Faire son cinéma. Créer une oeuvre en A.C.M.
J’arrive à Salins, petite ville du Jura pour découvrir un camp dont la thématique pourrait s’appeler « faire son cinéma ».
Cette véritable aventure (n’ayons pas peur des mots!) permet à des jeunes (de 11 à 15 ans) de développer des savoirs et savoir-faire dans le champ des activités de l’éducation à l’image. Il s’agit d’écrire, de tourner et de jouer avec l’aide de professionnels de la caméra un film qu’il·elle·s réaliseront de A jusqu’à Z et qui sera valorisé lors d’un événement local, et qui pourra être diffusé à Évreux au FIFE. Et tout ceci se passe en séjour de vacances, d’une durée d’une semaine. Le cadre et les décors sont posés. Et le défi à relever est de taille.
Une ruche bourdonnante s’affaire. J’observe et je m’approche. Trois groupes sont au travail. Voyons cela de plus près.
Un groupe au ralenti
Je m’approche du premier, ça parle de story-board, un jeune lit les notes prises la veille, il est nécessaire de s’y retrouver. On sent que chacun·e a besoin de se remettre dans le bain. Il y a pourtant besoin de faire le point afin de décider de toutes les séquences à tourner. Des yeux se ferment, des téléphones sont de sortie, ça a du mal à démarrer. Ce sont des ados quoi ! En vacances qui plus est !
«Avez-vous pensé à un titre» tonitrue Éric Sosso qui accompagne le groupe (cinq filles et deux garçons) dans son processus de création ? Cette question a le mérite d’en réveiller quelques-un·e·s.
Le sujet parle d’amour et de trahison loupée, c’est tout ce que je peux en dire pour l’instant. Le titre doit-il être drôle, comporter un jeu de mots ? Pas de réponses immédiates.«Pas de pression, mais va falloir accélérer», Éric en remet une couche, histoire de rappeler pourquoi tout le monde est là. Les jeunes sont en vacances c’est un fait et c’est bien mais ils et elles se sont engagé·e·s dans un projet et il est nécessaire qu’ils et elles s’y tiennent. Il est rappelé qu’il y a nécessité absolue d’aller jusqu’au détail, de décider des répliques, des séquences à tourner, des dialogues, nécessité de faire le tour des plans, de choisir la place de la caméra.
Éric prend des notes et pose les choses. Le rythme reste indolent mais le mécanisme se met en route tranquillement. Il faut décider et préciser, préciser encore, les dialogues sont passés au peigne fin.
Quand on a les fesses bien calées sur son canapé ou dans un siège d’une salle de ciné, on a du mal à penser ou même à imaginer la somme de choses auxquelles il faut penser pour tourner ne serait-ce que quelques secondes d’une histoire, alors chapeau ici ce sont les jeunes qui se chargent de tout, de l’écriture, des décors, des costumes, des repérages, du son, de la lumière, n’en jetez plus l’écran est plein ! Les adolescent·e·s sont concentré·e·s et réfléchissent mais se regardent beaucoup et prennent peu la parole.
«L’improvisation est possible, mais on n’a pas trois semaines devant nous», troisième salve d’Éric, qui trouve que ça n’avance pas bien vite. Il faut décrypter chaque séquence, chaque petit détail a son importance (dans le choix des espaces à investir). Même si certain·e·s semblent ailleurs, plus préoccupé·e·s par la teneur du flirt qu’il·elle vivent, le groupe semble enfin lancé, les jeunes se souviennent de ce qu’il·elle·s ont dit la veille, ce qui va favoriser l’écriture des textes.
Autre groupe, autre réalité.
Il est un et elles sont quatre, et c’est Lucile (responsable du secteur jeunes à Salins) qui accompagne le groupe. Elle connaît très bien Salins, propose des lieux possibles pour le tournage et rappelle au groupe (qu’elle connaît bien) qu’il va falloir s’y mettre, ici aussi ça a du mal à décoller. Ça et là néanmoins on parle de jour, de nuit, de coucher de soleil, on entre dans le vif du sujet. Une phrase, une citation est trouvée, il y a prises de notes, trois jeunes sont très actives deux beaucoup moins (et c’est un euphémisme).
«Ce matin c’est dur, mais on avait dit qu’on écrivait mieux le matin» lance une jeune fille, consciente du principe de réalité et de la parfois non coïncidence entre le projet et son déroulement.
Le groupe est mou et les allées et venues des unes et des autres font office de montagnes russes dans la réflexion. À noter tout de même que le téléphone («non, non on ne peut pas mettre de la musique») quand on a envie de s’en servir à des fins de recherche peut aider à trouver la bonne phrase même si les citations défilent et que ça prend du temps. Un bâillement sonore perturbe leur lecture. La soirée a décidément de belles et réconfortantes répercussions sur la forme des jeunes.
Le troisième groupe
Sept filles comme les sept filles de l’ogre
L’ogre cinéma qui bouffe de l’énergie
Dans ce groupe il semble que l’atmosphère est moins endormie, des feuilles sont affichées au mur qui fixent les choses déjà décidées. Elles sont dedans et paraissent déterminées. Il est question de pacte, de promesse, de terre sous les ongles… de costumes, de talons hauts, de repérages, il y a comme un tourbillon d’émulation où chacune prend sa part...et puis le calme après la tempête, le plat pays revient au devant de la scène. Comme si une baguette magique les avaient figées, pétrifiées... la dynamique de groupe joue à plein et dans les deux sens.
Ce même groupe retrouvera de l’allant après le repas et vivra une après-midi pleine de belles trouvailles.
