Adolescent·es, un public surprenant
Un des espaces dans lesquels peuvent se retrouver toutes ces individualités, sans pression scolaire ni familiale, ce sont bien les séjours de vacances favorisant le brassage car les jeunes peuvent venir de tous les horizons. Un camp d’ados, c’est composer, c’est partir de leurs besoins, lesquels coïncident rarement avec leurs envies, et apporter ce plus du « pourquoi on est là », ce qui fait que les vacances collectives ont du sens et permet la découverte de nouveaux horizons, qu’ils soient d’activités ou de forme humaine. Parfois ceux·celles-ci n’ont même pas choisi de s’inscrire, souvent ce qui prime c’est de se retrouver entre copains et copines, parfois c’est simplement d’être loin de ses parents ou de la maison, enfin pour certain·e·s, c’est la seule occasion de partir en vacances. Et il s’en passe des choses en camp d’adolescent·e·s. En atteste le chapelet de témoignages qui suivent.
Une victoire vite déçue
J’ai le souvenir marquant d’un été durant lequel nous avions contraint les grand·e·s de la colo, des préados de 13 et 14 ans, à jouer à Poules-renards-vipères, tant nous avions l’impression de les voir passer leurs journées à ne rien faire. Bougonnant et grognons ils et elles se plièrent à notre diktat car c’en était bien un.
Le jeu démarra, d’abord au ralenti puis au fil des minutes avec beaucoup d’entrain voire d’enthousiasme ; chacun et chacune se prenant au jeu, la partie prit des allures de défi permanent. Tour à tour prisonnier·ère, prédateur·trice, proie ou gardien·ne, les participant·e·s se trouvèrent vite happé·e·s dans un tourbillon de frénésie inconnu jusque-là. Et c’est harassé·e·s, essoufflé·e·s, la mort dans l’âme qu’ils·elles acceptèrent enfin que se termine ce grand jeu sportif. Nous avions réussi notre coup. Du moins le croyions-nous ! En effet, lors du petit débriefing qui suivit, tout le monde ayant repris son souffle et s’étant réhydraté, ce que nous entendîmes nous décontenança : « c’était nul », « on n’y rejouera pas », « wouah la hoche (la honte) », « on s’est ennuyé » … D’évidence, ils et elles ne voulaient pas s’abaisser à accepter d’avoir pris du plaisir à jouer à ce jeu d’enfant. Il leur était aussi difficile de reconnaître que parce qu’ils n’en étaient pas à l’initiative, ce ne pouvait pas avoir été deux heures enthousiasmantes, pleines de péripéties ludiques et de relations d’un nouveau type ; en résumé des moments très agréables.
Ils·elles retombèrent donc dans cette léthargie qui nous agaçait au plus haut point. L’exemple se renouvela un grand nombre de fois, ce qui nous inquiéta mais aussi nous rassura quant à notre décision de les obliger à jouer. Le début de l’adolescence, c’est vraiment cela. Ne pas accepter que les autres, les adultes, puissent avoir raison et nier coûte que coûte la satisfaction ressentie. Lorsque l’on est animateur·rice, il faut s’y faire et savoir jongler avec ces données, alterner des injonctions déplaisantes mais inévitables avec des occasions à saisir à la suite d’observations et d’écoute permanentes.
Partir de l’écoute et de l’observation
Un exemple pour illustrer cela : dans le même séjour au mois d’août, le championnat de football de ligue 1 reprend. Et nous constations que les soirs de match un groupe de filles et de garçons, se réunissait sous un arbre, un peu à l’écart autour d’un poste de radio pour écouter la retransmission des matches – le multiplex d’une radio périphérique. Au début cela nous étonna, puis nous nous y sommes habitué·e·s, car le séjour durant 25 jours, l’opération se répéta un certain nombre de fois. Un soir, lors de la réunion d’équipe, nous abordâmes l’éventualité de proposer à ce groupe de pouvoir aller voir un match à Bordeaux, ville distante d’une centaine de kilomètres. Nous avions un bus, un chauffeur, le budget et c’était exceptionnel. Nous pesâmes le pour et le contre et décidâmes de proposer ce temps d’activité pour la prochaine journée de championnat. Le groupe y adhéra à l’unanimité et ce fut un vrai moment d’activité.
