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Chanter

"Chanter ensemble est une expérience du collectif" dans cette interview, le chanteur Franz nous parle de la chanson pour enfants, de ses spécificités, de son rôle et de son évolution
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Dans un environnement où le son et l’image sont omniprésents et dans lequel la chanson se décline plus souvent sous forme individuelle que collective, le point du vue du chanteur Franz, nous amène à réfléchir sur la place du chant dans l’éducation.
Média secondaire

Ven : Peux-tu en quelques mots évoquer ta carrière de chanteur et de musicien, dans un groupe de la scène française, puis ce virage après dix ans de concerts pour te consacrer à la chanson pour enfants

Franz : J'ai suivi tout jeune une formation musicale au conservatoire de Lille où j'ai appris le piano. Ensuite je me suis mis à la guitare en autodidacte. Je ne me destinais pas à une carrière musicale. Au Lycée, j'ai rencontré des amis avec qui je voulais tout simplement refaire le monde ! Nous avons créé un groupe de chanson, dont j'étais co-compositeur et co-auteur, mais pas chanteur - j'étais beaucoup trop timide pour cela. D'année en année notre succès est allé grandissant et nous sommes passés professionnels, une aventure que j'ai poursuivie pendant 15 ans. Nous avions un chanteur principal, mais chantions souvent en chœur, et certains retours du public et des critiques nous comparaient parfois aux Frères Jacques ou aux Quatre Barbus. C'est bien plus tard que j'ai assumé le rôle de chanteur « lead », pour une carrière solo dédié au jeune public, suite à la rencontre de Céline Potard qui travaillait pour les éditions Milan Jeunesse. Plus récemment, je me suis associé à un compositeur de musique électronique pour créer un duo à destination du public adulte, tout en continuant à faire des concerts pour les enfants.

Ven : Qu’est-ce qui selon toi fait la grandeur de la chanson pour enfants ? Et que leur apporte-t-elle ?

Franz : Je veux d'abord dire ce que la chanson pour enfant m'a apporté en tant que créateur. Ce qui m'a le plus surpris en me lançant dans ce pari, suite à la proposition de Céline Potard, c'est l'incroyable liberté donnée dans l'écriture des textes. Contrairement à l'idée qu'on peut s'en faire, la chanson pour adulte est finalement plus formatée que la chanson pour enfant. Mises à part quelques superbes exceptions poétiques, les thèmes des chansons « grand public » tournent généralement autour du quotidien ou des histoires d'amour. Au contraire, un enfant est ouvert à tout, curieux, prêt à se laisser embarquer dans un univers parfois très éloigné des codes de la chanson réaliste. Aucune limite n'est fixée a priori à l'imagination. Ce fut pour moi une révélation et un grand plaisir. Je ne me suis rien interdit, bien au contraire. J'ai cherché à encourager la tendance des enfants à faire confiance à l'imagination. Je n'ai surtout pas voulu donner de leçons, même si mes chansons contiennent des messages et des questions qui m'habitent. Je n'ai pas la prétention de savoir ce que la chanson pour enfants apporte à ceux-ci, mais j'ai plusieurs fois été très surpris de leur qualité d'attention. Mes textes sont denses, le débit parfois rapide, surtout en concert, et malgré cela certains retours d'enfants, qui entendaient la chanson pour la première fois, m'ont sidéré par l'intelligence qu'ils en avaient. Cela m'a conforté dans le choix que j'avais fait de textes exigeants et pas du tout abêtissants ni simplistes.

Cemea

Ven : Jouant avec les mots, les sons, le rythme, les sentiments, le rêve, l’impertinence, le rire… Qu’est-ce qui fait qu’une chanson touche les enfants ?

Franz : Même si elle a un sens ou plusieurs sens, la force de la chanson réside dans sa poétique, dans le jeu avec le langage et la combinaison des mots avec la musique, rythme et mélodie. Si on a plaisir à écouter, on aura plaisir à chanter, et peu à peu on s'appropriera le ou les sens possibles, voire on trouvera sa propre interprétation. Les chansons les plus réclamées par les enfants, parmi celles que j’ai composées, restent celles qui sont rythmées et humoristiques. Ils apprécient les jeux de mots, comme dans « L'Emmerleur », les rythmes dansants, comme dans « L'Âme des Hippopotames », ou les rimes frappantes comme dans « Les Vaches se lâchent » et « La Tribu des Yacks ». Toutes ces chansons jouent par ailleurs avec les interdits et comportent je pense une vertu cathartique. J'ai souvent transposé une certaine violence dans un contexte imaginaire où celle-ci peut s'exprimer sans blesser personne, et où elle est désamorcée par le rire. Les chansons plus émouvantes passent moins bien en concert, mais sont appréciées sur l'album, que les enfants écoutent dans un contexte différent, moins électrisé.

Ven : Des chansons enfantines ont traversé les époques et les générations, mais ce patrimoine, libre de droit, semble avoir été ringardisé et souvent enrobé de guimauve. Que penses-tu de cette perte progressive de repères intergénérationnels?

