« Je fais, je suis moi, je reste moi-même » . William, éducateur de jeunes enfants

Rozenn - Tu fais une profession connotée féminine et tu es un homme, est-ce que cela vient bouger des représentations dans l'entourage, dans la promo, et du côté des formateurs ?

William - Pour moi, ça n'a pas vraiment été étonnant. Ma famille sentait très bien que si je m'orientais dans cette profession, c'était pour quelque chose. Avant j'avais fait une licence en gestion. Dans la gestion, c'est très mixte. Quand je passe à éducateurs de jeunes enfants, dans mon entourage, c'est vrai qu'on se pose des questions, on trouve que c'est bizarre. Ma famille a suivi. ils ont dit: « S’il aime ça, pourquoi pas ? » ils m'ont poussé. Une fois rentré en formation, en étant un des deux hommes sur soixante-six, on se dit: « Ah, ça va se passer comment ? » Parce que j'ai pas eu cette habitude d'être très minoritaire au niveau du genre, mais au final, ça s'est bien passé.

R - Il n'y a pas eu de retour de la part des autres de la promo ?

W - Souvent, on me pose la question : « Pourquoi tu te réorientes ? » C'est comme si c'était quelque chose de bizarre : un homme dans la promo. Même les formateurs, parfois demandent pourquoi avoir choisi cette formation.

R - Et c'était plus parce que t'es un homme, plus parce que tu viens de la gestion ?

W - Je pense plus parce que j’étais un homme, peut-être.

Pierre-Michel est l’un des formateurs de William, il lui demande si ce n’est pas plus au sein de sa famille que la réorientation de gestion vers éducateur de jeunes enfants est interrogée.

W - Oui, voilà, c'est ça. C'était plus interrogé mais après ils ont suivi.

PM - Moi, en tant que formateur, je n'ai pas le sentiment que les quelques hommes qui sont dans les promos sont regardés comme des bêtes curieuses. Mais peut-être que c'est aussi mon filtre, parce que je suis un homme et que je n'ai peut-être pas les mêmes échos ou les mêmes perceptions étant un formateur homme dans une filière, où il n’y a que des formatrices avec moi. Je suis plutôt intéressé par le fait qu'il y ait des hommes dans les promos, comme moi je l'ai été puisque j'étais seul dans une promo. Et sans être un militant de la cause masculine, je trouverais tellement enrichissant, pour des questions d'équilibre, de parité, de diversité des expériences offertes aux enfants, qu’il y ait plus d'hommes. Du point de vue du formateur, il y a le moment de l'admission en formation. Le moment où des hommes se présentent en tant que candidat. Et là je peux entendre dans les jurys auxquels je participe, des réflexions de certaines femmes assez intéressantes. Je sens qu'il y a bien moins d'étonnement qu'avant, qu’il y a encore une dizaine d'années. Et j'entends plutôt sous-jacent, un intérêt, à ce qu'il puisse y avoir si possible plus d'hommes sur le terrain.

W - Pour rebondir sur ce que vous dites. Les professionnels veulent de plus en plus d'hommes dans les structures petite enfance, mais accompagnés de stéréotypes. Par exemple, je suis arrivé dans des structures je devais prouver ma capacité à faire des soins aux jeunes enfants. Changer les couches ou tout ce qui est dans le soin. Et ça s'accompagnait de réflexions. Il y a quand même, au départ, l'idée de faire davantage ses preuves ou de prouver quelque chose pour rassurer. Là où il pourrait y avoir quand même, pas une inquiétude ou une suspicion, mais une interrogation. Oui, il y a des choses plutôt brutales qui peuvent arriver aussi des fois, et il faut avoir cette prise de recul. On veut voir comment ça se passe et qu'est ce que ça apporte en plus, c'est plus dans ce sens-là, ça questionne ça, comprendre si ça a une valeur en plus. J'ai eu des échanges avec des professionnels, la plupart disent que ça apporte quelque chose à l'équipe et se sentent plus rassurés, se sentent accompagnés et se sentent mieux. Je n'ai pas cette impression d'avoir quelque chose en plus. Je fais, je suis moi, je reste moi-même. Ce n'est pas par rapport à mon genre, non, c'est par rapport à des compétences professionnelles.

PM - Tu avais dit une fois quelque chose autour du rôle de l'autorité.

W - C 'est vrai que dans certaines structures pour amener l'autorité, certaines professionnelles avaient tendance à emmener les enfants vers moi. C'est des stéréotypes qui restent toujours dans les structures, la toute-puissance paternelle a existé longtemps. Ces représentations, perdurent toujours.

R - Le congé paternité a-t-il changé quelque chose ?

W - Le congé paternité a été allongé parceque les scientifiques ont enfin compris qu'avoir un homme un peu plus présent dans le schéma famillial apporte aussi de l'allègement au niveau de la charge mentale des femmes. Le burn-out arrive très rapidement pour les femmes au foyer.

R - Les enfants ont-ils des réactions différentes avec un homme ?

W - Ça dépend des structures. Au départ on arrive dans la structure, il y a de l'étonnement au niveau des enfants pas parceque je suis un homme mais parceque c'est un nouveau visage et petit à petit ils m'accueillent et moi je les accueille, voilà. Dans les petites structures comme les microcrèches on est plus dans un rapport avec les familles, on a plus de proximité, c'est souvent des familles plutôt aisées du fait du prix. Au sein de multiaccueils avec beaucoup de familles, beaucoup plus d'enfants, il y a aussi souvent plus de mixité sociale et de culture et les réactions sont plus variées, par exemple il peut y avoir des parents qui ne veulent pas que je change leur enfant vis-à-vis de leur religion. Il faut accompagner les professionnels. Masculin ce n'est pas un tabou mais il n'y a pas de travail là dessus. Dans les structures de la petite enfance on ne parle pas de la possibilité d'avoir un stagiaire homme ou femme. Une figure masculine ça peut provoquer de l'étonnement, de la curiosité, des choses comme ça, de l'inquiétude. Et il y a la question de la religion, il faut rassurer le parent, expliquer le projet de la structure. Donc avoir à accueillir un homme c'est vraiment réfléchir à la dynamique d'équipe, au projet d'accueil, au professionnalisme.

R -  Et avec les partenaires, dans les réunions pas exemple ?

W - J'ai eu l'occasion de faire un projet où l'on est amené à aller sur des structures, avoir des échanges avec d'autres professionnels, faire des présentations à des élus, souvent des hommes et j'ai l'impression, je ne sais pas si c'est vrai, j'ai l'impression d'être plus écouté que mes collègues femmes.

Crédit photo : extrait du film "Sur le chemin de la crèche" Réalisation Maria Casillejo-Carmen - Production Ceméa Belgique/La ville de Herstal
Image Morgane Van Hoobrouck