Le collectif à l'heure du "chacun son choix"
« Cherche formes collectives nouvelles pour transformer le monde, faire offre sur Insta, TikTok, FB ». Une petite annonce fictive pour illustrer la lame de fond qui soulève nos sociétés du XXIème siècle. Depuis une quinzaine d’années, l’évolution d’Internet a fait du monde un village global dans lequel chacun peut, sur l’écran de son téléphone (5,7 milliards de portables dans le monde soit 67 % de la population mondiale), vivre en quasi-direct une manifestation en Iran, un incendie au Brésil mais aussi diffamer anonymement son voisin, se faire le relais d’une fake news ou mobiliser des milliers de personnes pour lutter contre un projet qui détruit l’environnement.
L’optimisme de la volonté
Cet univers des possibles vertigineux s’inscrit dans des cadres idéologique, politique, institutionnel en pleines reconfigurations. La chute du Mur de Berlin en 1989, en sonnant le glas de l’opposition Est-Ouest, s’est accompagnée de l’affaiblissement des partis politiques traditionnels et des syndicats, d’abstentions record lors des élections et du recul constant des régimes démocratiques. Aux États-Unis avec Trump, au Brésil avec Bolsonaro, dans plusieurs pays européens – la Hongrie, la Pologne, l’Italie – et avec l’arrivée du RN à l’Assemblée nationale en France, l’accession au pouvoir des partis populistes qui misent sur le repli sur soi menace la solidarité et le débat démocratique. Pour autant, « l’optimisme de la volonté » propre aux éducateurs et éducatrices fait acte de résistance. Ils sont des milliers à rendre possible l’expérience du collectif, de la différence et du débat contradictoire. Donner à vivre des temps de débat, faire et imaginer ensemble un monde plus solidaire où chacun trouve sa place mobilisent plus que jamais les équipes éducatives.
Vieilles recettes et nouvelles formes
Charlotte Simon, formatrice d’animateurs professionnels et de formateurs, se frotte à ce défi quotidiennement. Pour elle, l’Éducation nouvelle ne peut s’affranchir du collectif. « Ce sont finalement les mêmes enjeux en formation que dans une équipe au travail : expérimenter la complémentarité, comprendre comment chacun travaille et créer de la solidarité », explique-t-elle. Aujourd’hui, quand elle anime des formations pour les salarié·es du réseau, Charlotte propose aux stagiaires de réaliser par groupes de quatre ou cinq un objet commun : un contenu, un outil pédagogique, une vidéo... L’occasion de voir ce que chacun et chacune peut apporter, avec sa personnalité, son expérience, de faire avec et ensemble pour parvenir à une réalisation partageable avec d’autres. Elle met aussi en place des ateliers coopératifs pour aider chaque participant dans son projet. « Mais il est arrivé qu’on me dise : ‘je m’en fous des projets des autres’ », reconnaît-elle. Charlotte mise sur les temps informels, visite d’un musée, repas du soir pris en commun, qu’elle juge « essentiels pour découvrir le commun et partager des points de vue. Néanmoins, observe-t-elle, il y a désormais des personnes qui ne veulent pas se joindre à ces temps-là et préfèrent jouer cavaliers seuls. Et ça, c’est nouveau. » Pas question pour autant de renoncer. « Créer une relation de confiance entre les gens est essentiel. Ils seront plus tard de futurs partenaires au service d’un projet de société qui passe par le lien. »