Mauvaise et bonne surprises
Il me revient en mémoire que j’avais déjà proposé ce type d’activité dans un autre séjour, à Quimper avec des jeunes plus âgé·e·s au moment du derby Quimper-Brest en division 4. J’accompagnai un groupe de cinq jeunes – 4 garçons et une fille, cela a son importance – en minibus. Tout se passait bien lorsque je m’aperçus que les quatre garçons, qui apparemment ne goûtaient pas plus que ça les actions du match, s’éloignaient de la tribune et se faisaient « chercher » par un autre groupe un peu plus âgé. Et arriva ce qui devait arriver : l’un des adolescents se fit choper sa casquette et s’ensuivit un début de rixe. Je fonçai pour tenter de régler ce différend et fus pris à partie par les individus avinés qui ne l’entendaient pas de cette oreille. Je ne dus mon salut qu’à l’intervention opportune de la seule fille du groupe qui avait auparavant fait connaissance avec ces fauteurs de trouble. Anecdote peu intéressante si ce n’est qu’elle permet de pointer du doigt qu’avec un groupe d’ados tout n’est pas toujours sous contrôle, que le risque est toujours là qui peut surgir à tout instant et que, parfois, le salut vient de l’inattendu – Aurore, dont la seule présence a calmé le jeu, avait fugué deux jours avant pour prendre le train. On n’est jamais à l’abri d’une surprise lorsqu’on travaille avec cette tranche d’âge
Légèreté assumée et frayeur maîtrisée
Pour illustrer ce qui précède, voici un souvenir de situation lors d’un camp itinérant en Irlande. Comme la réglementation le permet, l’équipe avait décidé de laisser partir, après une longue préparation soignée, de petits groupes en randonnée sur plusieurs jours. Trois jeunes filles de 17 ans qui avaient en juillet encadré un centre de loisirs pour leur stage pratique Bafa n’étaient pas au rendez-vous donné à Galway dans le Connemara à la différence des autres.
Nous étions en fin d’après-midi et il pleuvait à verse. Nous avons préparé le repas, l’avons pris avant de partir à la recherche des trois jeunes. Aucune nouvelle. Je précise que tout ceci se passait avant la téléphonie portable. Nous avons pris la décision en équipe de ne pas paniquer et de laisser passer la nuit, ce qui était et est encore discutable, avant d’alerter la police. Nous ne voulions pas créer d’affolement, même si nous n’en menions pas large. Nous avons passé la nuit à nous interroger et bien évidemment à nous rassurer mutuellement. Alors que nous nous rendions le lendemain matin au poste de police, nous les avons croisées fortuitement et elles nous ont raconté être arrivées un peu en avance la veille et avoir pris la décision de dormir chez l’habitant. Pas affolées du tout, elles n’avaient pas du tout imaginé notre inquiétude quant à leur absence de nouvelles. Elles avaient passé une soirée très tranquille. Et nous, une nuit agitée.
Partir seul·e·s, ce n’est pas seulement en camp
Autre cas de figure. J’ai, contre l’avis de mes collègues et un avis réservé du directeur de la structure, laissé partir camper seuls deux jeunes de la cité proche de la MJC que je connaissais bien. Ils désiraient passer trois jours au lac. Cela a bien entendu demandé beaucoup de préparation et de temps pour vérifier le matériel, expliquer la notion de budget à respecter, les factures à ne pas oublier, les règles à respecter. Ils sont partis et leur séjour n’a connu aucune anicroche. Ils en sont revenus grandis et pleinement heureux. La confiance réfléchie – et non aveugle – comporte une part de risque que l’on peut nommer pédagogique et qui vaut le coup d’être pris. Et la réussite d’un projet qui aux yeux de beaucoup passait pour ardu peut annihiler la crainte, donner envie, et partant, ouvrir la porte à des aventures similaires pour d’autres adolescent·e·s en quête d’autonomie.