Ce n’est pas simple d’être à la fois engagé·e dans un vrai travail (avec tout ce que ça demande comme efforts) alors qu’on est en train de vivre un camp d’ados avec copains et copines, ce n’est pas facile de vivre de vraies vacances en ayant un objectif de production. Mais ce qui est rassurant c’est que les jeunes y parviennent et savent faire la part des choses, à la fois s’impliquer et préserver le côté « loisirs » de ce projet.
Un peu plus tard
On tâtonne, on essaie, on voit ce que ça donne, on s’aperçoit qu’approcher la caméra très près du visage ça déforme celui-ci et c’est inquiétant. «On peut flouter c’est chiant mais c’est une solution.» Il y a de la découverte technique, de l’apprentissage… «aujourd’hui je suis incapable de dire comment y faut faire» dit Éric à la fois fataliste et confiant dans la capacité des jeunes de se prendre en main.
Il faut prendre en compte la météo, les décors naturels, le fait d’accepter de galérer quant au choix des lieux qui doivent être propices aux scènes à tourner (on ne peut pas se rater) «j’ai hâte alors j’oublie le reste» lâche une jeune fille, un peu perdue. On ne tourne pas dans l’ordre, d’où la logique d’un plan de travail très précis (mouillé, sec, attention à la crédibilité et aux incongruités ). En lien avec ce qui va se passer, Éric tente une petite parenthèse poétique en tentant une référence au « dormeur du val » mais peu de jeunes semblent connaître Rimbaud.
Le groupe semble enfin dans le coup «moi, je viens d’avoir une idée», «il y a toujours l’histoire de la caméra qui tombe?» même si (et heureusement) les digressions vont bon train «on va choper un canard» ou «Ils vont aller se tremper les petits petons». Ces petites phrases ont quelque chose de rafraîchissant. On se rend compte néanmoins que faire du cinéma c’est une horlogerie de grande précision, toutes les secondes sont à travailler avec soin. Tout est à discuter, tout est discuté. Cela demande de la concentration, beaucoup de concentration.
Avec un autre groupe, qui a choisi de tout miser sur une voix off, tout le monde est à l’ouvrage, on dirait un filage. Chaque groupe avance à son rythme et le rythme de celui-ci semble plus rapide.
«Il n’y a pas de place pour l’improvisation», «il faut aller jusqu’au moindre détail», «il y en a toujours un·e qui décroche, s’il vous plaît, s’il vous plaît», «malo t’es fatiguant, c’est trop tard», «Il faut que ça reste totalement poétique», «on voulait du fantastique, on en a» «le ragondin fait son speech» «est-ce qu’il faut ses pieds dans l’eau ou pas?», «il faut refaire le bateau en papier», «mais tais-toi, oh putain j’suis fatiguée» «regardez comme c’est stylé» «tu peux nous aider Lilune» s’exclament à tour de rôle quatre jeunes filles enthousiastes «notre film ça va être un chef-d’œuvre et dans les archives ils vont avoir ça» dit Malo en montrant une feuille de papier kraft rongée de gribouillis, «quand on regarde notre table on dirait plus qu’on est en mode atelier dessin, d’expression» et Isée revient en courant et sautant et dit «j’ai une idée, j’ai une idée, j’ai une idée», ça bouillonne et même si ça circule (les jeunes s’absentent, reviennent, ressortent, se taisent sont distrait·e·s). «Arrête de râler», «et soudain une fissure», «on fait un film de 4 minutes, heureusement que ce n’est pas 1h30, mais c’est leur métier à eux» ajoutent dans une broderie de mots, automatique deux adolescentes qui cherchent la bonne réplique.
Les dialogues sont pointus, la barre est haute, il faut parfois les freiner dans leur folie créatrice, leur rage de garder le fil de leur récit en soignant les paroles qui en ponctueront l’illustration visuelle.
Nombre de sentences insolites sont lues, quelques petites prises de tête malgré tout(la palabre est nécessaire). J’entends la naissance et la vie éphémère d’un beau néologisme «origamifié» et puis la voix de l’animatrice «on fait au plus simple ou pas ?» Peu à peu le film se dévoile en se construisant, en se disant.les jeunes prennent conscience de l’importance des détails matériels.
Le groupe est toujours à la recherche d’une phrase qui matche mais ce n’est pas simple. Ça phosphore on est dans la langue, la vraie et le moindre mot a son importance.
Dans l’air volent çà et là des termes de cinéma : «scène, séquences, flash-back, découpage, accessoires, prise, plongée, contre-plongée, grand angle, montage, raccord sur les yeux, visage serré, télé-objectif, on déploie à fond le zoom, script, cut, fondu au noir, voix off. On s’y croirait, on s’y voit, on y est. Ils et elles y sont, c’est certain.
Et, à l’issue de ces vacances insolites, trois films ont vu le jour, sans autre prétention que celle d’avoir été une étape de création irremplaçable au cœur d’un séjour à domicile entre jeunes où le rythme et les temps d’activités sont restés ceux de véritables vacances.
Le pacte
Scénario et réalisation
Manon BRENANS – Maëlys DUTHEY – Anaïs JOUILLE – Emma SCHMID – Samanda SULMATAJ – Emma WENDLING
Polaris
Scénario et réalisation
Eva PELLEGRINI – Livia PALENI – Ysée LOCATELLI POUSSET – Malo GALLOU – Lilune TISSOT
Les histoires d’A
Scénario et réalisation
Margot FEVRE – Alexandre CHAUVIN – Noah BOUILLET – Ambre GIROT – Maélie NICOLLE – Romane CHAUVIN – Marion DE SAINT DENIS
Vous avez dit colo cinéma ?
Naissance des ateliers cinéma en Bourgogne-Franche-Comté