La "pédagogie smartphone" en centre de vacances
Il est désormais difficile de penser le projet pédagogique d’un séjour de jeune sans penser à une stratégie concernant le smartphone. Quelle place accorder à cet outil sans qu’il n’altère les activités et l’échange collectif ? Zoom sur quelques exemples de différentes stratégies adoptées… et pourquoi pas, repartir avec quelques idées !
La pédagogie « 100% smartphone »
Christine Gineste, animatrice Ceméa Pays de la Loire, a tenu le rôle d’accueillante référente lors d’un séjour en pension complète sur une base de loisirs de Châteaubriand. Elle a suivi la pédagogie « 100% smartphone » de l’équipe de direction et d’animateurs, lesquels ont choisi de donner au téléphone portable une place à part entière en l’individualisant et le considérant comme un élément du groupe. Pour cela, il a été décidé de laisser le portable à disposition des jeunes à toute heure de la journée et de la nuit. Le smartphone avait même son lieu de repos : un espace de charge collectif pour que les jeunes puissent recharger les batteries, avec des tours de priorité selon les niveaux de la chargement.
La question du téléphone portable a été amenée également dans les discussions de groupe en « conseils de jeunes » – réunions du matin et du soir ritualisées quotidiennement – pour aborder entre jeunes les questions liées à l’utilisation du portable sur le séjour. Ici, le portable est inclus à part entière dans la vie du groupe.
Après cette expérience, Christine remarque : « La présence du portable ne bloque pas l’activité ni le dialogue. C’est juste que, par extension, les jeunes sont dans la réaction dans la vie, comme ils le sont sur leur portable. Ainsi, le processus d’élaboration collectif en termes de pensées est à prendre en compte différemment. Il peut sembler être mis à mal car les jeunes se coupent la parole, réagissent activement sans prendre le temps forcément de bien s’écouter et de formuler leur pensée. […] C’est une autre manière de communiquer, beaucoup plus longue... Mais elle est désormais à prendre en compte. Car, au final, les décisions se prennent collectivement ».
La « pédagogie confiance » à 80% smartphone
Fahim El Allouchi, animateur en séjours, adopte chaque fois une pédagogie à environ 80% smartphone. Ici, ce dernier est relégué à une condition d’« objet », tout en étant considéré comme étant un outil favorable aux activités. Pour Fahim, « l’interdiction n’a pas du bon ! » surtout auprès d’ados qui sont généralement dans un esprit de contradiction. « L’idée est plutôt de permettre que le smartphone soit utilisé, tout en mettant en place un cadre ou les jeunes peuvent réfléchir à leur utilisation. ».
Le premier jour du séjour, Fahim met systématiquement en place un « forum », c’est-à-dire un atelier de parole qui ouvre un espace de sensibilisation à la question de l’utilisation du smartphone. L’atelier présente intérêts et dangers du smartphone : « Le forum, c’est aussi l’occasion de poser le cadre : chacun est libre de son téléphone, mais en même temps chacun en est responsable. On rappelle par exemple aux jeunes qu’il convient de ne jamais prendre quelqu’un en photo – et de la publier – à son insu ».
Selon Fahim, le fait de ne pas interdire permet une meilleure entente entre le jeune et l’équipe d’encadrants, mais cela a aussi vocation à ouvrir à une meilleure compréhension du jeune sur les conséquences des actions qu’il entreprend avec son téléphone. Dans ces séjours sur plusieurs jours, il nous rapporte que le point peut-être un peu compliqué reste la question du portable le soir dans les dortoirs. Pour cela, Fahim met en place un « deal du soir ». Le jeune peut garder son téléphone s’il s’engage à ne pas l’utiliser au-delà d’une certaine heure butoir – environ minuit. S’il ne se sent pas capable de respecter la règle, il est invité à remettre son portable aux animateurs avant d’aller rejoindre le dortoir. Si abus il y a, l’animateur confisquera le téléphone jusqu’au lendemain matin. Cette responsabilisation du jeune face à l’utilisation de son portable renforce là encore la confiance entre le jeune et l’animateur, et replace le téléphone portable à sa condition d’objet, utilisable à bon escient dans un cadre donné.
Quid du « zéro smartphone » ?
La pédagogie « zéro smartphone » est de moins en moins adoptée en ACM. Difficile désormais pour les jeunes de s’en passer, il fait partie de leur quotidien. Alors, si l’interdiction n’est pas très pertinente, la proposition de lâcher les écrans pour un moment peut être intéressante. Pourquoi ne pas mettre en place un « défi sans écran » ? Sous forme de jeu, ça passe mieux !
En 2021, un défi national de concept canadien, a été relevé par plusieurs établissements scolaires français. Les enfants ont été invités à ne pas utiliser d’écrans pendant dix jours. L’expérience a montré un réel enthousiasme auprès des participants. Voir le site du défi.
En ACM, on pourrait envisager la mise en place de ce défi sur une journée ou une demi-journée. Selon le Pew Research Center, centre de recherche américain qui fournit des statistiques et des informations sociales, la moitié des adolescents se sentiraient seuls, tristes et anxieux sans leur téléphone. Ce défi peut être l’occasion de réfléchir en groupe, de libérer la parole sur les éventuelles angoisses liées à l’absence du téléphone, et de chercher des solutions ensemble. L’intelligence collective permettra au groupe de réfléchir aux autres moyens de s’occuper réellement.
Suite à son expérience sur la base de loisir, Christine Gineste en retire une remarque : « Je pense que le portable a toute sa place en ACM comme ailleurs, il faut s’en servir comme un outil, tout en posant un cadre de réflexion. Car je ne suis pas sûre que tous les jeunes aient conscience de ce qui se cache dessous […] Je prendrai par exemple les téléphones du groupe et je les poserai sur la table. J’attendrai qu’une notification arrive et je proposerai que l’on décrypte ensemble la provenance de cette information : que fait-elle dans ma vie et que puis-je en faire ? L’idée est de créer du débat, du défi, pour déconstruire, pour permettre une prise de recul et développer l’esprit critique. Cela me semble primordial.»