Parfois, le bluff fonctionne
En Bretagne, j’ai appris fortuitement, lors d’une discussion à table, que des vols avaient été commis par des adolescent·e·s du camp que je dirigeais. Nous avons décidé de tenter un coup de poker. Lors du repas suivant nous avons dit que nous savions et que si les vêtements étaient restitués dans l’après-midi, l’affaire en resterait à des remontrances générales et collectives. Quelle ne fut pas notre surprise quand nous vîmes une table remplie d’habits de toutes sortes ! Tout cela pour dire qu’en réunion le vol paraît plus simple pour des jeunes, et que la menace fonctionne — procédé pas spécialement à recommander.
Tout dépend comment cela démarre
Deux projets radeau, l’un pour lequel nous avons cherché des bâtisseur·euse·s et avons tant bien que mal réussi à réunir un quarteron de jeunes prêt·e·s à se lancer dans l’aventure. Et au bout de quelques séances, où nous ne constations pas un grand engouement, le projet est tombé à l’eau sans que le radeau lui puisse être mis à l’eau.
L’autre, parti des jeunes, qui avaient repéré lors d’une balade dans les environs de gros fûts dans un garage et qui dans leur tête après quelques échanges avaient fait le lien avec un étang où trônait une petite île en plein milieu. Ils ont eu l’idée de construire un radeau avec comme objectif d’aller y pique-niquer. Le groupe de départ a convaincu d’autres jeunes de le rejoindre et à cinq ils ont commencé à rechercher les rondins, les palettes, à prendre des contacts avec le garage, à réunir et rassembler le matériel pour le chantier. L’enthousiasme était de mise et sans animateur – ils n’en voulaient pas – au fil des jours sans jamais se lasser ni relâcher leur investissement, ils ont mené leur projet au bout, à bien. Et ils ont mis à l’eau l’embarcation, ont chargé les provisions et sont allés, seuls, déjeuner sur l’îlot.
Dépasser une certaine précarité
Lorsqu’il s’agit d’un projet, que l’idée vient des jeunes et qu’il·elle·s ont les moyens à disposition pour la concrétiser, très souvent cela matche et la réussite est au bout du chemin. En revanche, quand ce sont les adultes qui lancent l’idée parce qu’il·elle·s ont repéré aux alentours quelque chose qui pourrait donner lieu à un projet, sans que cela relève d’un besoin ou même d’un désir des jeunes, il y a de fortes chances que cette idée capote.
On peut le constater, l’animation en direction des adolescent·e·s requiert, peut-être encore plus qu’avec des enfants, de bien connaître ce public, de veiller à en comprendre les caractéristiques et s’attacher à répondre avant tout aux besoins et aux attentes souvent muettes. Cela demande une écoute et un dialogue permanents. Et l’art de savoir les laisser tranquilles tout en étant force de propositions, il y a un équilibre durable à trouver, une précarité à dépasser. J’ai découvert la descente en VTT, le canyoning, la pêche en mer, j’ai joué à une prise de fanions sur un ferry, j’ai connu des bains de minuit, des nuits à la belle étoile, des peurs bleues ! J’ai pris le ferry pour la première fois, j’ai convaincu un adolescent de poser son couteau alors qu’il voulait planter un animateur, j’en ai ceinturé un pendant plus d’une heure pour l’empêcher de se jeter sur un autre. J’ai vu des jeunes faire de la grande cuisine sur un camping-gaz. J’en ai vu qui refusaient que les adultes se mêlent de leurs aventures et d’autres qui lisaient toute la journée sur la plage. Encadrer des jeunes en vacances, c’est tous les jours l’aventure. Pour eux·elles, mais aussi pour l’équipe d’animation.