Quand on me demandait ce que je faisais dans la vie et que je répondais pompier, bien souvent, cela suscitait plein de questions
« Le but c’est de venir en aide »
Lorsque Camille rentre il y a une dizaine d’années dans la formation générale de la marine, ils sont une centaine, dont un tiers de filles. A son entrée dans la spécialité de son choix, « marin pompier », elles ne sont plus que deux filles dans un groupe de vingt. A l’inverse, dans sa formation actuelle de monitrice éducatrice, il y a 37 femmes et 11 hommes, comme si par définition chacun de ces métiers était genré par nature. Cela résulte-t-il de représentations sociales fortes : la masculinité et la virilité chez les pompiers, la féminité et le care dans les métiers du travail social ?
Pourtant selon l’expérience de Camille, on trouve des similitudes dans ces deux engagements. « L’empathie, l’ouverture d’esprit, et le non-jugement », explique-t-elle. Ce sont des qualités qui existent aussi bien chez les pompiers que chez les éducateurs, et c’est en cela que très certainement, ce changement de direction n’est pas une rupture dans son parcours, mais bien une évolution, et ce même si le besoin de renouvellement était présent. « Même si j’ai adoré ce métier, que j’ai rencontré des personnes formidables, que c’était une très bonne expérience, je ressentais une certaine lassitude, j’avais besoin de changer, j’avais besoin de faire autre chose, j’avais l’impression d’avoir fait le tour ». Effectivement, le métier de monitrice éducatrice permet d’aller plus loin, d’accompagner la personne sur le long terme, tandis que chez les pompiers elle intervenait lors de situations d’urgence, l’aide à la personne s’arrêtait une fois l’intervention finie, « on ne savait pas ce que les personnes allaient devenir ». Ainsi, Camille explique, « J’ai toujours eu une prédisposition à être dans le social, car déjà pompier, c’est être dans le social, je parle plutôt du côté sanitaire, car on intervient dans l’intimité des personnes, le but c’est de venir en aide, on est amené également à accompagner les familles car nous sommes régulièrement confrontés à la mort, mais aussi à la précarité, à la drogue, à l’alcool, aux violences conjugales. En fait, nous sommes les primo intervenants, et bien souvent, on est à l’origine d’une action sociale, on peut faire des signalements, donc c’est bien sûr très lié avec les missions des éducateurs ».
Cependant, Camille tempère cette similitude, car la plupart des hommes avec lesquels elle a pu travailler chez les pompiers préféraient être dans les véhicules destinés aux incendies plutôt que dans ceux permettant les secours et l'assistance aux victimes, ces derniers pouvant même être perçus comme destinés aux « gonzesses ». D’ailleurs et à ce propos, elle précise : « certains de mes collègues me faisaient entièrement confiance et me donnaient plus de responsabilités sur les interventions sanitaires du fait que je sois une fille et que j’ai une approche totalement différente de la leur ».
Camille note qu’avec le temps les mentalités évoluent chez les pompiers. Peut-être est-ce en raison d’un plus grand nombre de femmes qui arrivent, mais le constat de Camille est que de nombreux pompiers hommes, et les personnes en général, ont une représentation de moins en moins sexuée du métier. Malheureusement ce n’est pas encore le cas de tous, « en tant que fille, pour faire sa place, c’est un peu plus compliqué, faut prouver deux fois plus les choses, on en attend deux fois plus de toi, et à contrario on peut ne pas te demander certaines choses car on pense que tu ne vas pas être capable de les faire, comme porter des charges lourdes,… puis on va venir te demander si ça va, si tu te sens bien, contrairement à un garçon. » raconte-t-elle.
Dans sa formation actuelle, Camille ressent moins ces représentations genrées, « c’est tout le contraire, car pour commencer, dans la promotion, c’est beaucoup de femmes, et lors de mon premier stage, il n’y avait que des femmes, que ce soient les personnes accueillies, comme les professionnelles, à l’exception du directeur de l’association qui est un homme, d’ailleurs c’était bizarre, je n’avais pas l’habitude de ne travailler qu’avec des femmes ». Camille explique, à ce moment de l’entretien, que lors de son entrée dans le champ du travail social, elle n’avait pas perçu ces représentations genrées bien que, explique-t-elle, « il y a beaucoup de féminisme ». Les questions liées au genre en lien avec un métier étant alors là aussi bien présentes.Un parallèle entre les deux voies professionnelles et les représentations qui y sont véhiculées peut donc être fait. Ce renversement des stéréotypes, d’un sexe lié à un métier, lui a permis de prendre conscience qu’elle acceptait des choses dans son quotidien de pompiers liées à sa féminité qui n’était pas normales et qui pourtant, à force, lui passaient au-dessus de la tête, étaient banalisées. Aussi, Camille voit de réelles différences entre les métiers, notamment quant à la dynamique-même de groupe, alors qu’elle a pu vivre des moments « même gentillets, de craquage ou de bizutage très liés à la mentalité pompiers », elle n’a pas encore aperçu ce genre de phénomènes dans le travail social.
Au travers du vécu de Camille, on perçoit que même si certaines qualités requises et missions sont identiques pour les éducateurs et les pompiers, comme l’aide à la personne, ils sont vécus et perçus différemment par ces différents professionnels. Des perceptions internes qui au final renforcent les nombreuses représentations et stéréotypes véhiculées à l’extérieur de ces champs professionnels.
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