Codes sociaux
Se mettre en rang systématiquement est une habitude de fonctionnement. Enlever sa casquette pour se mettre à table est un code social, même si nous ne le partageons pas ou le contestons. Je pense que les deux situations ne peuvent qu’impliquer des approches différentes.
Une habitude se situe dans un contexte et un lieu précis. Elle entérine au fil du temps des situations qui peuvent rester cohérentes et fondées ou ne plus avoir aucun rapport avec la réalité ou les causes pour lesquelles elles ont été mises en place.
"Dans ce centre de vacances, il y a quelques années, le grand nombre d'enfants qui devaient entrer au réfectoire en même temps a conduit les animateurs à organiser une mise en rang (ils auraient pu inventer autre chose, mais c'est tout ce qu'ils avaient trouvé). De mémoire d'anciens animateurs en mémoire d'anciens animateurs, l'habitude s'est transmise et on continue à se mettre en rang, alors que le faible nombre d'enfants permettrait une entrée individuelle sans risque de bousculade."
Ce type de situation pourraient être transposée à l'école où l'on se demande parfois, pourquoi il est impératif que les enfants se mettent en rang...
La simple question: " Pourquoi ?" permet de justifier ou d'anéantir une habitude de fonctionnement. Et il faudrait que nous la prononcions le plus souvent possible.
Un code social est beaucoup plus complexe. Il correspond à des règles que s'est imposée une société et qui lui servent de référents communs. Il ne peut se balayer avec un seul "Pourquoi ?", sans nous amener très loin. Parce que la plupart des codes sociaux qui régissent notre vie ne résistent pas de manière individuelle à cette question. Pourquoi mangeons-nous avec une fourchette ? (Dans d'autres pays ce n'est pas le cas). Pourquoi telle gestuelle ou attitude sont-elles considérées comme insultantes ? (ce n'est pas un code universel) Pourquoi employons-nous tel type d'expression ou de vocabulaire en fonction de l'interlocuteur ? On pourrait multiplier les exemples. Bien sûr, les codes sociaux évoluent et se transforment. Les règles qui géraient la vie de la société il y a quelques années ne sont plus tout à fait les mêmes qu'aujourd'hui. Si l'on recule dans le temps cela est encore plus criant. Les centres de vacances en tant que lieu d'éducation se situent dans cette dynamique de transformation du monde où nous vivons. Pour moi, Eduquer, c'est amener l'enfant à devenir acteur de l' évolution de la société. Mais pour cela, il doit pouvoir se situer par rapport aux règles et codes sociaux. Ce qui me semble poser problème n'est pas qu'un enfant garde sa casquette à table (surtout s'il y a du soleil), mais c'est qu'il le fasse sans avoir conscience que cette situation n'est pas forcément une norme à reproduire partout. L'éducateur impose alors à l'enfant ses propres choix. (Tu n'as pas besoin de savoir cela ! Cet aspect de la vie en société ne te concerne pas !). En centre de vacances, il peut être très intéressant de jouer avec les codes et d'être amené à transgresser certaines normes, mais en connaissance de cause. Les enfants savent qu'ils sont dans le jeu ou dans un contexte clairement identifié. Vivre des jeux d'expression, se fabriquer ses propres codes d'appartenances, s'adapter à un contexte et surtout parler de ces situations peuvent permettre à l'enfant de mener sa propre réflexion sur la valeur des règles de la société. Ce qui, en ces temps où le mot de citoyenneté est parfois galvaudé, est une vrai attitude citoyenne.
Alors, jouons avec les codes sociaux, mais ne les ignorons pas.
Les Cahiers de l'Animation (n°32, octobre 2000)