarité, de leurs progrès, de leur motivation, de manière assez informelle mais cela pouvait prendre du temps.

La dernière séance, le 22 mai a été consacrée à la préparation de la lecture publique à partir de leurs écrits : sélection de textes, entraînement, mise en scène… Cette lecture a eu lieu dans le prolongement de la dernière séance, au lycée, le jeudi 22 mai, après les cours, durant quarante-cinq minutes : les parents étaient invités et les élèves faisant partie du dispositif avaient invité qui ils voulaient. Nous, adultes, avions convié les professeurs de suivi (sorte d'équivalent du professeur principal mais le professeur de suivi a en responsabilité un groupe de douze élèves qu'il voit une heure par semaine) et quelques personnels enseignants. Il y avait une quarantaine de présents lors de cette soirée réussie tant par la qualité des créations lues que l'investissement individuel et collectif des élèves. En dehors de ces moments, pour fédérer le groupe tout en refusant de stigmatiser les élèves, nous avons organisé et organisons toujours, en cette année 2014-2015, des déjeuners bilans avec ces élèves qui sont maintenant en première. L'équipe de direction y participe, nous mangeons dans un endroit un peu cérémonieux, nous faisons avec eux des bilans d'étape de leur parcours scolaire, nous évoquons leurs progrès et leurs difficultés  récurrentes.

 

Le temps du bilan

 

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Les élèves concernés ont clairement repris confiance en eux mais aussi en l'adulte en général, au moins ceux qui les encadrent dans l'établissement. Ils identifient beaucoup mieux leurs difficultés disciplinaires, transversales, méthodologiques même s'ils ne parviennent pas toujours à trouver des solutions. Dans l'ensemble, ils ont des mots plus précis pour parler d'eux et de leur parcours. Tout cela a un impact évident sur la façon dont ils vivent leur scolarité. Même si parfois les relations sont tendues avec eux, nous avons la sensation qu'ils se sont réappropriés leur propre parcours (en sont redevenus auteurs) et cela permet en général d'avancer dans leur « métier d'élève ». L'établissement bénéficie d'un climat scolaire (cf. enquête OUIEP Observatoire universitaire international de l'éducation et de la prévention sur le climat scolaire) propice à la réussite scolaire des élèves avec une culture d'établissement très valorisante pour eux et c'est aussi grâce à cette dimension que l'on peut s'engager dans ce type de dispositif. Pour l'équipe enseignante et l'équipe de direction, il y a une volonté plus importante de prise en charge des élèves en difficulté. Nous avons plus confiance en notre capacité à lutter contre l'échec scolaire et le décrochage et cela nous a redonné confiance en nos forces et nos moyens à l'interne.

Les propositions d'écriture à partir desquelles nous avons fait écrire les élèves.

Elles ont été réalisées dans l'ordre qui suit et il est important dans la mesure où nous avons vraiment voulu les amener progressivement à l'écriture du dernier texte qui était comme un objectif d'écriture. Il s'agissait de s'approcher progressivement de ce point central qui nous semblait pour eux assez difficile à appréhender : qui suis-je ? quels sont mes rêves ?

Mon portrait par google

« Antoine est », « Antoine sera » On prend les propositions de google, on les liste, on choisit un peu, notamment la fin de son texte. Exercice ludique qui permet aux plus réticents d'écrire et de s'amuser. Cliquez ici

Mon plus ancien souvenir

Narration, si possible au présent, du souvenir, même anodin, le plus ancien.

Liste des objets de ma trousse

Lister tous les objets contenus dans votre trousse. Vous pouvez faire de temps en temps de petits commentaires : d'où viennent-ils ? qui vous les a donnés ? où les avez-vous achetés ? y êtes-vous attaché ? Cet inventaire d'objets anodins, du quotidien, mais qui font vraiment partie d'eux est un bon moyen pour les aider à se connaître, par des détails, et sans, en apparence, aborder l'intime de front.

Liste des lieux où j'ai dormi

On travaille à la fois sur le souvenir et sur le moment et l'espace intime du sommeil de manière ludique (Perec parle d' « autobiographie vespérale »). Par deux, contrainte de Jacques Jouet, écrivain oulipien : http://www.lp2i-projets.fr/atelier/spip.php?rubrique225 Moment d'écriture intéressant au sein du groupe puisqu'il se fait à deux et nécessite une certaine confiance.

 

Le questionnaire de Sophie Calle, artiste contemporaine

1- quand êtes vous déjà mort ?

2. qu'est-ce qui vous fait lever le matin ?

3. que sont devenus vos rêves d'enfant ?

4. qu'est-ce qui vous distingue des autres ?

5. vous manque-t-il quelque chose ?

6. pensez-vous que tout le monde puisse être artiste ?

7. d'où venez-vous ?

8. jugez-vous votre sort enviable ?

9. à quoi avez vous renoncé ?

10. que faites-vous de votre argent ?

11. quelle tâche ménagère vous rebute le plus ?

12. quels sont vos plaisirs favoris ?

13. qu'aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?

14. citez trois artistes vivants que vous détestez ?

15. que défendez-vous ?

16. qu'êtes-vous capable de refuser ?

17. quelle est la partie de votre corps la plus fragile ?

18. qu'avez-vous été capable de faire par amour ?

19. que vous reproche-t-on ?

20. à quoi vous sert l'art ?

21. rédigez votre épitaphe.

22. sous quelle forme aimeriez-vous revenir ?

 

 

Dernier travail d'écriture : mon portrait

Écrire un texte à la première personne en deux paragraphes : Le premier paragraphe commencera par « Je suis + prénom + nom» et le deuxième paragraphe commencera par : « Je rêve de Par ailleurs, nous avons amélioré en cette année 2014-2015, notre travail sur l'orientation en seconde : cette expérience nous a invités à en tenter d'autres et à améliorer ce qui ne nous convenait pas, par exemple l'information à l'orientation en classe de seconde. Nous avons imaginé un dispositif dans lequel les élèves sont plus participatifs, plus acteurs. Ainsi, le travail sur l'orientation pour tous les élèves de seconde est devenu moins subi, il répond mieux à leurs attentes. Enfin ce dispositif a débouché sur la mise en place d'un tutorat des élèves de la Palanquée qui seront accompagnés par les adultes intervenants dans le dispositif jusqu'à l'obtention du baccalauréat sous forme d'entretiens individualisés à la demande de l'adulte ou de l'élève. ■