Franz : Je suis moi-même le fruit de cette perte de repères. J'ai peu baigné dans les chansons enfantines, peut-être justement à cause de cet « enrobage » un peu mièvre qui m'en éloignait. Je crois que ma première révélation en chanson, vers le milieu de l'école primaire, c'était une cassette d'un album de Renaud, que j'ai écouté et réécouté en boucle jusqu'à en user la bande. Je trouvais cela incroyablement drôle et émouvant à la fois. L'art de traiter avec humour les sujets graves, sans pour autant se couper d'une émotion sincère : c'est resté un modèle pour moi, même si je situe mes textes dans un univers beaucoup moins « réaliste ». J'aime la force des contes, qui ne s'inscrivent pas dans une époque et échappent aux modes. Je pressens que c'est la même force qui habite certaines chansons enfantines... alors pourquoi pas en livrer une interprétation actuelle ?

Ven : Chanter ou écouter celui ou celle qui chante ? Par le passé on a beaucoup chanté en groupe, des chansons adaptées à ce type d’interprétation, mais il semble que l’on glisse vers une situation dans laquelle on a plus tendance à écouter. Penses-tu qu’il s’agisse de la tendance lourde d’une société visant à professionnaliser, cloisonner et trier ou que ce phénomène est une vague et que le fond du désir de chanter demeure ?

Franz : C'est...une bonne question ! D'un côté, on n'a jamais eu autant accès à la musique : de multiples applications existent pour chanter en play-back ou apprendre la musique, et toutes les interprétations de tous les répertoires possibles sont disponibles en quelques clics ou d'un coup de doigt sur un smartphone. D'un autre côté, peut-être pour cette même raison, on n'a plus besoin de chanter pour vivre en musique : une enceinte portable suffit, là où autrefois, avant qu'on invente les solutions techniques pour l'enregistrer et la diffuser, seule existait la musique jouée en « live », la voix étant le premier instrument, celui qu'on a sous la main. Je suppose que cela, entre autre, expliquait le besoin de chanter en groupe, pour accompagner certains travaux manuels (aux champs, à l'usine, dans les lavoirs) ou pour « faire corps » (les marins, l'armée, la veillée du soir...). En parallèle, on est entré dans ce que Guy Debord a appelé la « société du spectacle », dont la devise pourrait être « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît », qui rend toute chose plus vraie dès lors qu'elle est apparaît sur un média ou sur une scène. L'industrie musicale a fortiori a pu avoir intérêt à mettre en avant des vedettes adulées par un public passif. Mais la tendance actuelle serait plutôt à une mise en scène de chacun via les réseaux sociaux, dont certains sont justement dédiés au chant amateur. Je pense que le désir de chanter est intact, mais que la pratique du chant collectif mérite d'être encouragée, car elle relie les individus de façon organique et non technologique. Par ailleurs, tout en faisant corps avec les autres, chacun y a un rôle d'égale importance. J'aimais cela dans mon premier groupe, quand nous chantions en chœur. Cela permet de se sentir à la fois humble et fort, en résonance avec les autres. Un beau modèle pour la société !

Cemea

Ven : Comment faire chanter des enfants ensemble, pour le seul plaisir de s’écouter et de partager, quand ils sont baignés dans une logique de concours permanent, dans lequel, il faut être meilleur que l’autre ?

Franz : Chanter ensemble est une expérience du collectif. Une belle manière d'y parvenir, que j'ai expérimentée à plusieurs reprises à travers des ateliers, c'est d'écrire une chanson avec les enfants. Chacun·e y prend part à sa manière : certain·es sont plus à l'aise pour lancer des idées, d'autres pour les mettre en forme et trouver des images, d'autres encore pour suggérer des éléments musicaux. A la fin, la fierté du groupe se retrouve dans l'interprétation collective devant le public.

Ven : Comment imagines-tu l’avenir de la chanson pour enfants ?

Franz : Je pense qu'elle nous réserve beaucoup de belles surprises. Ce qui était autrefois une niche réservée à un petit nombre d'artistes étiquetés « pour enfants » s'est complètement ouvert ces vingt dernières années. Dans la foulée de plusieurs artistes pionniers tels que les Garçons Bouchers, les Ogres de Barback ou Aldebert, passés de la scène « adulte » à la scène « enfant », parfois pour une incursion, parfois pour y rester, ces scènes sont devenues poreuses entre elles. Désormais, il est presque naturel et attendu de tout artiste qu'il livre dans sa carrière une proposition pour les enfants. De même, la plupart des salles de spectacles proposent à présent des concerts pour le jeune public, où la communion est intergénérationnelle, le public venant souvent en famille. Bien entendu, il y a un intérêt économique à cela. Mais d'un point de vue artistique, cela ouvre bien des perspectives, tant pour la création que pour la reprise d'un patrimoine revisité...Autant de matière à la disposition des professeurs et des intervenants musicaux pour faire chanter les enfants !

http://www.citedelamusique.fr/pdf/note_programme/np_11817.pdf

https://sortir.telerama.fr/concerts/franz-bas-les-pattes,26913.php

https://vimeo.com/23415486

franzbaslespattes@gmail.com

Propos recueillis en 2021 par Olivier Ivanoff pour la revue Vers l'Education Nouvelle