Le collectif a-t-il encore sa place dans notre société ?
Depuis les années soixante, les observateurs questionnent un rapport nouveau de l’individu à la société : si celui-ci affirme plus qu’avant la liberté de faire ses propres choix, la société de consommation excelle à faire de lui une proie malléable à souhait. La satisfaction immédiate des désirs devient le Graal. Mais quand le bien- être individuel devient le seul repère, qu’en est-il de notre désir de rencontre ? De notre capacité à inventer et construire ensemble ? Il faut remonter à la Révolution française et à la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen pour observer cet individu qui entend désormais s’affranchir de la mainmise de la société sur ses choix de vie. Comment le regretter ? Avec la destitution de Dieu, du roi et du père, la raison et le libre arbitre deviennent des repères. La transformation se poursuit avec les Trente glorieuses. À côté des combats sociaux et féministes, une société prodigue en biens de consommation entraîne des millions de Français·es dans une course au « bonheur ». C’est l’ère des supermarchés, des kilomètres de rayons de yaourts et de flacons de lessive, du tout jetable et des centres commerciaux où l’on se retrouve comme à la foire. En 2023, poussée par un capitalisme libéral triomphant, la tendance perdure et les lendemains qui chantent prennent trop souvent les chemins trompeurs du développement personnel et de la satisfaction du consommateur. Pourtant le collectif et la solidarité restent des recours possibles comme le montrent les centaines de milliers de manifestant·es qui arpentent le pavé contre la nouvelle réforme des retraites au moment où s’écrivent ces lignes. De toutes générations, elles et ils sont à la fois inquiets pour leurs vieux jours mais défendent également un système de retraite par répartition à l’exact opposé d’un système par capitalisation reposant sur la seule épargne individuelle.
Choisir ses causes
Autre marqueur social éclairant, les formes de vacances collectives, comme les colos, fer de lance des mouvements d’éducation populaire n’ont cessé de perdre en fréquentation. Ses acteurs et actrices ont pourtant fait évoluer leurs pratiques en prenant en compte les besoins individuels des enfants et des jeunes notamment en matière de sommeil ou d’activité. Tout en leur faisant intégrer et vivre les règles nécessaires au vivre ensemble. Car, même en 2023, l’individu reste relié aux autres. Pour le sociologue François de Singly, « l’individualisme relève plutôt d’un processus d’“individuation” où l’homme pose des choix autonomes quant à sa vie, ses appartenances et ses combats. Les individus sont encore en lien et prêts à se mobiliser. Mais ils revendiquent à tout instant de choisir leurs causes et de pouvoir rompre avec elles. » Quelles formes prennent alors ces moments collectifs ? « Nous sommes passés à l’ère des appartenances générationnelles. Les interactions existent entre les individus, mais elles se font au sein d’une même tranche d’âge. »