La rue c'est aussi chez moi !
Le temps d'un été, sur un quartier politique de la ville, un terrain d'aventure a vu le jour. Un terrain d'aventure est un espace de construction pour petite·s et grand-es, où du matériel est mis à disposition sur un espace défini, dans l'espace public. Ce terrain a vu près de 1000 personnes différentes sur ces 2 mois d'ouverture, faisant pâlir les taux d'accueils des structures « en dedans » du paysage de l'animation.
Le quartier où a été implanté ce terrain d'aventure n'est pas anodin : Belle - Beille , à Angers, premier quartier populaire où ont été construits des grands ensembles (HLM). Le quartier de Belle-Beille sort de terre à la fin des années 70 grâce à la synergie des politiques de l’époque et des urbanistes locaux. Les premiers quartiers sortent de terre.
En parallèle, des terrains d’aventures voient le jour sur les friches laissées à l’abandon aux abords des grands ensembles, proches des lieux d’habitations, proches des gens.
Sans portes ni murs, sous les fenêtres
Les Terrains d’aventure, zone de jeux pour les enfants mis en place par les adultes ont au fil du temps été remplacés tantôt par des parkings, tantôt par des immeubles. Les enfants ont petit à petit été amenés dans les structures collectives (ACM) pour les familles ayant les moyens, mais les autres ?
Les autres, de leurs dires, s’ennuient pas mal l’été dans le quartier.
A la différence de la plupart des structures et espaces dédiés aux loisirs et aux vacances aujourd’hui en France, sur le terrain de Belle Beille, pas besoin d’inscription , pas de prix même modique, pas d'horaires (hormis ceux de présence des anims' mais le terrain est accessible sans eux et elles) ou de file d’attente.
Cet espace rompt avec les structures classiques type « accueils de loisirs » ou « centres socio-culturels » par plusieurs points.
D'abord, l'absence de murs et de portes à franchir pour y entrer et en sortir, au-delà du symbole, l’animation « hors les murs » offre la possibilité d’être là où sont les habitant.e.s, au pied de leurs immeubles, à portée de voix de leurs fenêtres. L’espace de loisirs n’est plus un endroit où l’on va, on l’on s'inscrit, mais notre lieu de vie devient espace de loisirs, espace de notre vie quotidienne.
Ensuite, il permet à chaque personne de pouvoir, sur cet espace, en bas de chez eux/ elles de choisir. Le choix de venir ou de ne pas venir, le choix de modifier / transformer son lieu de vie. Et au fil du temps, un mini village voit le jour au pied des immeubles, avec son auberge, son bar et sa cabane de sieste.
Un espace à s'approprier
Henry Lefebvre (philosophe, sociologue et géographe français), souvent présenté comme l’inventeur du droit à la ville dit « l'espace (social) est un produit (social) », l'espace est bien évidemment politique : il s’agit à la fois d’un produit et d’un enjeu politique. C’est un espace qu’il faut s’approprier, se réapproprier, pour qu'il redevienne un espace social. Il est « produit social » car il est le concours des urbanistes et des politiques locales ou nationales ; l’aménagement de l’espace public est souvent conçu de manière à valoriser les rapports marchands en tentant de normer la pratique sociale et donc d’asseoir des rapports de domination dans les pratiques sociales.
Pour autant le droit à la ville et aux loisirs est un droit. Aller vers, sortir des murs, c’est aller à la rencontre de publics que nous croisons peu, pas, plus dans nos structures. C’est accepter des pratiques sociales qui ne sont, souvent, pas les nôtres, mais celles des personnes qui y habitent. C’est accepter de faire partie de la vie quotidienne des personnes, d’être à l'écoute, faire partie du paysage et non des murs. C’est accompagner la vie quotidienne des habitant.e.s et non programmer ce que nous pensons être bon pour eux et elles. C’est animer (= donner vie) plutôt que de juger un manque, une carence qu’il nous faudrait réparer. Agir sur l’espace public, c’est déjà accepter que le vécu ( ce qui se vit à l'instant présent ) est parfois plus important que le prévu. ■
Cet article a été publié dans "Animact·eur·ice n°24"