Parcours d’une battante
L’Europe offre de multiples occasions aux moins de trente ans pour aller se frotter à d’autres façons de vivre, pour apprivoiser de nouvelles langues. Le Corps Européen de Solidarité est un possible parmi les possibles. Il permet de tenter l’aventure en toute sécurité et de vivre des projets solidaires et souvent tournés vers l’environnement. Il permet d’aller vers l’ailleurs pour mieux comprendre l’ici, en se confrontant à d’autres manières de vivre et d’agir. Nul besoin d’aller très loin. Tout près, au Luxembourg, les choses sont déjà curieusement très différentes. Et le quotidien réserve des surprises et permet d’appréhender au mieux la vie rurale et de faire taire les préjugés ou de les confirmer.
Tout ne tombe pas toujours sous le sens.
Lorsque j’ai entendu parler du Service volontaire européen, actuellement appelé Corps européen de solidarité (CES), pour la première fois, c’était en 2016, je venais d’avoir 17 ans et passais le Bafa avec les Cemea. Un de mes formateurs racontait de multiples anecdotes à propos de son volontariat en Europe de l’est. Ça me semblait absolument superbe.
J’ai pris le flyer « partir », que j’ai accroché au mur de ma chambre dès que je suis rentrée. Quatre ans plus tard, il y est toujours et, moi, je suis parti sans lui. En 2017, je partais en Service Civique en Allemagne et deux années après, au Luxembourg pour un CES. Je me souviendrai toujours de cette phrase : « L’Europe est riche, elle finance tellement de projets pour les jeunes. Alors avant 30 ans profitez ! Erasmus, SVE, Work away… Il y a tellement de possibilités ! Regardez et partez. ». J’avais des étoiles dans les yeux et plein de rêves à réaliser.
En terminale j’ai pensé un court instant à Science-Po, ou bien à un cursus intégré franco-allemand à l’université ou même à une licence en histoire. Et puis un nouveau choc : on m’a présenté le Vefa, Volontariat écologique franco-allemand.
Ô temps ! suspends ton vol
L’opportunité de travailler un an en Allemagne dans une structure écologique et une multitude de possibilités : dans un collège Montessori, une école démocratique, dans une ferme, et même dans une communauté ! Ça me semblait fou, après de multiples recherches et quelques lettres de motivation et diverses visites et entretien, me voilà partie à 18 ans pour travailler douze mois dans une Naturkita, un jardin pour enfant où nous allions en forêt deux fois par semaine. À côté de cela j’habitais dans une communauté de cinquante personnes, et sans que je n’en n’aie réellement conscience à l’époque, un espace safe pour tout le monde : réfugié.es, trans, queer, et autres personnes bizarres, libertaires, utopistes, rêvant d’un autre idéal de société. Découverte de la culture allemande et d’un respect total entre humain.es, nature et animaux. Une année où le temps s’est suspendu.
Retour en France et à la vie normale, toujours pas de fac en vue pour moi, je m’autorise une fois de plus un an de réflexion, encore une année de liberté. Faire le bilan de cette riche année passée, prendre du recul et m’apercevoir que je veux repartir. N’importe où, là où je peux découvrir une nouvelle culture, rencontrer des gens et être heureuse. Dès janvier je regarde les possibilités de CES, et rêve de nouvelles expériences devant mon ordinateur.
Pour trouver une mission et partir je dois m’inscrire sur une base de données, recensant toutes les missions existantes partout en Europe. Les projets durent entre deux et douze mois. Il est possible d’en faire deux, à condition de ne pas dépasser un an en cumulé. Il faut remplir les questions classiques et administratives : nom, prénom, date de naissance…Des informations sur les langues parlées, ce qu’on a fait avant et puis une lettre de motivation générale en anglais.
Puis, sur le site, plein de missions sont possibles. Il y a la possibilité de filtrer les résultats (durée de la mission, pays, thèmes…). Le site n’est pas toujours pratique, et surtout très chronophage. Pas de contact humain, les réponses négatives arrivent parfois violemment sans d’autres explications. Il vaut mieux ne pas trop se projeter !
Les volontaires du Corps européen de solidarité sont assuré.es durant tout leur volontariat (dans le pays d’accueil et même lors de voyages à l’étranger en Europe). Avec cette assurance, ça vaut le coup de mourir : le rapatriement du corps est gratuit !
La rémunération varie selon les pays, au Luxembourg je touche environ 470€ par mois, pour me nourrir et mes loisirs. En Bulgarie par exemple, ce sera beaucoup moins, comme le coût de la vie est moindre.
