Les expos et le spectacle vivant en hibernation
Parfois le hasard fait bien les choses et permet de connaître et vivre de grands moments, des émotions imprévisibles. Parfois on est bien inspiré de se rendre dans une fondation prestigieuse pour y savourer une exposition lorsqu’elle est encore ouverte. Il faut profiter de l’instant avant que ne se renouvelle la pétrification de la culture vivante. Mais reviendra le temps où elle refleurira, en attendant l’imaginaire et le rêve ont de beaux jours devant eux.
BAISSER(s) DE RIDEAU
Vendredi 16 octobre, 23h, théâtre de la Colline, le couvre-feu commence dans une heure et la pièce de Pascal RAMBERT, « Mes Frères » , vient de se terminer ; c’est sa dernière production écrite, mais pour la première fois, il en a laissé la mise en scène à un de ses acteurs fétiche, Arthur NAUZYCIEL ; cette pièce produite par le TNB et montée à Rennes durant le premier confinement venait juste de commencer ; et ce soir-là on assistait à la cinquième représentation.
23H 10, les cinq acteurs-trices, dont le metteur en scène, s’avancent après les applaudissements et les quatre rappels appuyés du public, peu nombreux ce soir. Ce dernier prend la parole, très ému, pour annoncer que c’était pour l’instant la dernière… avant, on ne sait, ni lui, ni nous. Il remercie le public d’être venu à cette « dernière », le public est debout, non seulement pour cette magnifique pièce onirique et ancrée dans une certaine réalité des rapports femme-homme, mais aussi comme pour tenter de clamer par ses applaudissements la volonté que la magie du jeu ne s’arrête pas même si à ce moment-là, tout paraît tellement dérisoire !
« Il va falloir quitter la salle, vous n’avez plus que quarante cinq minutes pour rentrer chez vous, dit-il »...
Jeudi 29 novembre, 20h30, théâtre Hébertot, le deuxième confinement commence dans une demi-heure ; « 12 hommes en colère » vient de se terminer, la pièce depuis deux semaines débutant à 18h30. La salle est enthousiaste après cette représentation menée avec engagement et rythme. Les douze acteurs, il n’y a aucune actrice dans ce huit-clos de Reginald Rose qui date de 1953 et plus connue par l’adaptation pour le cinéma de Sydney Lumet avec Henry Fonda , s’avancent au bord de scène et saluent le public avant que Thierry Frémont qui tient le rôle principal, ne prenne la parole pour lui aussi nous remercier d’être venus à cette « dernière » et nous conseille de rentrer au plus vite… « vous n’avez plus qu’une demi-heure ! »
Quel hasard que de faire à quinze jours d’intervalle, la même sortie rapide d’une salle de spectacle et de vivre cette situation tragi-comique dans une époque pas si formidable…
Mais quel bonheur d’avoir pu voir ces deux pièces qui bien-sûr devraient être reprogrammées dans des temps plus sereins à une date ultérieure…
Si, bien sûr, les artistes, les théâtres, les productions et tout le monde de la Culture tiennent bon… d’ici là !
CINDY SHERMAN : la transformiste photogénique
Cette rétrospective Cindy Sherman (1975 à 2020) présente 170 œuvres , soit environ 300 photographies, sous forme de séries présentées de façon chronologique ; il y a même des clichés d’enfance avec des annotations de ses albums photo « nobody ‘s here, but me ».
Car son seul et unique objet c‘est elle … mais en perpétuelle métamorphose !
Maquillée, re-coiffée, habillée, accessoirisée, éclairée, multipliée, sous tous les plans et sous différents angles : car Cindy Sherman est tour à tour l’actrice unique, la scénographe, l’éclairagiste, la maquilleuse, l’habilleuse, la décoratrice, la documentaliste et la photographe de chacune de ses images.
Et les séries s’enchaînent ; noir et blanc ou couleur, petit ou grand format, argentique au numérique sous des titres aussi divers que mode, films, garçonnes, masques, portraits de la société, portraits historiques, etc.
Et aucune photographie n’est titrée ; toutes sont « untitled #» suivi d’un numéro.
Cet ensemble forme une sorte d’encyclopédie de la société nord-américaine et le thème qui s’en dégage sans jamais être positionnée de front est celui du féminisme comme de la question des genres. Car à travers ces images et même si certaines sont des portraits d’hommes (et toujours d’elle!), c’est l’image de la femme américaine qu’on regarde, observe, dévisage, admire, observe, examine, contemple ou reluque.
Cette exposition qui occupe deux étages de la fondation est mise en regard « crossing views » d’autres artistes rassemblés qui font partie de l’art conceptuel ; Andy Warhol, Annette Messager, Christian Boltanski, Louise Bourgeois…
Une immersion insolite dans nos imaginaires…
Cette exposition tant attendue puisqu’elle devait débuter au moment du premier confinement après avoir été présentée fin 2019 à la National Portrait Gallery à Londres est pour l’instant fermée, mais devrait reprendre dès la fin de l’année.
Exposition du 23 septembre 2020 au 3 janvier 2021 à La Fondation Louis Vuitton 8, Avenue du Mahatma Gandhi (Bois de Boulogne), 75116 Paris