Gentils et méchants
Il n’est pas toujours simple pour les animateurs de pouvoir se situer et réagir face à des situations qui sont parfois complexes, émotionnelles... Réagir, tout en faisant respecter et comprendre des valeurs humaines essentielles. Mais, sans simplifier ou caricaturer, sans se faire enfermer dans des convenances ou une forme de discours « bien-pensant ».
Un animateur trouvera intolérable, qu’un enfant en voyant quelque chose de mal fait s’exclame : « C’est du travail de … » Pourtant il ne relèvera pas qu’un autre enfant fasse une réflexion sur les blondes ou les belges.
Dire qu’un groupe humain par naissance travaille mal est raciste et répréhensible. Mais qualifier de stupide un autre groupe humain, en raison de la couleur de ses cheveux et de son sexe, ou de sa nationalité serait drôle ? L’animateur cautionne le fait que l’indignation face à la stigmatisation peut être à géométrie variable.
Une petite fille blonde qui serait dans ce groupe pourrait donc en déduire que s’il est interdit de mépriser ou de se moquer de certains, il est autorisé de le faire pour elle. L’intention première d’apprentissage d’un respect mutuel serait alors dévoyée. Créant deux catégories d’enfants : Ceux auxquels on peut dire des choses blessantes et ceux sur pour lesquels on n’en n’a pas le droit. Situation susceptible d’amener du ressentiment. Les choses sont complexes et il faut se méfier des simplifications, amalgames et d’un politiquement correct qui peut parfois se montrer contre-productif par rapport aux valeurs qu’il prétend défendre.
Un animateur est confronté à une insulte raciale prononcée par un enfant, à l’égard d’autres a le devoir et l’obligation de réagir, mais cette réaction doit être réfléchie, adaptée et surtout sans ambigüité. Cela n’est pas toujours simple, car si le propos est raciste ou inconvenant, l’intention précise ne l’est pas forcément. Il y a évidement le second degré, qui sous une forme décalée a pour but de dénoncer et de prendre le contre-pied de ce qui est dit. Mais il y a aussi le fait que parfois les propos peuvent se vider de leur sens pour celui qui les emploie. Deux jumeaux se disputent violemment. L’un des deux, pris dans le feu de l’altercation verbale hurle à son frère: « Ta mère, la pute ! » L’histoire est véridique. Au-delà de l’anecdote, elle nous montre que le propos n’était évidement pas réfléchi et que c’est la notion d’insulte qui a été prise en compte et non le sens qu’elle revêtait. De même, un enseignant qui employait le terme : « Ça goume !», a réalisé très gêné que cela faisait référence aux Goumiers (régiments d’Afrique du Nord). Pour lui c’était simplement un synonyme de « ça pue », terme qu’il avait souvent entendu employer dans son enfance et pour lequel il ne mettait aucune connotation particulière.
Le rôle de l’animateur n’est pas simple dans toutes ces situations, car s’il n’est pas question de laisser se développer des propos racistes et nauséabonds et s’il faut placer des interdits clairs et non négociables, il ne faut pas tomber dans la dérive d’un « politiquement correct » mettant « Tabou » certaines choses, aux dépends d’autres ou interdisant tout propos qui de près ou de loin pourrait mettre en exergue. Pierre Desproges écrivait : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui… »
Entre ce qui relève du racisme, de la bêtise, du second degré et de l’humour, de la reproduction pas forcément réfléchie de situations déjà vues ou entendues… La part des choses n’est pas toujours simple à faire. Qu’a-t-on le droit de dire et de ne pas dire ? Dans quel contexte ? Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas?
Le rôle des animateurs et des éducateurs en général est, pour moi, de permettre à l’enfant d’acquérir des valeurs d’humanité et de respect de l’autre. Cette démarche est complexe. Elle implique la nécessité de parler des situations vécues, d’amener les enfants à se poser des questions, de réfléchir avec eux, d’interdire, de sanctionner, mais aussi d’éviter les amalgames, les caricatures, les faux semblants. Tout en affirmant clairement des valeurs fortes, mais sans tomber dans des simplifications, des propos convenus et une forme de « bien penser ».
La dérive peut aussi se trouver dans des attitudes se voulant positives en mettant en valeur des groupes « opprimés ou discriminés ». S’il est indigne de qualifier un groupe humain par un défaut, il n’est pas plus juste de le qualifier globalement par une qualité. Il ne faut pas que l’animateur cautionne le fait, qu’il y aurait de bonnes contre-vérités et de mauvaises contre-vérités.
Ce n’est pas parce que quelqu’un est victime, qu’il a forcément raison sur tout. Méfions-nous d’un politiquement correct, qui entraîne vers des simplifications et des raccourcis.
Qui est-ce qui est très gentil ?... Les gentils… Qui est-ce qui est très méchant ?... Les méchants… » Chantait avec dérision, M. Fugain.
Éviter une dérive manichéiste face à des situations complexes. Mais faire partager aux enfants des valeurs essentielles tout en les amenant à s’interroger vraiment sur le monde qui les entoure.
Les Cahiers de l'Animation (n° 74, avril 2011)