La première idée que j’ai est de partir en Roumanie dans une maison de retraite qui propose des activités créatives. Je m’imagine faire des ateliers photos avec les vieux et vieilles, des déguisements et mises en scène folles, du maquillage, faire quelque chose de décalé et marrant. Donner une image positive et belle de la vieillesse, des rides. Je leur envoie une lettre de motivation enthousiaste. Pas de nouvelle, je les relance une fois… toujours pas de nouvelles. Mais ce n’est pas si grave… il y a tellement de possibilités !
Je continue mes recherches. Une radio associative à Hamburg. J’écoute et regarde leur programme. De la bonne musique, des émissions fun, des interviews de gens locaux. Une possibilité de me former et de découvrir le milieu radiophonique. Trop top ! Je postule. Lettre de motivation en allemand, CV et c’est envoyé. Pas de réponse.
Tant mieux, pas de frustration car j’ai trouvé un éco village, perdu au milieu de la nature. Missions de constructions écologique, accompagner les touristes pour des ballades en ânes, cuisiner pour le collectif, jardiner… Le rêve. Cela fait quelque temps que je souhaite essayer un travail plus physique, à l’extérieur, et apprendre de nouvelles techniques. Une réponse : non, ils ont déjà trouvé un volontaire.
Pourquoi pas le Luxembourg!
Je trouve de moins en moins de projets qui me conviennent : une association de jeunes Erasmus en Grèce qui organise des évènements. Bof bof mais… La Grèce ! Un an au bord de la mer, avec des européen.nes venant de partout. Et du temps pour proposer des projets et workshop à d’autres jeunes… pas mal ! Je postule. Et j’attends. Entre temps, une association me contacte via la base de donnée. Mission : travailler avec des enfants de quartier. C’est en Bulgarie, vers la mer noire. Je prépare l’entretien, attends une demi-heure bêtement devant mon écran un samedi après-midi. Leur envoie un mail. Ils ont oublié et me demandent si on peut se skyper une heure plus tard. Pas possible pour moi. Et ça ne m’intéresse pas de travailler avec une structure qui dès le départ n’est pas correcte avec ses potentiel.les futur.es volontaires.
Je commence à m’impatienter : deux mois que je suis à l’affût. Il reste beaucoup de missions mais la plupart ne rentrent pas dans mes critères : certaines missions où il faut partager sa chambre avec une, deux, trois et même quatre volontaires. Non merci. Pas d’intimité ou de vie privée pendant un an. Ça peut être une expérience très riche humainement mais il ne faut pas pousser !
Et puis finalement, je trouve une structure au Luxembourg. Je ne comprends pas vraiment le projet. C’est à propos de l’éducation et du développement durable. J’envoie un mail en français, d’une traite sans me relire. Je me présente telle que je suis : de multiples facettes, qui est énervée (éco-féministe et tout le bazar). L’honnêteté paye, je suis prise sans même un entretien. Je trouve ça étrange. Tout s’enchaîne, se débloque et va vite. Je suis heureuse. C’est reparti pour de nouvelles aventures.
Pendant toute la durée de mon volontariat, j’aurai un tuteur au Luxembourg qui s’assurera que tout se passe bien pendant ma mission, que ce soit au travail ou hors travail, il sera dans ma structure d’accueil. À la moindre question ou problème je peux faire appel à lui. En plus de lui, j’ai une autre interlocutrice au Luxembourg à qui je dois m’adresser pour toutes les questions administratives et concernant le cadre du volontariat (banque, assurance, formation…). Au sein de mon organisation d’envoi (les Cemea), j’ai aussi une interlocutrice privilégiée, à qui j’écris un bilan chaque mois. Si je le souhaite et que j’en ressens le besoin, nous pouvons nous appeler et simplement discuter de ce que je vis, mon quotidien et je peux ainsi avoir un regard extérieur et un soutien éventuel.
J’ai aussi une formation avant mon départ pour bien me préparer. Trois semaines après mon arrivée, j’ai une semaine de formation avec d’autres volontaires européen.nes avec une mission au Luxembourg. Une autre en milieu d’année avec le même groupe de volontaires et une à mon retour en France.
Je pars le 15 septembre en train, chargée comme jamais. J’ai emmené le plus de choses possibles pour me sentir bien dès mon arrivée. Des photos, des livres, des affiches, des DVDs, ma clarinette, mon appareil photo… Il n’y a plus d’espace disponible dans mes multiples sacs.
Mon tuteur m’attend à la gare et m’accompagne chez moi. C’est parti pour un an au Luxembourg. Je suis logée dans un appartement pour volontaires, dans le village à côté de ma structure, il est mis à ma disposition gratuitement tout le long de mon volontariat. Un autre français y vit, avec qui j’ai déjà pris contact. Nous partageons seulement la cuisine. Ma chambre a vue sur la campagne environnante. Le Luxembourg est un pays très vert et très petit. L’appartement est au-dessus de la ferme pédagogique, chaque matin j’entends le coq chanter. Cinq chambres sont disponibles, mais nous ne sommes que deux depuis trois mois. Ce qui est aussi dommage, c’est l’absence de bus le dimanche et le fait qu’il n’y a rien dans les alentours. Pour faire les courses, je dois faire 30 minutes de bus.
Ma structure d’accueil est un centre de jeunesse, spécialisé dans l’éducation au développement durable. Hollenfels propose des activités pour des groupes de scolaires, environ 8 000 jeunes passent par Hollenfels chaque année. Les bureaux sont situés depuis 1975 dans un château du XIème siècle.
Les groupes peuvent aussi loger sur place, il y a une cinquantaine de lits disponibles. En face du château, une auberge de jeunesse propose des lits supplémentaires et des repas (petit-déjeuner, pique-nique, repas chauds…).
Des activités autour des thèmes de l’eau, de la biodiversité, des abeilles, de la ferme, de l’alimentation etc. sont proposées pour des jeunes de 3 et 18 ans. Et ce, avec des méthodes d’éducation non-formelles adaptées à l’âge des participant.es. Par exemple par des éco-jeux, des jeux coopératifs mais aussi des expériences dans la forêt avec différents outils de mesure.
Hollenfels dispose d’un terrain énorme : des étangs, des ruchers, de la forêt, une aire de jeux. En plus de cela, des formations pour adultes sont proposées au cours de l’année, pour les professionnel.les des maisons relais (équivalent du périscolaire ou des centres de loisirs pendant les vacances), des assistantes maternelles ou de tout autre personne travaillant avec des jeunes. Toutes ces activités sont encadrées par des freelances, des professeur.es détaché.es ou des membres de l’équipe permanente (au nombre de trois).
Le centre est investi dans des projets inter-régionaux et internationaux. Je découvre avec étonnement que le Benelux existe encore (Belgique avec ses trois régions, le Luxembourg et, enfin, les Pays-Bas). Je découvre également l’existence de la grande région (Luxembourg, province belge de Luxembourg, Liège, la région Grand-Est, la Sarre et la Rhénanie-Palatinat), régions de France, Belgique, Luxembourg et Allemagne. Francophone ou germanophone (et le Luxembourg qui parle aussi Luxembourgeois). Me voici dans un bain multiculturel, typique du Luxembourg.
Ici on parle d'éducation non formelle
Au début de mon volontariat, je participe, observe et comprends le fonctionnement. Les premiers mois ne semblent jamais s’arrêter : mes collègues m’emmènent partout, à des formations en Belgique, en Allemagne et au Luxembourg. Et puis à des réunions en Belgique et aux quatre coins du Luxembourg. Et lorsqu’il n’y a pas de réunions ou d’événement particulier, je participe aux activités proposées (dans diverses langues : luxembourgeois, allemand, français et parfois même anglais). Les groupes passent, le château se vide, se remplit, je ne comprends pas toujours qui est qui et qui vient pour quoi. Comme toute nouvelle expérience, c’est intense, riche en émotions, fatiguant et stressant. Mais je ne m’ennuie pas, alors c’est bon signe !
Ici, on ne parle pas d’éducation populaire ou d’éducation nouvelle comme aux Cemea, mais d’éducation non-formelle. C’est toujours de la pédagogie active, avec des pédagogies de projet. Les mêmes valeurs mais un vocabulaire différent et des méthodes que je découvre. De nouveaux jeux à apprendre et de nouvelles manières de faire à observer !
Et puis ici, parler de développement durable n’est pas un gros mot. Le terme en France me semble négatif (j’entendais plus l’aspect économique, capitaliste). Ici, je redécouvre ce mot. Développement durable de territoire, d’éducation autre, au respect de l’environnement, développement des réseaux, des idées… Cela m’offre une nouvelle vision et définition du développement durable.
Alors ici, respectant ces principes, j’apprends de manière vivante en participant aux activités. Je découvre directement les animations, les vis. Ensuite je me questionne et déduis les idées, le pourquoi de ce qui est mis en œuvre. Et puis, quand je maîtrise le tout, c’est à moi d’animer ! Tout est réfléchi et intelligemment fait.
Très vite on me confie une grande mission. Je dois encadrer onze jeunes (dans l’ensemble plus âgé.es que moi), lors d’une conférence Benelux de trois jours. Iels ont une heure de carte blanche et un jour et demi pour s’organiser et proposer quelque chose (en réalité cinq heures car iels participent aussi aux différents moments de la conférence).
Onze jeunes, cinq nationalités différentes, onze profils différents (parlementaires, étudiant.es pour devenir pédagogue nature, militant.es écologiques, volontaires européen.nes). Je propose différentes méthodes pour réussir à travailler ensemble. C’est intense, pas toujours facile mais très enrichissant à la fois pour les jeunes et pour moi.
Les vieux et vieilles sont content.es de ce que les jeunes proposent. Trois workshops autour de la communication entre jeunes et vieuilles. C’est la première fois que les jeunes ont autant d’importance lors d’une conférence Benelux. L’année prochaine elle se passera en Flandre, et les jeunes seront encore invité·e·s, et j’espère que leur présence aura un impact encore plus fort.
Le Luxembourg est un pays tout petit, seulement 576 249 habitant.es en 2016, mais a tout de même une culture bien à lui. Trois langues officielles : allemand, français et luxembourgeois. Le luxembourgeois est une langue avec des sonorités rigolotes. Je comprends un peu, il y a de grandes similitudes avec l’allemand. Les luxembourgeoi·se·s apprennent l’allemand à partir de six ans puis commencent avec un petit peu de français à partir de sept, huit ans environ.
Le Luxembourg est un pays tout mélangé, 46,7% de personnes non-luxembourgeoises y habitent et 85,3% des résidents ont la nationalité d’un autre état de l’Union européenne. Au total, 173 nationalités sont représentées dans le territoire. C’est aussi un des seul pays d’Europe qui a un accroissement de population très positif (13%).
Avec ces langues et nationalités toutes mélangées, je suis parfois amenée à parler trois langues par jour. Et j’en entends encore plus : néerlandais pendant les événements Benelux, portugais dans la rue, puisque c’est la première nationalité étrangère du Luxembourg, 16% de la population est portugaise.
Les clichés sur le Luxembourg sont un peu vrais : le pays est très riche, beaucoup de grosses voitures, les autoroutes sont gratuites et toujours illuminées la nuit. Beaucoup de banques dans la capitale, d’assurance et de gens encravatés. Des bouchons énormes tous les jours entre la Belgique, la France, l’Allemagne en direction du Luxembourg ou inversement.
Les blablas car que je prends pour partir le week-end me demandent toujours si je suis frontalière. Un, me dit détester ce pays, il trouve la langue très moche et Luxembourg ville, morte. En même temps, ce n’est pas lui qui va aider à la dynamiser. Il habite à Thionville et fait l’aller-retour chaque jour. « En général, les gens ne tiennent pas plus de un an au Lux. Moi ça fait deux ans que je suis là, j’ai tenu bon. Mais là je cherche à partir pour Paris. J’ai de l’expérience au Luxembourg, c’est bien pour un CV. Ça rajoute un petit plus, tu vois ? ». Je crois que je ne suis pas du tout dans la même démarche que lui. Ces frontaliers sont aussi un aspect culturel du Luxembourg, ils représentent 44% de la masse salariale.
Par l'entremise du Corps européen de solidarité, je découvre une autre culture et expérimente un nouveau domaine. Je rencontre des personnes de tout horizon et développe mon réseau. On me demande souvent si ce n’est pas une année de perdue. À mon sens, c’est plutôt de multiples expériences gagnées. Une bonne solution pour essayer et découvrir un métier ou des métiers.
Alors un conseil : « Profitez de l’Europe ! Il y a plein de thunes alors partez avant d’avoir 30 ans ».
Depuis que je suis ici, j’ai déjà adopté quelques éléments de langage luxembourgeois. Je dis « ça va » pour « c’est bien » ou « OK ». Lorsque quelqu’un dit GSM, je comprends que cela signifie téléphone portable. J’adore l’expression Tip top ! et ciao pour dire au revoir. Je dis Moein quand je rentre dans un bus et Adi quand j’en sors. J’ai arrêté de traduire septante et nonante dans ma tête. Je comprends des nouveaux mots comme feed-back, lap top, flip shart, … Je progresse sec avec les anglicismes !